Érotisme solaire et figure de la femme dans « Marabout de mon cœur» de Émile Roumer

Le fait littéraire haïtien fourmille de textes où les écrivains de différentes périodes, appartenant à des genres divers ont exploité dans leurs œuvres la figure de la femme haïtienne. Coriolan Ardouin a pleuré notamment sur le « Tombeau d'Emma » en des accents lyriques, transpirant d'émotions à la limite douloureuses. Oswald Durand, chanté ses amours pour Idalina, La fille du blanc, et l'immortelle Choucoune.

Au XXème siècle, Cléante Valcin a peint la figure de la femme sous l'occupation Américaine d'Haïti (Blanche Négresse), Roumain, lui a opposé la figure dynamique de Délira et d'Annaïse. Marie Vieux Chauvet, elle, a dessiné au silex la figure féminine dans la lutte contre la dictature des Duvalier. Ainsi demeure-t-il sur un angle paradigmatique la figure de la femme constitue un thème récurent qui a traversé la littérature nationale. Mentionnant finalement en littérature haïtienne d'expression créole, les chansons « Fanm peyi m » Ansy Dérose et “ Fanm kreyòl » de Bélo ( Jean Belony Murat).

 Aussi « Marabout de mon cœur» d'Émile Roumer demeure un élément fleuri du puzzle intégrant cette thématique dans le fait littéraire haïtien.

 

L' Érotisme solaire: Regards

Si l'expression « Érotisme solaire » reste intimement liée à l'œuvre de René Depestre , celle-ci peut être définie comme la place de la femme, telle « des êtres humains à égalité, des êtres pour ( Depestre) délicieusement différents dans le réel de leur corps, ce «réel merveilleux»¹. Elle ne passe nullement pour des “objets ou pure chair à plaisir¹”. Ailleurs,  Depestre définit-il cette notion telle« un panhumanisme généreux et universaliste, fondé sur une ouverture à ce qui est. Il met la femme à sa vraie place, au coeur du réel et de la vie». 

Michel Onfray, dans «Théorie du corps amoureux: Pour une érotique solaire» (2001) en opposant l'idéal ascétique, pythagoricien, juif, chrétien à l'idéal épicurien, cynique, hédoniste (i), vécut l'érotisme solaire comme cet “idéal ( l'idéal épicurien) qui invente la liberté amoureuse, la chair sans culpabilité”. Le philosophe M. Onfray «promeut un éros léger, formule physiologie des passions».

L'érotisme solaire paraît ainsi la célébration libérée du corps de la femme comme générosité, élan d'égalité, découverte, la chair vécue sans accès à la culpabilité, ouverture, « réel merveilleux». 

 

Marabout de mon cœur: figure la femme haïtienne et Érotisme solaire

« Marabout de mon cœur» témoigne de cette double thématique croisée: la figure de la femme ( haïtienne) et l'érotisme solaire. La thématique “femme” y demeure couplée aux délices que procurent les plats frugaux locaux ou haïtiens. Qui n'eut pas à savourer des «acras croustillants», des plats fumants, diondion avec du riz », une crabe en aubergine », le doumboueil aux pois, un thé de z’herbe à clou, des mandarines ».

Le poème d’Émile Roumer, « Marabout de mon cœur » extrait de son recueil Poèmes d’Haïti et de France, publié pour la première fois à Paris aux Éditions de La Revue Mondiale en 1925. Mis en musique, « Marabout de mon cœur » célèbre le corps féminin comme un voyage, une découverte, une exploration ( seins, fesse) dans la dynamique de du thème « érotisme solaire». Roumer célèbre le corps, la chair féminine comme une entreprise libérée de culpabilité, heureuse, merveilleuse.

Si le plaisir reste attaché au corps féminin, il reste contrebalancé par les saveurs tirées des plats locaux. Opposera-t-on que le poème décrit sur un angle plutôt hédoniste la femme locale? Le poète Roumer ne saurait sans doute chanter la beauté, la candeur de nos femmes sans la fixer dans une démarche comparative à la frugalité de des plats locaux.  À la lumière de cette approche qu'on peut correspondre notre axe de lecture. 

Roumer porte son regard sur le corps de la femme dans une dynamique libératrice, loin de l'idéal pythagoricien, juif, ou chrétien, qui campe la célébration, la contemplation du corps (féminin) comme objet/ accès au péché. Le barde jérémien jette un regard sans concession, neuf le corps de la femme, célèbre la chair féminine en dehors de toute culpabilité, l'intègre dans le champ de l'érotisme solaire, tel que pensée par Depestre, ou Onfray.

