L’Haïtien Jude Joseph est un conteur confirmé. Celui qui exerce avec professionnalisme cet art si singulier serait-il en train de remplacer notre inoubliable Mimi Barthélémy de regrettée mémoire ? Cela en a tout l’air.
J’ai eu la chance autrefois d’avoir été convié à des séances de contes, ces soirs magnifiques où la lune dansait la samba avec les étoiles dans le beau ciel de la Petite Rivière de l’Artibonite. Sur la véranda, les enfants s’asseyaient autour de madame Grand Pierre, à même le sol, agglutinés à ses pieds. C’était une très belle femme aux pommettes saillantes régulières et des grains de beauté placés au beau milieu de son visage malicieux, pleine de tendresse pour les enfants que nous étions. « Honneur », c’est avec cette phrase rituelle qu’elle démarrait ses contes et nous avions eu le droit de répondre « respect ».
Ces souvenirs-là me reviennent chaque fois que j’ai l’occasion de voir Jude Joseph sur scène. La dernière fois, c’était dans le cadre du festival « Haïti Monde » à La régulière, un lieu culturel autour du livre et de l'image. Le conteur haïtien parvenait sans difficulté à capter l’attention d’une bonne dizaine d’enfants qui, suspendus à ses lèvres, l’écoutaient religieusement.
Jude Joseph écrit lui-même ses contes. De 1996 à nos jours, il en a rédigé plus d’une trentaine. Son dernier opus Soleil, Vent, Froid, Pluie (1) est un livre à deux voix, celle du conteur et de Missa B, autrice et illustratrice spécialisée dans la technique de la linogravure. Dans cet ouvrage rédigé en français et créole, elle présente de très beaux dessins illustrant chaque conte.
Militant écologiste, Jude utilise cet art pour attirer l’attention de ses contemporains sur le danger guettant la planète terre. Une vingtaine de contes sont consacrés à la sensibilisation des plus jeunes. Des passages abordent le dérèglement climatique sans passer par la tangente :
« Pris de panique, Vent, Froid, et Pluie lui demandèrent à genoux :
Par pitié arrêtez tout de suite ! C’est vrai qu’ils méritent une leçon, mais tu ne vois pas qu’en brillant comme ça, non seulement tu détruis tout, mais tu brûles aussi les femmes et tu carbonises les récoltes.
À cette allure, tu vas assécher les ruisseaux, les sources
et tu finiras tôt ou tard par tarir même les océans.
Soleil réfléchit un instant, petit à petit il disparut et laissa place à Vent qui commençait à le bousculer. »
Sauver la Mère Nature par les contes, voici une idée géniale. Avec de très belles illustrations de Maïssa B., Jude Joseph a le don d’entraîner non pas seulement nos enfants, mais aussi les adultes dans l’univers féerique et oniriques de ses contes philosophiques. Les chutes de ses fables sont toujours accomplies avec beaucoup d’art. Avec tact, il sait livrer ses messages essentiels comme la perturbation de l’équilibre naturel en soutenant notre attention du début jusqu’à la fin. Le but des fables c’est aussi divertir c’est-à-dire plonger l’auditoire dans une ambiance fantastique et drôle, mais aussi lui apprendre des choses essentielles comme l’obligation de protéger la nature .
Acteur de cinéma et comédien
Artiste complet, Jude Joseph est acteur de cinéma et comédien. Ce boulimique du savoir parcourt les centres de formation. Dix-huit mois d’apprentissage au théâtre Paris la Villette, sous la direction d’une actrice connue du cinéma français, Valérie Rabinovitch. Plus de deux années avec l’association théâtrale Opéra bleu, sous la direction de Sylvie Favre et de Romain Bousquets, deux vedettes du cinéma en France. C’est sur le ring qu’il apprit les bases du métier.
À part Mimi Barhélémy, beaucoup de grands écrivains haïtiens se sont intéressés aux contes. Georges Sylvain en est un. En 1990, cet auteur a traduit en créole haïtien les fables de La Fontaine, sous le titre Cric crac, en l’adaptant à la culture haïtienne. Pareil pour le grand écrivain haïtien Jacques Stephen Alexis, dont nous avons célébré le centenaire en 2022, qui a créé les personnages de Bouki et Timalice que tout Haïtien digne de ce nom connaît.
On constate que, malgré l’état déplorable de leur pays, les Haïtiens continuent de créer, contre vents et marées. Chaque rentrée littéraire en France donne un aperçu convaincant que la littérature haïtienne se porte bien. Les deux finalistes du prix Goncourt 2022 - Philippe Dalembert et Makenzy Orcel – en sont la preuve. « Il y a des pays qui aimeraient tant aimer avoir cela », m’a dit un ami diplomate nippon, lorsqu’il a appris cette nouvelle. « Votre pays est un géant de la culture, de l’Histoire avec vos peintres, vos écrivains, vos artistes, votre musique, vos créateurs dans tous les domaines, vous pouvez soulever le « monde » une fois que vous aurez réglé ce problème politique qui a trop duré ». Il ne croyait pas si bien dire et le militantisme littéraire et l’engagement écologique de Jude montrent que les Haïtiens résistent et refusent de se laisser abattre.
Maguet Delva
Notes :
(1) Soleil, Vent, Froid et Pluie, édition Les Xérographes, collection Écolographes, 21 juin 2023, 40 pages.