Nos politiciens: la beauté d’une promesse pour la mort par l’esthétisation mutuelle des vérités

En Haïti, depuis près d’une trentaine d’année, les discours politiques sont souvent teintés de promesses séduisantes qui masquent des réalités difficiles. Pourtant, derrière cette façade séduisante se cache souvent une réalité plus complexe. “L’esthétisation des vérités”. Cette tendance à embellir les faits pour séduire l’électorat soulève des interrogations cruciales. Notamment, Comment ces promesses, souvent irréalistes, façonnent-elles notre confiance dans le système politique ? Sans oublier le recours constant aux pratiques chez nos politiciens pour des raisons divers. À l’approche des fêtes de Guédés et la mise en place récemment du CEP, Le National a rencontré Orso Antonio DORÉLUS, Esthéticien pour interroger le rapport entre la communication politique, l’ésthétique et la perception publique.

Le National: Comment peut-on comprendre le rapport du politicien haitien et les Guédés qui sont les dieux des cimétières?

Orso Antonio DORELUS: Le rapport entre l’homme et le pouvoir est une lutte contre l’échec. L’homme politique a peur d’échouer en ce sens qu’il est déterminé à ne pas connaître la mort symbolique de la politique. Il cherche par tous les moyens à rester vivant et obtenir le pouvoir. Autrement dit,  il aspire à devenir cette conscience qui domine sur toutes les autres consciences par le renouvellement des personnalités politiques en combattant toute forme de réjection.  En ce sens, selon Jacques Rancière, «la représentation est devenue un métier exercé par une classe de politiciens professionnels qui, pour l’essentiel, s’auto-reproduit et fait valider cette autoreproduction par la forme spécifique de peuple qu’il produit, à savoir de cette classe en choisissant entre ses fractions.»

C’est ainsi d’après Marc Abélès, « la mort politique hante nos dirigeants et l’une de leurs grandes préoccupations consiste à assurer leur survie dans cet univers sans pitié. Ils cherchent par tous les moyens [...] à « persévérer dans [leur] être.» C’est-à-dire celui qui a le pouvoir veut le garder et celui qui ne l’a pas veut se le procurer. Seul le pouvoir donne des garantis de survie et se faire maître de son destin. Celui qui n’a pas le pouvoir n’est pas le maître de ses actions, il vit en hiatus, il doit toujours plier à la volonté de l’autre. Puisque l’homme pragmatique « n’y jouit de ce qu’il fait de soi, d’autrui et des choses qu’à condition de pouvoir les réduire aux effets qu’il sait qu’il veut et qu’il doit y produire, à des effets conformes à ce qu’il escomptait, à des effets réussis.», dit Jacques Poulain.

 Dans ce rapport de la politique et la mort, dans la société haïtienne celui qui a le pouvoir, c’est celui qui contrôle la vie et la mort. C’est en ce sens que les esprits de cimetières et des morts, les Guédés qui sont des lois politiciens parce qu’ils gouvernent le monde des morts, symbolisent la puissance absolue du pouvoir. Ils sont les dieux des morts-vivants car dans la tradition vaudouesque, il existe une vie après la mort et ces derniers peuvent aussi donner la mort. Leur pouvoir transcende le temps et l’espace. En ce sens que « tout pouvoir est pouvoir de vie et de mort», dit Maximilien Laroche.

Ainsi, l’homme politique haïtien, s’inspire de cette conscience d’expérimentation généralisante des Guédés qui consiste à tout vouloir dominer, tout contrôler ou encore comme la figure du dieu de la parole dans le monothéisme juif. En s’identifiant ainsi, il «neutralise tous les rapports d’harmonisation des actions consommatoires aux actions motrices en les rendant arbitraires.» En ce sens que l’homme politique devient agressif envers soi-même et autrui dans un souci d’affirmation de soi et domination. Et le bien suprême que vise l’institution politique apparaît comme un leurre.

 

Le National: Mais, les esprits Guédés ne sont pas seulement des loas politiciens, ils ont la réputation d’être beaux. Comment peut-on construire cette analogie entre la beauté du politicien haïtien et les Guédés?

Orso Antonio DORELUS: Si dans cette conception du pouvoir l’homme politique doit éviter la mort politique, il doit aussi être beau comme les esprits ou les loas politiciens Guédés. Ce que raconte une chanson traditionnelle qui montre à la fois que l’esprit Guédé est beau et politicien. Ces esprits Guédés ou encore ces loas politiciens du vaudou, lorsqu’ils chevauchent un adepte se manifestent toujours avec le visage remplit de la poudre blanche dans le sens qu’ils se maquillent. Non seulement ils se maquillent, ils portent des lunettes. Le vrai visage du serviteur est caché pour prendre celui des dieux des cimetières et de la mort. Ce qui permet de comprendre que si les vêtements symbolisent le type de pouvoir chez les esprits Guédés -comme le blanc pour le député et le noir pour le sénateur -,  le maquillage et les lunettes font partie de son attribution de bèl gason (beau garçon)ou d’élégance. 

