Il n’y a pas longtemps que je voulais frotter mon esprit à ceux que j’appelle ainés. Les, surtout, rendre hommage, faire corps avec ceux qu’ils ont comme pertinente proposition littéraire. Il faut vous le confier tout bas, les ainés, ont parfois le chagrin de ne plus profiter de leur jeunesse pleinement (c’est un petit passage). Du haut de mes 22 ans, j’ai toujours tout cru que faire de la littérature et prendre sa position est un devoir nécessaire. Alors, je l’assume et le matérialise, pourtant je ne suis pas encore dans la littérature, tout comme beaucoup d’entre nous. Il y a longtemps que mon esprit hésite à écrire quelque chose sur le professeur et écrivain de son état, le fameux brillant local en l’occurrence Caleb Shakespeare, qui a fait la Une du journal de la street avec son mot le plus cité, sa mouvance appuyée par des buveurs, amants de la vie et de l’éternité qu’est « lavivans », une nouvelle culture, une contre-culture.
Si par essai de décryptage étymologique, j’élabore une définition de ce « secte, clan, mouvement » ou encore de cette « mouvance » qui tend à vivre pleinement la vie, la considérant comme une sucerie de bon marché en soulignant à grands traits des ustensiles ou lieux d’activités qui pourrait nous rendre immortels, comme l’art, la littérature et l’enseignement. Il ne m’est pas tolérable de dire n’importe quoi qu’en attendant le géniteur du concept, le meneur de l’idée. Cependant, Caleb Shakespeare, je l’ai beaucoup attendu. Il m’a déjà posé mille et un lapins, et la faute grave, ce ne serait pas de parler de sans lui, mais de ne pas parler pour lui jusqu’à en ignorer son souffle, son projet de cœur.
Le mot-valise est construit, si l’on peut le deviner, par les mots créoles suivants ; viv et rans, ce qui devient « vivans » une fois enlevé le r dans « rans ». Le premier renvoie directement à la vie et l’autre fait référence à deux propositions sémantiques, comme « rans » qui se traduit comme « rance » en français, ce mot, prenant une double signification ; en premier comme quelque chose d’absurde et en deuxième il renvoie au goût. Des mots sont dérivés de lui, par exemple ranse (faire rire les autres), ransay (des blagues) ransè (plaisantin). Tous ces thèmes développent un rapport étroit et constant avec ce qu’on considérait la vie, comme étant le point focal du plaisir, du rire. C’est presque habiter le monde, encore, par le propre de l’homme qu’est le rire comme l’aurait dit l’autre. Est-ce parce que ce peuple, pour reprendre Jean Price Mars, est un peuple qui danse, qui rit et qui pleure ? La vie des viveurs a-t-elle un goût de rance ? Seraient-ils des gens qui vivent la vie comme une absurdité, un jus de rance ? Toutes ces questions qui resteront sans réponses claires ici n'auront pas leur place.
Du coup, je persiste à penser que « lavivans » serait une libre circulation de la joie dans nos cœurs. Une porte qui s’ouvre pour la débauche, le rire, la danse, la nourriture et les harmonies en société. Ce n’est pas un pont. S’il en est un, je ne l'imagine pas entre la créativité et l’éternité. Ni entre les normes et la déviance.
Revendiquer le droit d’être soi-même, tout en pensant à l’insertion sociale. Faire fi de certains codes ainsi que le statut pour mieux profiter de la vie. Créer ou veiller. Créer ou crever. Proposer pour ne pas mourir. Danser pour oublier. Oublier le monde en utopie. Vulgariser les informations utiles car la connaissance émane d'elles, le savoir transformateur aussi. Lutter en écrivant en compagnie de ceux que la gérontocratie méchante, écrasante tue. Si les visibles incertitudes de ce pays nous demandent d'inventer sa propre joie pour passer les jours, « lavivans » en un est un résultat de « prétexte d’habitat national », j’entend ici par prétexte d’habitat le moyen que l’individu haïtien utilise, en se responsabilise de son sort ou encore l’Etat, pour vivre.
