Un rescapé de la Covid-19 témoigne

Il a 71 ans, Belge. Il s’appelle Peter Piot, découvreur d’Ebola et conseiller de la Commission européenne dans la lutte contre la pandémie. Dans une interview, il parle de sa maladie, des conséquences à long terme de la Covid-19 et pourquoi on ne réussira pas à vaincre facilement le virus.

Jusqu’ici, on ne connaissait que trois situations : la Covid-19 tue, on en guérit ou bien on est asymptomatique, quoiqu’infecté. Avec le virologue Peter Piot, qui avait contracté la maladie et qui s’en est sorti, on connaît désormais les effets à long terme de cette affection. C’est une maladie qui entraîne une longue convalescence, dit-il. Jusqu’à présent, il est encore essoufflé quand il monte les escaliers.

Les premiers symptômes sont apparus le 19 mars. Au début de ce mois, il a eu de nombreuses possibilités d'infection. « J'ai assisté à plusieurs événements avec des centaines de participants, à de nombreuses sessions. J'ai d'ailleurs donné des conférences, sur la Covid-19. Et j'étais au restaurant presque tous les soirs. Il devait y avoir une centaine de personnes avec lesquelles j'étais en contact étroit. » Après, il a essayé de garder un peu de distance, mais pas très strictement. Ce n'est que le 17 mars qu’il a commencé à faire du home office à la London School of Hygiene & Tropical Medicine. À ce moment-là, il était déjà trop tard pour lui.

Personne à part sa femme n’a été, à sa connaissance, infectée. Elle a eu une infection asymptomatique. À 71 ans, il court cinq à sept kilomètres trois fois par semaine, il a toujours pensé qu’il était plus en forme que certaines personnes de 50 ans. L’expression « groupe à risque » n’avait pas de sens pour lui.

En tant que virologue et expert en épidémiologie, il avait sous-estimé le virus. Pas intellectuellement puisqu’il a donné des conférences là-dessus. On lui avait même reproché d'avoir exagéré le danger. D’ailleurs, ça fait 4 ou 5 ans qu’il avertit de l’apparition de cette pandémie.

Dès qu’il a ressenti les premiers symptômes (terrible mal de tête, forte fièvre), il a su que c’était la Covid-19. À l’époque, l’accès à un test à Londres n’était pas si facile. Finalement, il l’a fait dans la clinique privée d’un ami. Ça lui a coûté 300 livres sterling. « Tout ce que je peux dire, c'est que nous avons absolument besoin de tests à domicile que tout le monde peut acheter en pharmacie et utiliser ensuite. »


Il a trouvé « stupide » qu’il ait attrapé le coronavirus. « Je n’ai pas le diabète, je ne fume pas et je ne suis pas obèse ». Il a pensé que ce sera à peine plus grave qu’une simple grippe. Bête du travail, il a continué à bosser. Pas longtemps. Le symptôme dominant dans son cas était une grosse fatigue. Normalement, il est une personne énergique et voilà que maintenant il pouvait à peine se tenir debout. Impossible de faire un pas.
« J’étais très faible ! »

Ça lui a pris du temps pour réaliser que ça pourrait lui être fatal. La fièvre augmentait, atteignant jusqu'à 102 ou 104. Là il a commencé à s'inquiéter. Sa femme lui a dit de se ménager. Mais il ne voulait pas. Puis sont venus les frissons, probablement dus à la pneumonie. C'est alors qu’il s’est tourné vers la clinique. Après 10 jours. « Normalement, on se dit : si je passe les huit ou neuf premiers jours, ça devrait aller mieux. Mais la fièvre est restée. D'autre part, j'ai quand même réussi à monter au quatrième étage de notre maison sans aucun problème. Et quand je suis arrivé aux urgences, mon niveau d'oxygène était de 84 ». Un taux très bas. Au début, le personnel de santé des urgences ne voulait pas y croire. On sait maintenant que c'est très typique des patients atteints de Covid-19 : une saturation en oxygène extrêmement faible, que les patients remarquent à peine.

Dès qu’il était à la clinique, il n’était plus virologue et chercheur, mais juste un patient. Il a accepté tout ce que les médecins faisaient pour lui. « J’étais terriblement faible, je regardais le plafond et avais du mal à penser. D'autre part, je ne suis pas le genre de personne qui dit au chauffeur de taxi quelle route il doit prendre ! ».

Il était conscient tout le temps. On lui a donné de l'oxygène immédiatement. Mais la ventilation invasive n'a heureusement pas été nécessaire. Il en était soulagé, surtout qu’au moment de sa maladie, les premières publications montrant que le taux de mortalité sous ventilation invasive est effroyablement élevé et que ce n'est peut-être pas toujours la bonne voie. Mais il a survécu. Il est sorti de l’hôpital après une semaine d'hospitalisation. « Mais j'étais encore loin de surmonter la maladie. J'ai perdu sept kilos, une sorte de bonus maladie. Mon IMC est maintenant revenu à la normale. Et puis, au bout d'une semaine environ, j'ai soudain eu du mal à respirer. Mon médecin de famille m'a envoyé à l'université, et là, ils ont découvert que tout mon poumon était infiltré - je souffrais d'une réaction immunitaire massive. »

À la clinique, ils lui ont dit qu’il était le premier patient chez qui ils avaient vu une réponse immunitaire si exubérante quelques semaines après l’infection. Mais maintenant, cela semble arriver plus souvent aux médecins.

