Alain Philoctète : Soleil – Femmes - Voyage

Le 10 décembre 2021, l’exposition posthume « Une incursion dans l’univers pictural d’Alain Philoctète » a eu lieu à la maison d’Haïti à Montréal. Une quinzaine d’œuvres dessinées tout en délicatesse et en douceur aux crayons de cire et à mine réalisées par Alain Philoctète y ont été présentées. « Douce élégance, » « Une fille Thézin » « Mon bateau est un dauphin », « Paysan face à l’infini », figurent parmi les œuvres exposées, dont les couleurs récurrentes sont les trois primaires. Dessinant avec des crayons de cire, Alain Philoctète emprunte une voie non conventionnelle car l’usage de ce médium est inusité chez les artistes d’Haïti.

 

Fréquemment, ces dessins se rapportent aux femmes. Ce sujet éternel des artistes d‘Haïti. « La femme est une thématique récurrente  dans la quête du regard de la beauté et du mouvement subtil », écrit-il. De fait, des quinze œuvres exposées, six représentent des corps ou des têtes de femmes, stables ou en mouvement, portant des fois foulards ou chapeaux. Il dessine aussi des bateaux, métaphore du voyage qui est également un des thèmes de son travail. « Le voyage dans les cales des bateaux négriers qui, il y a cinq cents ans, transportaient des êtres humains, me hante encore. Rien que l’instrument qui traverse l’océan : le bateau. » Mémoire traumatique qui le pousse probablement à transfigurer le bateau négrier en bateau dauphin. Une de ses œuvres a pour titre « Mon bateau est un dauphin ». L’autre thème de son travail c’est le soleil : « Le soleil! Ah! vieux soleil! Mon ami qui marche dans mes pas. Comme une ombre qui boit la toile… » s’écrie-t-il. Les dessins d’Alain Philoctète à cette exposition oscillent entre figuratifs et figuratifs abstraits. « Mémoire abyssale »,  est un bel exemplaire visible de ces expérimentations.

Connaissant les idées politiques d’Alain Philoctète exprimées dans divers articles de presse et son engagement militant, on pourrait s’attendre à un embarquement dans des représentations d’inspiration sociale mettant en avant la désolation de la vie misérable des peuples sous le capitalisme globalisé, mais rien de tout cela. À cette exposition Le social et le politique sont mis en sourdine. Deux œuvres, parmi celles exposées, « L’aube des lakou » et « Le paysan face à l’infini », ont pourtant donné à voir son rêve de transformation sociale (refaire les lakou) ancré dans le respect et la quête de renouvellement des traditions haïtiennes.

Ce qui frappe à cette exposition c’est surtout le silence qui émane des créations d’Alain Philoctète. Sa manière d’étaler la couleur, le choix de travailler avec les crayons de cire, des fois sans densité; les vides et la blancheur du papier, qu’il laisse voir, contribuent sans nul doute à créer cet effet. Quoi qu’il en soit même quand il nous présente « La femme désarticulée », une tête aux yeux creux (Sans titre) ou « Le cri algonquin », c’est sans bruit. Dans ce dernier tableau (fait exprès?), le noir étalé sur le support avale le cri. Le cri semble prendre le ton de la plainte. En ce sens, Alain Philoctète va à contre-courant de nombreux artistes actuels et contemporains d’Haïti qui crient fort leur angoisse et leur révolte, soit par la couleur, soit par des images macabres et la création de monstres.

La «fille Thézin» est, à mon avis, la plus belle réussite de cette exposition, elle me ramène à l’enfance et à cette très belle représentation dansée du conte par Nicole Lumarque dans les années quatre-vingt-dix. Sous les crayons d’Alain Philoctète, cette fois, j’ai  cru voir le poisson amoureux s’embarquer dans une histoire moins tragique. Et sur le dos de sa dulcinée – magie de couleurs! – il a même semblé aller vers un destin joyeux.

Voici une auto présentation de l’artiste :

« Né dans un milieu artistique et intellectuel intense : poésie, musique et peinture, je suis intéressé à l’art visuel et au jeu des mots depuis ma plus tendre enfance. Ce besoin de m’exprimer m’a conduit à l’école Nationale des arts à Port-au-Prince où j’ai décroché un certificat en arts plastiques. »

Alain Philoctète a participé à des expositions solos et en groupe en Haïti et à Montréal. Il a repris le pinceau et les crayons, en 2014. Timidement d’abord, selon sa femme, puis avec ardeur depuis 2016 jusqu’à sa traversée vers la lumière.

 

Pascale Romain

Montréal, 2021

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