Le virus de la désinformation

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Depuis le déclenchement de l’épidémie au coronavirus, les théories les plus farfelues fleurissent sur le net. Dans une interview (1), la psychologue Lydia Benecke (37 ans) explique les mobiles psychologiques de leurs auteurs et la manière de contrer les personnes mal informées devenues complotistes.

« Le nouveau Coronavirus vient d'un laboratoire en Chine ». « On va nous vacciner de force ! ». « On va introduire des micro-puces sous la peau en nous vaccinant ». « Bill Gates veut réduire la population mondiale ». « Les mâts de 5G provoquent le Covid-19 » etc. En Allemagne, on estime que plus de 40 % des Allemands auraient une affinité avec ces affirmations complotistes. Selon l'association Sekten-Info NRW, le nombre de personnes qui croient à la conspiration dans la crise de coronavirus augmente rapidement.

Quoi faire face à ce virus de la désinformation ? Dans une interview, la psychologue Lydia Benecke (2) explique comment approcher les amis et les membres de la famille qui diffusent des mythes et une sagesse pseudo-scientifique sur la pandémie. D'abord il faut comprendre comment fonctionnent les mythes de la conspiration et pourquoi ils sont si répandus en ce moment. « La pandémie de Covid-19 signifie une situation mondiale incertaine. Beaucoup de gens ne savent pas ce qui va se passer dans leur vie - leur emploi, leur famille, leur santé - et leurs projets ont été menacés du jour au lendemain. C'est effrayant et les gens se sentent très inquiets. Mais la peur est difficile à supporter, elle paralyse et vous rend impuissant. Personne n'aime se sentir ainsi. » C'est pourquoi le cerveau humain cherche des moyens de sortir de ce sentiment, dit-elle. C'est là que les mythes du complot entreraient en jeu.

Ces mythes transformeraient la peur en colère. « On ne peut pas détester un virus, argumente-t-elle. C'est un adversaire très insatisfaisant pour la psyché humaine. Mais Bill Gates, qui aurait mis intentionnellement le virus en circulation, je peux le détester ! » La colère serait, selon elle, beaucoup plus facile à supporter que la peur et l'inquiétude. « Si on est en colère, on se sent fort et on peut faire quelque chose : aller à une manifestation, crier sur les politiciens, faire tourner une vidéo, se défouler dans une colonne commentaires ». La scientifique a aussi découvert que tous ces mythes conspirationnistes avaient une chose en commun : ils divisent le monde entre les bons et les mauvais et ils définissent des coupables clairs pour la propagation du virus ou les conditions causées par la pandémie.

Benecke explique pourquoi elle utilise plutôt l’expression « mythe complotiste » au lieu de « théorie du complot ». Le terme « théorie » est utilisé dans le langage familier comme une « hypothèse » alors que dans le contexte scientifique, il est « l'explication de faits basée sur des déclarations scientifiquement fondées, ce qui signifie que les résultats de nombreuses études de recherche soutiennent les affirmations. » Le mot « théorie de la conspiration » peut donc suggérer une équivalence avec des concepts scientifiquement fondés. C’est pourquoi elle préfère parler de « mythes », de « récits » ou « d'idéologies conspirationnistes ».

Le refus des faits

Selon la psychologue, on peut faire la différence entre une « personne mal informée » devenue adepte de la conspiration et un(e) complotiste invétéré(e) en analysant leur réaction face à la confrontation avec les faits. Lorsqu’on envoie à une personne mal informée des sources fiables pour réfuter son argumentation, elle va vous remercier « pour le tuyau ». Mais si la réponse est du genre : « Ne viens pas avec les nouvelles de « Tagesschau » (Journal télévisé de la chaîne de télévision allemande ARD, à 20:00 h), les médias sont tous pareils » Ou bien Merkel te paie pour répandre pareille chose ? Alors cela devient difficile. » On n’ira pas loin avec des informations factuelles.

Le pire est qu’il n’existe pas de recette ni d'indications sur la manière de toucher les adeptes des fausses informations. Selon les observations de la psychologue, très souvent, tous les efforts déployés pour convaincre les complotistes se révèlent vains. « Le problème de base est que vous travaillez avec des faits contre des émotions. » D'un point de vue neurologique, explique-t-elle, notre cerveau traite mieux les émotions que les informations factuelles.

Cependant, elle estime qu'il peut parfois être utile d’adopter une approche plus émotionnelle de la personne. Par exemple, en essayant de comprendre son motif individuel. « Est-ce une peur réelle de l'infection ou de la ruine économique qui la fait plonger dans de grossiers mythes de conspiration ? N'est-elle peut-être pas bien en ce moment ? Est-elle devenue chômeuse ou est-elle en pleine séparation ? » Si on demande avec prudence comment le conspirationniste se porte en ce moment, il se rendra alors compte par lui-même que les mythes remplissent une fonction très spécifique pour lui. C’est-à-dire qu’ils transforment la peur et l'impuissance en colère. Pour y parvenir, la personne doit être quelqu’un doté d’une capacité de réflexion.

