« L’ennemi est le virus, pas nous les Chinois ! »,

Depuis le déclenchement de la pandémie de la Covid-19, c’est devenu une mode de taper fort sur la Chine : les médias occidentaux, le gouvernement américain, l’Union européenne, certains jeunes leaders africains, tout le monde s’y met. Le représentant de la Chine auprès le Gouvernement fédéral allemand, Wu Ken, donne la position (1) de son pays sur cette levée de boucliers tous azimuts.

De la découverte du cas index jusqu’au confinement, qu’a fait la Chine ? Tout le monde pense que la Chine a essayé de cacher des choses dans cet intervalle. Wu Ken s’en défend. L’ambassadeur chinois en Allemagne explique que les autorités chinoises ont appris le 27 décembre 2019 l’existence d’une maladie respiratoire d’origine inconnue. Quatre jours plus tard, l’OMS en a été informée. Une semaine plus tard, l’agent pathogène Sars-Cov-2 a été identifié. Le 12 janvier, la Chine a rendu publiques cinq séquences complètes du génome de ce nouveau coronavirus. Le 23 janvier, la ville de Wuhan, forte de 11 millions d’habitants, a été complètement fermée.

Pas d’erreur du tout de la part des Chinois ? Selon l’ambassadeur Wu, s’il y a une chose que la Chine a retenue de cette crise épidémique, c’est que sa réserve stratégique d’experts et de matériels en matière de santé s’est révélée insuffisante. « Nous devons augmenter les investissements dans l’infrastructure médicale, estime Wu Ken, et rendre notre système de santé plus résistant aux crises à travers une meilleure planification ».

Revenant à la charge, l’intervieweur rappelle à l’envoyé plénipotentiaire de la Chine qu’en janvier encore, il y a eu de grands rassemblements de dizaines de milliers de personnes à Wuhan, que des médecins chinois ont rapporté avoir été empêchés de faire état des cas de coronavirus et que seulement le 20 janvier la Chine était partie du fait que le virus se transmet de personne à personne. « On est plus malin après coup », répond Ken en utilisant un proverbe allemand typique (il a fait ses études en Allemagne). Il rappelle qu’étant donné que le virus est nouveau, il n’y avait pas un script déjà élaboré indiquant la marche à suivre. « Aucun pays ne peut prendre des décisions d’envergure sans preuve scientifique, fait-il remarquer. Il souligne qu’en Europe on a même discuté pendant trois mois sur le port des masques. Pour déterminer si une maladie se transmet d’une personne à l’autre, il estime que de nombreuses données épidémiologiques et une argumentation scientifique stricte sont nécessaires et que tout cela demande du temps.

En ce qui concerne l’ophtalmologue Li Wenliang arrêté par la police, le diplomate explique que sa convocation provient du fait qu’il diffusait avec des collègues des informations fausses sur le cas de sept personnes supposées être infectées par le Syndrome respiratoire aigu sévère (Sras), en semant ainsi une panique de masse. « Il n’était pas un whistleblower, ajoute-t-il, parce qu’il n’avait aurait aucune intention d’avertir le public ». Quant à la convocation de Li elle-même, elle était « conforme à la loi » même si l’agent diplomatique reconnaît que la sanction était « inappropriée ». « C’est pourquoi la police a retiré la punition et a présenté ses excuses à sa famille ». L’oculiste décédera de la Covid-19. « Le gouvernement lui a rendu un grand hommage à titre posthume, indique Wu Ken. Malheureusement, sa mort a été exploitée par les États-Unis et transformée en campagne anti-communiste. On ne peut que mépriser une telle manipulation !”

Pour ce qui est de la révocation du chef de parti de la province de Hubei, Wu estime qu’il est naturel que cette épidémie sans précédent « mette aussi en évidence certaines de nos lacunes ». « Nous devons penser à la manière dont nous pouvons à l’avenir améliorer les relations entre la science et la communication publique à travers la politique locale !”

« Un virus peut se manifester n’importe où »
Ken réfute aussi la critique selon laquelle la Chine a distribué le virus dans le monde. « Un virus peut se manifester à tout moment et partout dans le monde. Nous sommes des victimes comme tous les autres pays concernés et non des coupables ! De plus, avec sa réaction rapide, la Chine a permis au reste du monde pour se préparer à la pandémie pendant au moins 6 semaines !” Il trouve dommage que certains pays n’en aient pas profité. Se référant aux propos du président américain Donald Trump, il ajoute que « certains politiciens ont même dit que le coronavirus n’était qu’une grippe !”