Pour un véritable « vivè », ceux qui veulent vivre ont peur des horreurs, des normes. Ceux qui veulent vivre, écrivent. Ah, je voulais dire que ceux qui veulent l’éternité pratiquent l’art. Font du théâtre, du slam. Ceux qui veulent vivre inventent des cachets quand les pierres des principes les abattent. Ceux qui n’habitent pas dans d’autres maisons que celles qui ont des portes couleurs d’alcool, odeurs d’amour et de fleurs de créativité aux alentours. Ils boivent, ils parlent d’amour, de poésie, de littérature, de crise. Ils jettent des mégots, pleins de problèmes collés à la peau. Ils profitent de l’instant. Ils aiment leur vie : « Ô que j’aime ma vie/je ne veux plus mourir moi-même », ces deux vers sont beaucoup répétés par des gens qui se revendiquent adeptes premiers de cette nouvelle mouvance à Petit-Goâve. Ils ont même flanqué dans des maillots collectionnés pour une bande rara, au cours de la période pascale, en l’an dernier, soit avril 2023. « Lavivans » a un public, il a capté l’attention. Depuis lors, j’ai mis pas beaucoup de temps à comprendre que le génie de l’ancien acteur et dramaturge de la ville de Dany Laferrière est à féliciter.
L’hymne de ces mecs de la marge, du soubassement de leur corps social est d’une poésie pleine d’intérêts. Cet hymne à la vie et au refus de la mort par le bonheur qui les habite me fascine, me tente. Cet excessif et interminable désir de vivre n’est pas dans tout le monde. Mais les gens pensent avoir tout compris de leur fin de vie.
Chez eux, l’amour est le clairon. Petit message : aimer. Aimer les autres. Boire et danser. Aimer la vie. Prendre le plaisir, surtout, avec limites, pour passeport quand la vie vous assène de coups regarder la vie en face, construire ton clan d’opposants, se lancer, pour prendre l’envol dans un interminable travail de soi, s’aimer sans fatigues, parce qu’il restera que toi quand l’air sera vide et que le sol sera plus vraiment pour soutenir : toi et tes calamités, et les calamités c’est à quoi, qu’on court après qu’on est viveur.
Ce qui fait un bon typique du mouvement, c’est son taux d’énergies à tout foutre en l'air, son acharnement à rêver l'éternité par le biais de ces créations, il pense à ses œuvres perdurent il ne rate aucune occasion de penser qu'il restera toujours vivant. Il consacre ses engouements à la compréhension de l'humain pour mieux agir. Mieux habiter l'espace, savoir ne pas s'en prendre aux autres qu'en revendication de la diversité des mœurs personnalisées. Les adeptes de ce clan sont nombreux. On est suivi par tout un pan d’individus considérés comme des déviants notoires, qui dans une conception Baudelairienne de la vie, s’enivrent de tout, jour et nuit. La leçon, de ce poète maudit, est sue et appliquée par les nouveaux beats haïtiens, qui comme la sainte trinité Burroughs, Gainsgurg, et Kerouac ne larguent pas pleinement les hamacs. Je crois que personne ne va me dire pourquoi Caleb fait souvent ses petits retraits sociaux parce qu'il mets fin au projet d'être un grand penseur de "lavivans"
Il ne me reste pas à dire grand chose sinon que ce mouvement est un projet de vie. Que les théories ne manquent pas, les théoriciens ne sont plus aptes à porter le projet en grand plan devant la scène. Je crains sa fin brute et décevante. Parfois, il est si bon de préserver ce qui nous aide à vivre, je dis malheur sur nous lorsqu’on oublie ceci. En un mot, prêtons attention à notre mémoire d’hommes forts et patrimoine.
Kerby Vilma
Petit-Goâve, Haïti