Pour ce qui est de la haine, les mythes conspirationnistes autour du Sars-CoV-2 sont souvent proches des propos des idéologues antisémites et de l'extrême droite. On a vu récemment des négationnistes du coronavirus utiliser l’étoile de David avec l’inscription « non vacciné » comme symbole de leur protestation. Ces personnes sont-elles potentiellement dangereuses ? Benecke croit que les adeptes de la conspiration ne sont généralement pas dangereux, dans le sens de « violent ». Ils seraient plus susceptibles de laisser leur colère sur Internet ou de crier lors d'une manifestation que d'attaquer quelqu'un. Toutefois, affirme-t-elle, il y a toujours un petit pourcentage de personnes prêtes à recourir à la violence. « Si, bien entendu, davantage de personnes croient à ces mythes et sont en colère, cela augmente la probabilité que certains franchissent la ligne de démarcation et tombent après tout dans la violence. Et même si cela n'arrive pas, partager et diffuser des idéologies proches de l'antisémitisme et de l'extrémisme de droite est également dangereux. »

Pour se protéger des mythes de conspiration, Benecke explique que deux choses aident : apprendre à distinguer les sources sérieuses des sources douteuses et comprendre comment les faits scientifiques se produisent. Elle dit que souvent elle entend les gens dire que les scientifiques sont en désaccord et qu’ils disent une chose aujourd'hui et une autre demain, mais ceux qui pensent ainsi « ne comprennent pas que comment fonctionne la science ». Il y a toujours, souligne-t-elle, un réajustement puisqu’il « n’y pas de découvertes gravées dans le marbre ». L’autre gros problème avec le Coronavirus, qu’elle constate, est que certains des diffuseurs de théories douteuses sont eux-mêmes des scientifiques ou des médecins. C'est là que ça devient vraiment délicat.

Des paranos ?

Comment savoir si un scientifique est crédible et comment réagir dans une conversation lorsque l'allusion suivante est faite : « Mais mes informations proviennent aussi d'un scientifique » ? Benecke explique la question essentielle est de savoir ce que l'état de la science au niveau international sur cette question. « La recherche scientifique est mise en réseau au niveau international et les résultats des différentes équipes du monde entier sont accessibles à tous les chercheurs, et sur la base des résultats déjà disponibles, la recherche est constamment effectuée, ajustée et corrigée. Si l'écrasante majorité des chercheuses internationales dans ce domaine ont une opinion solide sur un sujet de recherche basée sur des faits vérifiables, alors cette opinion reflète l'état actuel de la science. » Si un médecin ou un scientifique fait des affirmations qui contredisent l'état de la recherche internationale, c'est un « signe d'avertissement clair ».

Pour vérifier si une vidéo d'un médecin sur le coronavirus est sérieuse, Benecke recommande les vérifications de faits de « Correctiv » et de « Mimikama », deux associations pour la clarification des abus sur Internet. Ils sont constamment à la recherche de contenus douteux qui se répandent rapidement. Dans leurs vidéos et leurs textes, ils démêlent exactement les informations sont douteuses et pourquoi elles le sont.

Les conspirationnistes seraient-ils paranoïaques ? Où se situe la limite entre la croyance en un mythe et le délire pathologique ? Pour Benecke, on ne peut pas faire la différence en tant que personne privée sans formation spécialisée. Pour le savoir, cela nécessite un examen professionnel, par exemple par un spécialiste en neurologie et en psychiatrie. Mais les recherches sur les récits complotistes indiquent que la plupart des personnes qui y croient et qui les diffusent n'ont pas de maladie mentale comme cause de leur croyance. La probabilité qu'une personne croit « seulement » à un mythe serait donc beaucoup plus élevée que celle d'être réellement malade, nous apprend la scientifique. Cependant, reconnaît Benecke, chez les personnes souffrant d'un trouble délirant, « les histoires de conspiration peuvent s'arrimer à leurs symptômes de maladie et influencer leur contenu ». Cependant, les personnes réellement malades sont clairement minoritaires par rapport à la grande masse de ceux qui échangent entre eux ce genre de contenus douteux.

Huguette Hérard

N.d.l.r.:
(1) Interview accordée à Carla Baum, parue dans le « ZEIT » du 19 mai 2020.

(2)Lydia Benecke est psychologue, experte spécialisée en criminalité. Elle est active au sein de la « Société pour l'investigation scientifique du para-scientisme ». Elle met à jour les mythes du complot, dénonce les voyants autoproclamés et présente aux populistes de l’extrême droite leurs arguments peu concluants dans des forums de commentaires.
 

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