une formation d’Avocats sans frontières Canada au profit des avocat.es du Barreau des Gonaïves

Le National s’est entretenu avec Appolinaire Fosto, le chef de mission du Bureau d’avocats sans frontières Canada, qui vient d’animer une formation au bénéfice des avocat.e.s stagiaires du Barreau des Gonaïves . Interview.

Le National : Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Appolinaire Fosto : Je suis Appolinaire Fotso, avocat inscrit au Barreau du Cameroun depuis 1996, spécialisé en droits humains et expert technique en criminologie (option analyse comportementale et victimologie). Je suis chef de mission du Bureau d’avocats sans frontières Canada en Haïti (projet Accès à la justice et lutte contre l’impunité en Haïti) depuis février 2018.
Ces dernières années, en plus de mes activités de gestionnaire de projet, je me suis particulièrement investi dans la lutte contre l’impunité en matière de violences basées sur le genre — particulièrement les violences faites aux femmes — et la lutte pour l’autonomisation des femmes.

L. N. : Vous avez organisé une formation au nom du Bureau d’Avocats sans frontières Canada pour les avocat.es du Barreau des Gonaïves. Dans quel objectif cette formation a-t-elle été organisée et pourquoi spécifiquement au Barreau des Gonaïves ?

A. F. : Cette formation s’inscrit dans le cadre d’un programme visant à accompagner une nouvelle génération d’avocat.es engagé.es dans la défense des droits humains. La formation cherche à renforcer les capacités d’une trentaine d’avocat.es stagiaires et de jeunes avocat.es aux Gonaïves, en particulier des femmes avocates stagiaires, pour leur permettre de faire une différence en faveur de personnes en situation de vulnérabilité.

Ce programme vise aussi à accroître la place et le leadership des femmes dans la profession. Les femmes désireuses de devenir avocate en Haïti doivent surmonter plusieurs obstacles, parmi lesquels : l’accès à des ressources financières limitées tout au long de leur parcours académique et professionnel ; la difficulté de bénéficier d’un encadrement gratuit lors de la préparation de leur mémoire de sortie ; les différentes formes de violence exercées contre elles, dont certaines font l’objet de harcèlement sexuel lors de leur stage obligatoire ; les stéréotypes fondés sur le genre véhiculés par d’autres confrères, consœurs ou membres de la communauté juridique. Les femmes voulant exercer cette profession en Haïti doivent s’armer de courage et de détermination.

Au regard de cette situation, en partenariat avec l’École du Barreau des Gonaïves et Me Youdeline Chérizard, une classe préparatoire a été organisée en septembre 2018 destinée à 20 étudiantes licenciées en droit en prélude de leur participation au concours d’entrée au Barreau des Gonaïves. Cette classe a permis de susciter l’engouement de 20 licenciées en droit, de renforcer leurs capacités et d’accroître leur niveau de confiance en elles. En 2019, elles ont été assermentées, deux d’entre elles étant même les lauréates de leur promotion, et sont devenues avocat.es stagiaires. Afin de continuer à accompagner ce groupe de femmes avocates stagiaires, nous avons organisé conjointement une semaine de formation continue pour elles et d’autres jeunes avocats de la juridiction des Gonaïves.

L. N. : Comment expliquez-vous la pertinence des thèmes traités lors de la séance de formation et à quel niveau pensez-vous que ces formations pourront aider ces avocat.es dans l’exercice de leur profession ?

A. F. : La formation était axée sur les besoins en matière de renforcement de capacités de jeunes avocat.es intéressé.es par la défense des droits humains et appelé.es à représenter des personnes en situation de vulnérabilité, notamment les personnes victimes de détention provisoire abusive, les femmes victimes de violences basées sur le genre ou les mineur.es en conflit avec la loi. La formation a ainsi porté sur les droits humains, la méthodologie juridique, les droits des mineur.es et la représentation des mineurs en conflit avec la loi et des mineur.es victimes, les violences basées sur le genre, le contenu et la procédure de l’action en habeas corpus. Les participant.es à la formation disposent maintenant de nouveaux outils, connaissances pratiques et théoriques et réflexes pour défendre les droits de personnes en situation de vulnérabilité.

La formation a suscité un engouement important aux Gonaïves. Au regard de l’offre limitée de formation continue pour les membres de la communauté juridique en région, ASFC et ses partenaires sont déterminés à continuer à répondre aux besoins exprimés par les jeunes avocates et avocats sur place.

L. N. : Les thèmes traités pendant la semaine de formation. Sont-ils en adéquation avec les lois haïtiennes ?

A. F. : La formation a été dispensée par trois avocats et juristes haïtiens et deux membres du Barreau du Québec. La majorité des modules de formation étaient ancrés en droit haïtien, notamment ceux portant sur la méthodologie juridique, les recours en habeas corpus et les violences basées sur le genre. D’autres modules étaient davantage basés sur le droit international, dont plusieurs conventions internationales ratifiées par Haïti, tels que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la Convention américaine relative aux droits de l’Homme, et la Convention relative aux droits de l’enfant.

Le National : L’un des fléaux qui menacent le système judiciaire en Haïti est l’impunité. Récemment une responsable d’association de femmes a élevé la voix contre une série de pratique de viols communautaires qui passent royalement sous silence. Pensez-vous réellement que ces formations permettront aux participants de s’attaquer à ce fléau ?

Appolinaire Fosto : Oui, cette formation a permis de partager avec les participant.es des outils et bonnes pratiques juridiques dont ils pourront se servir dans la représentation de victimes ou de personnes accusées dans des cas de violences basées sur le genre. Plus globalement, la formation a permis de sensibiliser les participant.es et de susciter une prise de conscience sur les questions d’égalité des genres, les conséquences de leurs comportements au tribunal sur les victimes ainsi que l’impact des violences basées sur le genre sur elles et la société en général.

Nous avons pu observer un début de changement de perceptions des participant.es, notamment sur les notions de consentement, de l’impact de la masculinité dominante sur la société et des conséquences de comportements violents ou discriminatoires sur les femmes avocates. Nous sommes conscients que les changements plus importants ne peuvent qu’être observés à plus long terme à la suite d’un ensemble de débats, formations et d’échanges continus sur ces enjeux importants. Nous demeurons engagé.es à collaborer avec les avocates et avocats des Gonaïves et d’autres juridictions pour contribuer à la lutte contre l’impunité des violences basées sur le genre.

Lesly Succès

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