 

Autre axe d'analyse

« Marabout de mon cœur » évolue dans un univers fleuri où la couleur locale imprégnée d'amour; l'amour de Roumer éclot tel un bouquet de feux d'artifice. Le poème fourmille de termes référencés aux plats et fruits locaux “ mandarine, thé z'herbe à clou, crabe en aubergine, afiba, calalou, doumboueil, bœuf salé, couane, acassan au sirop, gargouane, diondion avec du riz, akras, boumba ». 

Certains termes ou expressions employés , definissant les plats locaux, ( notamment akras, doumboueil, diondion, boumba, couane, afiba, z'herbe à clou, acassan ) demeurent typiquement haïtiens n'ayant aucune corrélation à la langue française.

 Marabout de mon cœur s'inscrit inéluctablement dans la démarche indigéniste d'une Littérature qui transpire le vécu haïtien, loin de tout accès rocambolesque au bovarysme. Ce poème peut être lu et étudié dans la dynamique identitaire en corrélat à la culture authentique haïtienne. 

Roumer a par ailleurs réussi à faire le pont entre la langue créole et le français, langue étrangère enseignée en Haïti. La structure des vers respire la douceur, la saveur, la musicalité de la langue créole (Tu es un afiba dedans mon calalou, /

le doumboueil de mon pois, mon thé de z’herbe à clou./ Tu es un plat fumant, diondion avec du riz,/ des akras croustillants et des thazars bien frits³). Une harmonie imitative au parler haïtien traverse le texte et révèle la puissance du dire roumérien. Cette tentative réussie d'Émile Roumer ne sera-t-elle pas exploitée par Jacques Roumain dans «Gouverneurs de la rosée» et Jacques Stéphen Alexis dans son chef d'œuvre « Compère Général Soleil». Rappelons environ deux décennies plutôt, Justin Lhérisson a ouvert la voie dans ces deux chefs d'oeuvre de la Lodyans haïtienne, « La Famille des Pitite-Caille et Zoune chez sa ninnaine ».

Le poème « Marabout de mon cœur » tiré du recueil « Poèmes d’Haïti et de France » d'Émile Roumer, publié pour la première fois à Paris aux Éditions de La Revue Mondiale en 1925. Le recueil est publié à nouveau à Port-au-Prince aux éditions Panorama en 1972.

Souvent chanté,  il existe une version de « Marabout de mon cœur », dite par Pierre Brisson, et qui se trouve sur son disque À voix basse, volume 2, reproduite sur Île en île⁴. (Durée de l’enregistrement: 1:06 minutes). Le poème compte dix vers répartis entre un quatrain et un sizain, de rimes plates. La métrique est l'alexandrin, disloqué en hémistiche au vers (4) et (7).

Il circule une traduction créole du texte de Roumer “ Marabou ti kè mwen”5.

 

 

Appendice:

 

Le texte d'Émile Roumer

 

Marabout de mon coeur

 

Marabout de mon cœur aux seins de mandarine,

tu m’es plus savoureuse que crabe en aubergine.

Tu es un afiba dedans mon calalou,

le doumboueil de mon pois, mon thé de z’herbe à clou.

 

Tu es le bœuf salé dont mon cœur est la couane.

L’acassan au sirop qui coule dans ma gargouane.

Tu es un plat fumant, diondion avec du riz,

des akras croustillants et des thazars bien frits.

Ma fringale d’amour te suit où que tu ailles.

Ta fesse est un boumba chargée de victuailles.

 

 

James Stanley Jean-Simon

E-mail : jeansimonjames@gmail.com

 

 

Notes: 

¹) Michèle Aquien, L'érotisme solaire de René Depestre: éloge du réel merveilleux féminin, Éditeur HARMATTAN (Coll. ESPACES LITTÉRAIRES, Paru le 1 janvier 2014 

5)Jean Whig Noël, Marabou Ti kè mwen, in Trezò Literè ayisyen ( Jonathan Thermidor) p. 123

²) Onfray, Michel,  “ Théorie du corps amoureux: Pour une érotique solaire » (2001),  consulté sur Babelio , le 17 janvier 2022

³, ⁴) Roumer, Émile, Marabout de mon cœur, consulté sur Île  île, le 17 janvier 2022

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