Politique de la fête !

Politique de la fête !

(de fêtard à militant)

« L’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice »

J’ai toujours pensé qu’il y avait quelque chose de subversif dans la plupart des rassemblements festifs. Comme si, à n’importe quel moment, pour une raison ou une autre tout « party » pouvait devenir révolte, voir, révolution. Si on prend l’image du tremblement de terre : toute la société finissant par subir de violentes secousses dont l’épicentre serait cette fête d’anniversaire. Et je n’exagère pas ! Bien que n’étant pas un grand fêtard j’ai très vite compris (senti ?) tout ce que ce moment ouvrait comme possibilité. Grosse ou petite, large ou étroite, l’instant de la fête, je le perçois toujours comme étant porteur – de manière embryonnaire – d’un événement. Ce spectacle de tous ces corps alcoolisés, drogués, désinhibés, relâchés dans le même espace, bougeant ou s’entrechoquant au son de la même musique… ce spectacle donc, d’un point de vue économique et social, à quelque chose de contre-intuitif. Il relève définitivement de l’hubris. Avec le risque du débordement, la fête, c’est souvent presque le désordre.

Mais la fête c’est peut-être d’abord l’oubli. Celui de notre incapacité à agir sur le réel. Par là elle devient rituelle. C’est-à-dire, dans l’optique de Frédérique Ildefonse, ce moment qui nous décharge du poids d’un sens. Dès lors, elle nous permettrait de surmonter la violence du quotidien. Face au non-sens de cette violence la légèreté de la fête-rituelle. En effet, la fête se ritualise (mute ?) lorsque la violence atteint son paroxysme. Ce déchaînement de l’horreur que nous vivons à Port-au-Prince ou ailleurs, qui remet en question la valeur de nos vies en modifiant notre rapport à la mort, en plus de nous mettre face à notre incompétence, nous enferme et fait naître en nous ce besoin d’un rituel. Pour certains c’est la religion le refuge, pour d’autres, les volutes de fumées, l’alcool et la musique offrent une option plus que suffisante. Elle serait donc – cette seconde option – en contournant la transcendance, la plus proche de nous. D’où la pertinence de cette musique nommé « nou prale » de Ng mix, Vag lavi et Busyman où injonction nous est faite de profiter à fond de notre passage sur terre. « jwi lavi, boule kòb » tel est le crédo. Car, la fête se ritualise, lorsque tout échoue, jusqu’à « l’arme de la dialectique ». Fin du logos, fin de l’histoire, bref, l’entrée dans la peur, dans l’absurde et toutes ses démesures.

Ce temps du plaisir qui repose, c’est peut-être ensuite, celui de la création. Le lieu de la fête devenant alors creuset où le réel se reformule. J’en veux pour preuve les exemples suivant : la prohibition et l’avènement du bebop, le stonewall In (bar gay clandestin de New Yorka) où les descentes de police sont régulières, Margaret Thatcher et la rave party. Avec d’un côté l’autorité de l’establishment et de l’autre des espaces festifs qui résistent. Dans le premier cas, il semble que l’interdiction de l’alcool favorisa le développement du Jazz. En effet, cette économie informelle contrôlée par la mafia donnera lieu à d’autres formes de soirées (clandestines) où boissons et musiques afro-américaines feront bon ménage. Pour le second cas, le stonewall In sera le théâtre d’une descente de police mémorable le 28 juin 1969. Elle causa une émeute puis déboucha sur la première gay pride. Le troisième cas c’est celui de la jeunesse anglaise puis européenne jouant au chat et à la souris avec le pouvoir au son de la techno : « C'était le rituel toutes les semaines, tu te perdais, tu mettais deux, trois heures à aller dans une rave, mais c'est ça qui était drôle, c'était un jeu de piste ». Cette musique perçue comme dégénérée, fait chanceler les institutions. Ces espaces qui ne manquaient pas de drogues pouvaient réunir jusqu’à quinze mille personnes. Aussi voit-on que le lieu de la fête n’est jamais neutre. Parce que générateur d’éléments nouveaux. Et toujours, soit pour une question de morale ou une affaire de nombre, il interpelle l’ordre en place.

