L’éruption du feu dans l’œuvre d’Alain Trocher

C’est sous ce nom évocateur de « feu » qu’on cèderait volontiers à présenter les toutes dernières œuvres du peintre Alain Trocher qui entame un nouveau moment dans sa carrière. Ce n’est certainement pas le feu des passions consumant le cœur humain comme on pourrait le retrouver chez un Georges de La Tour (1593-1652), avec sa Madeleine pénitente, ou encore le feu torturant notre chair au fer rouge comme chez le cinéaste Pier Paolo Pasolini qui plongeait sa caméra dans la lave pour apporter une lumière nouvelle sur la Passion du Christ. Ce n’est pas non plus le feu sacré des dieux dérobé par Prométhée après la victoire de Zeus sur les titans, même quand chaque ligne de ces nouvelles créations d’Alain, plus d’une cinquantaine de tableaux, nous invite à croire aux grands mythes de l’humanité pour ne pas qu’on se retrouve seul, désarmé et « incertain » face aux tempêtes de l’Histoire.

Fidèle à son esthétique du « dripping » prônant une totale liberté du geste, refusant toute expérience de représentation et tout lien référentiel, comme si la peinture pour lui, à la suite de Kandinsky et de Pollock, marquait la fin de l’iconographie, Alain conçoit la lumière dans un monde non objectal. « Le feu c’est la face lumineuse du chaos », nous a-t-il confié lors de notre récente visite à son atelier, véritable labo d’expérimentations. Et le feu embrasant ses surfaces est une «  brûlure », non pas dans le sens d’une souffrance subie, tel qu’il serait vécu par Klein par exemple, dont les seize «  Peintures de feu »   constituent un véritable calvaire, mais une passion créatrice le rapprochant davantage de Manzoni que d’un Rotchko présentant ses tableaux comme des drames lumineux.  

En effet, contrairement à Rotchko, Alain ne cherche pas à « mettre en lumière » la douleur du monde. L’art n’étant pas une clameur, il ne cherche pas à donner relief et couleur à nos souffrances d’êtres mortels. Certes, les vicissitudes de l’existence nous plongent parfois dans le doute et le désarroi, la douleur et le découragement. Et, c’est bien souvent aux creux de cette longue nuit que naît la volonté de témoigner. Par un processus étrange, comme un signal mystérieux, les pensées redeviennent positives, l’envie de revenir au figuratif reprend le dessus, l’appétit de vivre créant de nouvelles certitudes. Or Alain Trocher, lui, n’a pas de certitude sinon celle de la fragilité de l’œuvre d’art. C’est pourquoi il tient la forme et l’image en horreur. Ses lignes sont fluides, malgré une timide tentation décelée dans une ou deux pièces de ses nouvelles créations, de vouloir faire du sujet le fondement du tableau.

Aux couleurs suaves et harmonieuses (le bleu et le vert)  des années d’avant où le peintre traversait une période plutôt mystique et qu’il cherchait à se mettre en harmonie avec le cosmos se succèdent le rouge écarlate et le jaune incandescent violents, brûlants et destructeurs comme les laves du volcan en éruption, pour, peut-être, témoigner des catastrophes à venir. Or que peut l’art, que peut la peinture face à la catastrophe ? Faire jaillir l’étincelle, répond Alain Trocher. Convaincu que c’est du chaos qu’émerge le feu et que naît la lumière ! 

 

Voltaire JEAN

Auteur et critique

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