Une telle expérience vous oblige à réfléchir à ce qui est important dans la vie. Chez Piot, ça a accru sa motivation à mieux comprendre la Covid-19. Ceci le rend plus sensible non seulement au virus, mais aussi aux problèmes des gens : « la solitude dans l'isolement, l'augmentation de la violence domestique, mais aussi la vague de personnes souffrant de complications chroniques tardives qui s'annonce. »

Le conseiller d'Ursula Von der Leyen estime que l'Europe a un rôle clé à jouer. Quant au projet du gouvernement américain (3) de produire un vaccin d'ici novembre, Piot trouve bonne cette initiative. Mais il met en garde contre des raccourcis risqués sur la voie de l’approbation, car il s'agit d'un vaccin qui sera administré à des milliards de personnes. « Ne serait-ce qu'un infime pourcentage de trop pourrait avoir de graves effets secondaires avec des effets dévastateurs ». Selon lui, l'avantage est que les États-Unis forment un seul pays. Il est plus facile de lancer un tel projet. En Europe, avec ses nombreux États nations, c'est beaucoup plus difficile. Néanmoins, le conseilleur européen a rappelé que le 4 mai, Ursula Von der Leyen a accueilli une conférence « vraiment historique » de donateurs, qui a permis de fournir plus de sept milliards d'euros pour le développement de vaccins, de produits thérapeutiques et de diagnostics.

Le vaccin doit non seulement être sûr, mais aussi il faut qu’il fonctionne. « Ce qui nécessitera des milliers et des milliers et des milliers de personnes à tester. Ces essais pourraient commencer au plus tôt en juillet ou en août, et plus probablement pas avant la fin de cette année ou au début de l'année prochaine ». Pour le moment, on ne sait pas où on en est avec la pandémie ni s’il y aura une deuxième vague.

Doute sur un vaccin

Piot avoue qu’il pensait au début que le vaccin serait la seule véritable issue. Pour l'instant, sa vision est « plus différenciée ». « Bien sûr, un vaccin fera partie de notre stratégie de sortie. Mais il semble que nous devons quand même apprendre, en tant que société, à vivre avec la Covid-19 ». Il fait remarquer qu’en ce qui concerne les infections pulmonaires, l’expérience des médecins jusqu'à présent n'est pas très bonne. Même avec les vaccins antigrippaux, l'effet protecteur n'est généralement que de 60 à 70 %. « Je suis en fait une personne optimiste. Mais je ne crois pas en un vaccin efficace à 100%. Nous devons réfléchir à ce que nous voulons réellement réaliser. Prévenir complètement l'infection ? Réduire la mortalité ? Ou quelque chose au milieu ? C'est une autre chose dont nous allons devoir parler. »

Piot pense qu’il est aussi possible que nous ayons une thérapie pour la Covid-19 avant le développement d’un vaccin. « Et encore une fois, d'après mon expérience de patient, je pense dans une direction légèrement différente, dit-il. Jusqu'à présent, il a toujours été exclusivement question de rendre le virus inoffensif. Mais peut-être faut-il aussi penser à contrôler la réponse immunitaire. Il est également important d'avoir le bon timing de l'intervention ; j'ai l'impression que l'on n'y a pas suffisamment prêté attention dans les essais cliniques jusqu'à présent. Nous devrions également tester si les antiviraux ne sont pas également adaptés à la prévention. Il serait alors possible de trouver tous les contacts d'une personne nouvellement infectée et de les traiter de manière prophylactique - comparable à une vaccination, mais beaucoup plus ciblée ». Il serait question d’un médicament Covid-19 orchestré de façon complexe : un peu de ci, un peu de ça, quelques jours plus tôt ou plus tard, avec beaucoup de peaufinage, comme pour le traitement du cancer ou du sida. Il croit que les scientifiques devraient être « plus ouverts aux idées non conventionnelles. »

En ce qui concerne les effets psychologiques de la pandémie, il prévoit une augmentation des suicides. « Personnellement, je me suis effondré psychologiquement en rentrant de l'hôpital. J'ai pleuré pendant très longtemps. Je sais ce que c'est pour moi : face au danger, je peux gérer la situation. La peur et l'émotion, elles viennent après. »

Quant aux conséquences de la maladie sur le corps, elles peuvent persister. « Je suis loin d'en avoir fini. Je ne peux toujours pas monter les escaliers sans faire un arrêt en cours de route. J'ai essayé de faire du jogging parce que ça me manque. Mais j'y ai très vite renoncé. Je suis toujours sous anticoagulants parce que j'ai une fibrillation auriculaire ». Il pense que ces effets peuvent rester ainsi pour le reste de sa vie » avec cette interview, il voulait préciser ce point-là. « Beaucoup de gens pensent que pour 99 % des personnes infectées, la Covid-19 n'est rien d'autre qu'une sorte de grippe, et que 1 % en meurent. Je veux rappeler aux gens qu'il y a aussi quelque chose entre les deux : un grand nombre de ceux qui survivent restent malades très gravement et pendant très longtemps. » Ils n’ont plus le virus certes, mais beaucoup d’organes sont endommagés.

Huguette Hérard


N.d.l.r.
(1) Bernard Piot dirige la London School of Hygiene & Tropical Medicine. Spécialisé dans les maladies infectieuses, il a mené des recherches sur les épidémies en Afrique, un chercheur du virus du sida et directeur du programme des Nations unies sur le sida.

(2) Interview menée par les journalistes Johann Grolle et Veronika Hackenbroch, Spiegel, 22/2020.

(3) L’administration Trump a lancé en grande pompe l'opération « Warp Speed », du nom du système de propulsion du vaisseau spatial plus rapide que la lumière, de la série de science-fiction « Star Trek ».
 

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