Aux États-Unis, certaines personnes vont jusqu’à réclamer une indemnisation de la Chine, « responsable », selon elles, de l’épidémie et de ses conséquences. Selon Wu Ken, du point de vue du droit international, aucun traité ou précédent juridique n'oblige le pays d'où provient un virus à payer pour les pertes encourues par d'autres États. « Qui, selon lui, devrait être tenu responsable des épidémies comme la grippe aviaire (H1N1), le sida ou la maladie de la vache folle ? »

Quant à l’idée selon laquelle le nouveau Coronavirus a été créé au sein d’un laboratoire à Wuhan, le représentant chinois la rejette d’un revers de main. « Les États-Unis ont répandu ces derniers temps beaucoup de théories du complot sur la Chine pour détourner l’attention de leurs propres fautes ». Selon lui, l’OMS et beaucoup d’autres scientifiques internationalement reconnus sont d’avis que rien n’indique que le nouveau virus ait été fabriqué en laboratoire.

« Le virus aurait également pu s'échapper accidentellement du laboratoire. De tels cas sont connus aux États-Unis et en Grande-Bretagne », insiste l’intervieweur. « Le laboratoire de Wuhan a un niveau de protection 4, comparable au laboratoire BSL-4 (biosafety level 4)de l'Institut Robert Koch de Berlin », riposte l’envoyé chinois. Il précise qu’aucun employé du laboratoire n’a été infecté et que tout ceci n’est que « sauvage spéculation ».

Le représentant de la Chine déclare que son pays est prêt à une enquête internationale. La Chine soutiendrait des échanges scientifiques avec d’autres nations. Le représentant de l’empire du Milieu rappelle que pour l’instant des scientifiques chinois et américains travaillent ensemble sur des projets de recherche pour retracer la chronologie de la crise sanitaire du nouveau coronavirus. « Mais nous rejetons le fait de mettre sans preuve la Chine sur le banc des accusés, de la rendre coupable d’avance et de chercher ensuite des preuves par le biais de soi-disant enquêtes internationales, s’agace Wu Ken. La recherche de l'origine du virus doit être effectuée par des scientifiques et non instrumentalisée par des politiciens. »

À propos du reproche de l’Union européenne selon lequel la Chine pratiquerait de la « désinformation globale » à propos du coronavirus, l’ambassadeur Wu remarque que son pays souffre particulièrement de désinformation depuis le début de l'épidémie. « Nous n'avons ni l’envie ni le temps de produire de la désinformation, s’agace-t-il. Ce que nous faisons, c'est utiliser des preuves et des faits scientifiques pour réfuter les fake news et les théories du complot sur la Chine. Quand on compare les déclarations des politiciens chinois avec celles des politiciens et diplomates américains, il ne devrait pas être difficile de voir qui véritablement fait tourner le moulin à rumeurs. » Le diplomate chinois trouve dommage que le rapport de l'Union européenne ne mentionne pas les États-Unis.

On reproche aussi à l’ambassadeur chinois en Australie d’avoir menacé de boycott des produits australiens parce qu’on réclame dans ce pays une enquête indépendante sur le virus. Pour le représentant chinois à Berlin, il s’agit d’une « mésinterprétation délibérée des médias australiens ». « Ce n'est pas le style de la diplomatie chinoise de menacer, tient-il à faire savoir, mais si nous sommes menacés, nous devons réagir.»

Il certifie que son pays est pour la coopération internationale dans le domaine de la science et de la médecine. Cependant le Gouvernement est contre le fait de l’utiliser uniquement pour critiquer la Chine ou pour l’accuser de quelque chose. « Pourquoi, se demande l’ambassadeur avec irritation, cette enquête ne devrait-elle être dirigée que contre la Chine ? D'un point de vue scientifique, n'y a-t-il pas de problèmes dans d'autres pays ?”

Pour ce qui est des relations tendues entre les États-Unis et la Chine, l’Envoyé spécial chinois pense qu’une coopération étroite entre la Chine et les États-Unis est « le seul choix correct ». Mais elle doit être « fondée sur le respect mutuel ». Il pense que les deux plus grandes économies du monde devraient « garder la tête froide face à l'épidémie ». « Nous devons dire non aux paroles et aux actes à motivation politique qui alimentent la xénophobie et font des autres pays un bouc émissaire, conclut l’émissaire chinois. La Chine n'est pas l'ennemi des États-Unis. L'ennemi est le virus. Les États-Unis ne devraient pas tirer sur la mauvaise cible. »

Huguette Hérard

(1) Interview accordée à Christiane Hoffmann et Martin Knobbe, parue dans « Der Spiegel », 9 mai 2020.

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