Ceci dit, pour l’homme politicien, la beauté compte beaucoup. Cette beauté qu’il crée soit par son image soignée ou travaillée au moment des élections ou par son discours en s’identifiant aux codes affectifs ou au foyer sensible de ses compatriotes. Dans ce contexte, celui qui cherche le pouvoir politique, doit d’abord chercher à faire jouir les organes sensoriels (l’ouïe et les yeux ) de ses compatriotes avant de pouvoir jouir la chose politique comme les esprits Guédés qui sont également des esprits jouisseurs (le sexe, le rire et déhanchement, etc.).

 

Le National:  Dans ce cas, peut-on parler d’une d’esthétique politicienne par la parole entre les politiciens et la population?

Orso Antonio DORELUS: Les grecs ont été sans doute les premiers à découvrir la dimension anthropobiologique de l’esthétique, en ce sens qu’elle n’est pas extérieure au vivant humain, elle est intrinsèquement liée à son conditionnement biologique et psychique. Autrement dit, en réglant sa vie à l’usage de l’écoute depuis dans le babil (la prosopopée originelle), le nourrisson projette des sons dans le monde pour pouvoir se fixer et se réjouir de sa propre énonciation. Cette source de jouissance communicationnelle qui lui rappelle la voix de la mère dans l’écoute intra-utérine. Celle-ci qui a été rendue possible par la colonne vertébrale comme canal qui favorise la circulation et le filtrage des sons «aigus». Et la voix de sa mère qui constitue la «pâte sonore» sur laquelle va greffer le langage.

Ceci dit, en percevant les sons projetés comme une réponse du monde ou une sorte de biofeedback dans les termes de Gergely, il accouple sa structure audio-phonique comme satisfaction en identifiant ses besoins. Ce besoin consensuel d’appel et réponse qui lui soit favorable, qui lui permet de vivre son bonheur, il entend le transférer dans le monde, dans son environnement et même créer des œuvres artistiques.

En se référant aux grecs, chez eux, la rhétorique  était considérée comme un art dans le sens qu’elle peut susciter des émotions: l’art oratoire. Cependant à «l’age technologique» la pragmatique remplace la rhétorique comme étude des figures et des effets de discours. Ainsi, la mission de la pragmatique consistera de fournir  à l’homme les outils nécessaires afin de créer l’effet de conviction, l’effet appréciatif, l’effet incitatif et enfin l’effet systématique chez autrui. Dans ce contexte, l’homme politique qui est aussi l’homme pragmatique fera l’utilisation de ses usages afin de faire des effets chez  ses compatriotes et obtenir, à son gré, le consensus. Il entend tout régler par la magie du consensus.

Comment s’y prend-il? Puisque toute promesse tend vers le futur et suppose un acte d’engagement surtout quand celle-ci dans sa nature illocutoire s’opère par la transmissibilité déclarative et expressive, l’homme politicien fait son énonciation l’intention de la population. C’est-à-dire de manière protreptique il arrive à convaincre ses compatriotes comme celui qui peut les délivrer de leurs maux sociétaux. Ainsi, sa promesse devient un élément gratifiant pour les deux acteurs puisqu’il donne «l’apparence de servir les intérêts du partenaire». Autrement dit dans ce contexte d’expérimentation politique mutuelle le locuteur (l’homme politique) entend faire satisfaire ses propres désirs par les autres (la population) en prétendant désirer satisfaire les désirs d’autrui (surtout aux élections).

Cette sincérité qui devient insincère quand il s’agit de mettre les promesses en action. L’allocutaire (la population) fait alors l’expérience que son énonciateur (l’homme politique) ne se reconnait pas dans l’obligation de la promesse qui a été faite puisqu’il se désengage une fois obtenu ce qu’il désirait. C’est dans cette perspective que pour les interlocuteurs, selon Jacques Poulain: «Leur connaissance psychologique de leurs partenaires leur semble inéluctablement, d’un point de vue rétrospectif, n’avoir été qu’une présomption, un rêve parapsychologique et le comportement d’autrui leur apparaît par contraste aussi imprédictible que l’efficacité réelle des astres ne semble l’être à la longue aux clients des astrologues.»

En d’autres termes, l’Equipe de transition qui dirige actuellement Haïti,  avait pris le pouvoir dans le but de combattre les gangs armés. Des promesses ont été faites. Pourtant six mois après la population ne sait à quel saint se vouer. Les gangs pillent, tuent, violent, kidnappent, incendient les maisons de plus en plus et continuent à agrandir leurs territoires.  Qu’est-ce qu’elle fait cette équipe? Elle ne fait que assister à cette situation qui l’érige en chaman puisqu’elle n’a pas la solution. Autrement dit, sa nature totémique l’empêche de chercher à résoudre les problèmes puisque c’est à partir de ces derniers qu’elle tire sa condition d’existence. Ceci dit, tant que la crise existe, elle donnera naissance à cette forme d’institution sublimatoire.

 

Le National: En résumé, qu’est-ce vous pouvez dire sur la situation actuelle du pays, surtout c’est la fête des Guédés?

Orso Antonio DORELUS: Je peux résumer en ces termes, tout comme les Guédés qui sont des esprits politiciens et des morts, l’homme politique haïtien, à chaque fois, se dote d’un masque séductif, ou de se conformer protréptiquement face à la population avant de pouvoir jouir la chose politique, pour ensuite envoyer cette même population vers la MORT:  «Nous mourrons tous!», écrira le romancier Jacques Roumain. On vit la beauté d’une promesse pour la mort...

 

Propos recueillis par

Lesly SUCCÈS

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