Dans l’épaisseur de l’ombre : Watson Charles, lauréat du Prix Christiane Baroche de la SGDL

Par-delà le visible, un écrivain haïtien dans les strates enfouies du réel

Né à la Croix-des-Bouquets le 22 novembre 1980, Jean Watson Charles est un poète et nouvelliste haïtien. Fils de hougan, il grandit dans un univers traversé par la culture populaire, qu’il choisit pourtant de tenir à distance. Il quitte son village pour Delmas, où il rejoint la famille maternelle. Après le bac, il étudie les Lettres modernes à l’École Normale Supérieure, puis la sociologie à la Faculté d’Ethnologie, avant d’abandonner ses études en 2010 pour se consacrer à l’écriture. Cette même année, il cofonde les Éditions Bas de Page avec James Pubien, Wébert Charles et Jean-François Toussaint, et publie Pour que la terre s’en souvienne, en hommage aux victimes du séisme du 12 janvier. Professeur de lettres et animateur d’ateliers d’écriture à Port-au-Prince, il participe activement à la vie culturelle, notamment au Centre culturel Araka et au Centre Haïti-Brésil. Il s’installe à Paris en 2010

Attribué à un premier recueil de nouvelles, le Prix Christiane Baroche de la Société des Gens de Lettres (SGDL) vient consacrer en 2025 l’écrivain haïtien Watson Charles pour Le Goût des ombres (éditions Unicité). Plus qu’un prix, c’est ici une reconnaissance méritée d’une œuvre en gestation depuis plusieurs années, qui s’impose peu à peu dans le champ littéraire francophone par la densité de son regard, la richesse de sa langue, et une capacité rare à interroger le réel sans le figer dans des cadres convenus.

Dans Le Goût des ombres, Charles donne à lire une série de récits qui, chacun à leur manière, arpentent les marges du visible. L’ombre, ici, n’est pas seulement métaphore du non-dit ou du refoulé : elle est substance même du texte. Elle est le lieu d’une inquiétude sourde, celle d’un pays Haïti pris dans les rets d’une histoire saccadée, de structures sociales figées, de violences systémiques, mais aussi d’aspirations inentamées.La nouvelle, forme brève et pourtant exigeante, permet à Watson Charles d’user d’une langue précise, parfois sèche, parfois débordante d’images, où le réalisme le dispute à un baroque discret, presque minéral. Chaque texte creuse une faille, un silence, une mémoire. Loin de céder à la tentation du spectaculaire, l’auteur opère par décentrage, par saturation lente du sens, révélant les tensions sociales dans leur complexité plutôt que dans leur évidence.

Ce n’est pas un hasard si Watson Charles, déjà remarqué pour son roman Le Ciel sans boussole (éditions Moires, 2021) mention spéciale du Prix Senghor du premier roman, reçoit aujourd’hui ce prix dont la vocation est d’éclairer les écritures nouvelles. Car son parcours littéraire, ancré dans une rigueur formelle héritée de ses études de Lettres modernes à l’École normale supérieure (ENS) de Port-au-Prince, se nourrit aussi d’un positionnement éthique : écrire depuis les fractures, mais sans céder à la posture.

Son précédent recueil de poèmes, Seins noirs (éditions Aethalidès, 2022), en témoignait déjà : ce n’est pas tant l’exposition du trauma que sa lente métabolisation qui l’intéresse. Chez Watson Charles, l’écriture ne cherche ni à dénoncer ni à consoler, mais à révéler la complexité du monde par l’élaboration d’une langue qui résiste, à la fois lucide et sensuelle, sobre et hantée.

Godson MOULITE

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