C’est ce que nous raconte la réalisatrice britannique Nima Nourizadeh avec son film : Projet X (2012). Elle y met en scène des adolescents encore au lycée : Costa, Dax (le caméraman), JB et Thomas. C’est l’anniversaire de Thomas et sous l’impulsion de Costa, ils veulent fêter ça correctement. Mais, dès le départ, pour les quatre, ce n’est pas qu’une fête. C’est l’occasion de rencontrer des gens, de se faire dépuceler, de se défoncer, d’avoir de la popularité. Bref, toute la suite de leur vie dépendra du bon déroulement ce party. Toutefois, les choses vont commencer à dégénérer – on a le sentiment que la fête devient meilleur à partir de là – lorsque l’un des voisins frappe à la porte pour demander avec insistance l’arrêt de l’anniversaire à cause du bruit et parce qu’il est tard. Bien entendu Costa refuse et ça se dénoue par un coup de taser que reçoit le voisin d’un mec de quatorze ans qui fait partie de la sécurité et qui, pour sa part en réponse, se mange un coup de poing au visage. Et ce n’est que le début. Entre danses débridées, prise de drogues (de l’ecstasy) massive, la sauterie décolle. Puis arrive une première patrouille de police renvoyée par Costa qui fait montre d’une belle connaissance de la loi et d’un aplomb naturelle. À partir de là, l’anniversaire explose. L’adresse fuite sur internet. Ils sont au moins deux mille ! Thomas panique, Costa rassure. De toute façon la fête ne doit pas s’arrêter. La maison des parents de Thomas finit à moitié incendiée, un nain est flanqué dans un four, une voiture se retrouve dans la piscine. Tellement de monde que l’on parlera d’émeute et les forces de l’ordre auront toutes les peines du monde pour la contrôler cette foule de fêtards en délire. Une lutte s’engage alors entre les deux camps au cri de « pas de police ». Mais la vie de nos protagonistes ne sera plus jamais la même. Cette simple fête est devenue « épique ». Comme le dit Thomas, « ils étaient assez nombreux pour que ça soit cool ». Après cette fête c’est la nouvelle naissance. Thomas reçoit le respect inattendu de son père qui ne soupçonnait pas ce feu en lui. Puis, avec ces autres compères, l’acclamation de toute l’école. Costa l’affirme à une journaliste qui l’interroge, ce fut : « la plus grosse fête de tous les temps ».

Je pense que Nima Nouziradeh touche avec ce film quelques points qui nous intéressent. Premièrement, le lieu de la fête est une hétérotopie. C’est-à-dire qu’il obéit à ses propres règles en tant qu’espace autre. On voit bien que ces jeunes gens qui n’avaient au départ – dans le mode ordinaire – aucune confiance, aucun charisme, aucune relation, qui n’arrivaient pas à conclure, se métamorphosent littéralement pendant le moment des réjouissances. Ce qui crée un avant et un après. Ensuite, Nima N. nous montre qu’une fête d’anniversaire peut se changer en émeute, voire en révolte ponctuelle. Elle se transforme, en effet, et devient problématique, lorsqu’elle tend à se déverser dans la rue suite à ce qui s’apparente à une déchirure de l’espace-temps de l’hétérotopie. Bien sûr l’une des causes de cette fracture c’est le nombre. D’où l’inquiétude que soulève le fêtard quand il devient foule. L’exemple de cette fête d’anniversaire de cette jeune néerlandaise de seize ans qui tourne au drame est très parlant : La police antiémeute est intervenue vendredi soir aux Pays-Bas pour contenir les quelque 3000 personnes ayant répondu à l'invitation, accidentellement rendue publique sur Facebook, d'une adolescente de 16 ans à fêter son anniversaire. Le maire raconte : « Un appel innocent sur Facebook à faire la fête a mené à des émeutes, des destructions, des pillages, des feux et des blessés dans le centre de la ville »a. 

C’est donc tout ce qu’il nous reste dans ce pays en crise. À savoir, l’obligation de se donner des poches d’hétérotopies soit pour oublier, soit pour se révolter. Mais on voit bien qu’il y a dans cette démarche quelque chose désespérant. Cela dit, plutôt que de rester cloitrer en devenant hikikomori, autant faire de l’horreur du quotidien une fête interminable.

 

 

 

Fabrice TORCHON

Ecrivain   

 

 

[1] Affirmation du général Pétain dans un discours le 17 juin 1940.

[2] Frédérique ILDEFONSE, Il y a des dieux, Puf 2012.

[4] Brève histoire des fêtes clandestines : quand le divertissement entre en résistance. Disponible sur : https://www.franceculture.fr/societe/breve-histoire-des-fetes-clandestines-quand-le-divertissement-entre-en-resistance.

[5] Laurent Garnier, Dj et témoin de l’époque, in, Techno Story réalisé par Sylvain Desmille et Pascal Signolet, 2004.

[6] Dans le sens de Michel Foucault qui nous présente l’hétérotopie comme l’utopie matérialisé, la localisation de l’imaginaire. Voir, https://www.youtube.com/watch?v=lxOruDUO4p8 , ce passage à la radio du philosophe en 1966.

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