« La vaccination est un « contrat social », selon la psycholo-gue Cornelia Betsch

Malgré les succès des vaccins dans l’histoire de la médecine, beaucoup de gens refusent de se faire vacciner. Dans une interview (1), la psychologue Cornelia Betsch en explique les raisons tout en donnant quelques idées pour changer la donne.

« Très peu de gens rejettent les vaccinations du revers de la main ; tout au plus deux à cinq pour cent de la population sont de véritables opposants à la vaccination », indique la psychologue. D’où vient alors cette hésitation ? Trois choses joueraient, précise-t-elle, un rôle : la peur des effets se-condaires, la difficulté d'intégrer un rendez-vous de vaccination dans une routine quotidienne stressante et surtout un manque actuel de connais-sances. « De nombreux employés d'hôpitaux, de cabinets médicaux et de maisons de retraite ont beaucoup de questions sans réponse et transmettent cette incertitude dans la mesure où ils sont souvent les premières personnes à qui des amis et des connaissances demandent leur avis sur le vaccin anti-coronavirus ».

Cependant, dans les cliniques où l'on compte de nombreux patients atteints de la Covid-19, on rapporte que la plupart des employés attendent le vaccin avec impatience. C’est parce que, selon Betsch, les perceptions changent « lorsqu'un collègue est mort du virus ou que vous avez dû emmener une personne morte en chambre froide ». Plus l'expérience est immédiate, plus on évaluerait son propre risque.

En Allemagne, les gens qui se feront vacciner s’élève actuellement à 61 %. Un nombre non négligeable. Le fait que ce chiffre ait augmenté ces der-nières semaines est lié à la confiance croissante dans la vaccination. « Les vaccins sont utilisés partout dans le monde en ce moment, sans qu'il n'y ait de catastrophes médicales, explique l’experte. Mais à l'inverse, cela signifie que cette confiance peut rapidement retomber si quelque chose de grave devait se produire – même s'il s'agit d'un cas isolé ».

La scientifique déplore le fait que les points de vue des adversaires de la vaccination et ceux des autres scientifiques soient discutés en public comme s'ils étaient sur un pied d'égalité. Il existerait, dit-elle, un « consensus scientifique », c'est-à-dire une opinion unanime de nombreux scientifiques sur la sécurité et les avantages des vaccinations. « Les partisans de la vaccination argumentent sur la base de ce consensus, qui repose sur des données relatives à la vaccination, constamment révisées. Les opposants à la vaccination, en revanche, ne changent généralement pas d'avis, même lorsque les données sont en contradiction avec leur point de vue. Mais pour le public, il semble que leur opinion isolée ait la même force. Cela rend les gens peu sûrs ». Hésitants.

Un contrat social

Betsch pense qu’il revient plutôt aux experts de répondre aux questions posées dans des vidéos douteuses, mais très prisées. Si on offre aux adver-saires de la vaccination la parole, le public ne sera pas correctement in-formé, pense-t-elle. Dans ses enquêtes, elle a constaté que la plupart des gens disent qu’ils préfèrent être informés sur les vaccinations contre le co-ronavirus par les programmes de diffusion radiophonique et par leurs médecins.

De plus, l’experte considère la vaccination comme un « contrat social » dans la mesure où « nous en profitons tous ». En nous faisant vacciner, nous acceptons de nous protéger mutuellement contre l'infection. « Et si vous ne respectez pas ce contrat, cela entraîne non seulement une maladie potentiellement mortelle, mais aussi des troubles sociaux dans une so-ciété ». Un tiers de la population ignore encore, d’après les résultats des recherches de la professeure, que le coronavirus peut être transmis par les aérosols. De plus en plus de jeunes gens sont maintenant placés en unités de soins intensifs avec la Covid-19, ajoute-t-elle. Ceux qui savent tout cela seraient, conclut-elle, plus réceptifs aux avantages de la vaccination. Aussi juge-t-elle important de soutenir maintenant les médecins dans leur rôle d'éducateurs.

Aux hommes politiques, Betsch conseille d’introduire un peu plus de con-currence quand le vaccin sera disponible, une sorte de classement montrant le résultat de chaque pays dans la lutte contre le coronavirus, comme l’avait fait l’OMS jadis avec la rougeole. « On pourrait profiter du fait que personne n'aime avoir l'air d'un raté ».

À ce sujet, Betsch pense à un plan gradué qui prévoit des restrictions dans la vie publique en fonction des valeurs d'incidence et peut-être d'autres in-dicateurs importants. « Si les gens ne sont toujours pas autorisés à aller manger une pizza dans leur propre ville, mais que les restaurants du quar-tier voisin sont ouverts parce que le nombre de cas y est faible et que la plupart des habitants ont été vaccinés, cela pourrait entraîner une aug-mentation de la volonté de se faire vacciner ». Les gens se rendraient compte que les éventuels assouplissements des mesures dépendent de leur propre comportement. Cela motiverait les gens et aurait probablement aussi un effet positif sur l'acceptation des autres mesures. Il serait aussi judicieux de facturer les assureurs santé pour les réponses aux questions sur ce vaccin. « Et pour faire vacciner le plus grand nombre de personnes possibles, on doit s’assurer que les rendez-vous sont disponibles rapidement et que les gens ne doivent pas voyager loin ».

Le dernier sondage de l’équipe de Betsch montre que « les Allemands ont actuellement moins confiance dans le gouvernement qu'à tout autre mo-ment depuis le début de la pandémie ». Beaucoup de gens ne veulent pas être informés sur le coronavirus par le gouvernement « parce qu'ils se sen-tent traités avec condescendance ou manipulés ». Face à ce problème, Betsch suggère que des dirigeants de clubs, des athlètes de haut niveau, des communautés religieuses et des employeurs, etc. fassent ce travail d’information.

Pour ce qui est de la vaccination obligatoire, Betsch pense qu’elle devrait être l'un des derniers recours pour les politiciens. « Beaucoup de gens as-similent la vaccination obligatoire à une atteinte fondamentale à leurs droits civils ». Selon toutes les conclusions, cela peut même conduire à ce que les gens, par agacement, adhèrent moins aux autres règles de protection contre l'infection. C'est pourquoi elle conseille de chercher à savoir plutôt ce qui empêche les gens de se faire vacciner.

Huguette Hérard

Notes
(1) « Spiegel », 4 février 2021. Interview de Katherin Rydlink et Katja Thimm.
(2) Professeur de psychologie et de sciences de la santé à l'université d'Erfurt (Allemagne), Cornelia Betsch est depuis le début de la pandémie en charge du projet dénommé « Cosmo », qui examine l'état psychologique de la population. Les enquêtes hebdomadaires sont entre autres soutenues par l’Institut de santé Robert Koch et le Centre fédéral pour l'éducation à la santé.

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