Pouget : un caractère

Louis-Édouard Pouget, natif et produit du milieu capois au 19e siècle pétri par les souvenirs d’un passé épique, l’idéal de grandeur inculqué par Henri Christophe, appartient à notre histoire diplomatique et surtout à celles de notre presse et de notre parlement. Son éloquence de patriote éclairé, pourfen­deur de nos pratiques de corruption le rattachent aussi à nos lettres par sa véhémence, sa logique implacable, sa précision dans l’exposé.

Malheureusement, le chapitre de notre histoire littéraire sur l’éloquence est incomplet car des dépouillements ne sont pas faits et des discours de bonne facture de nos hommes pu­blics, dans nos deux langues officielles sommeillent dans la poussière des archives. Des discours isolés, une infime quan­tité de recueils nous révèlent la valeur de certains orateurs du 19e siècle, illustres ancêtres du redoutable tribun Pouget, élu pour la première fois parlementaire, c’est-à-dire député de sa chère ville natale : le Cap-Haïtien en 1905.

La dictature militaire de Nord Alexis s’installait au détri­ment d’Anténor Firmin et de sa mouvance. Le jeune député, ex-secrétaire de la légation d’Haïti à Berlin qui projetait de tru­cider l’empereur allemand lors de l’humiliante affaire Lüders sous le gouvernement de Tirésias Sam en 1896, se laissa-t-il intimider par le grand fauve venu comme lui, du nord ? Se montra-t-il digne de ses illustres prédécesseurs comme Hé­rard Dumesle des Cayes, David Saint-Preux d’Aquin, Dumai Lespinasse de Port-au-Prince, naguère hérauts de l’opposition parlementaire au Président Jean-Pierre Boyer de 1836 à 1843 ? Assuma-t-il l’héritage de Demesvar Delorme, Capois comme lui, la voix dénonciatrice à la Chambre basse en 1860 de la dictature naissante de Fabre Geffrard ? Delorme, à la mémoire prodigieuse, à l’évocation facile, élégante, à l’érudition variée. Delorme, notre plus grand orateur du 19e siècle, à croire Frédé­ric Marcelin, son contemporain. Fit-il preuve d’autant de com­pétence, d’intelligence, de courage que ces députés du parti libéral : Boyer Bazelais, Edmond Paul, Hannibal Price, Armand Thoby qui, de 1870 à 1874, donnèrent à notre République une Législature incomparable ?

La lecture attrayante, limpide du livre d’Antoine Bervin ; chroniqueur de haut vol, styliste raffiné apportera les réponses à ses questions en nous révélant cette personnalité énergique à l’intelligence pétillante et à la parole canonnière. Le lecteur constatera que sa naissance sur un bateau de guerre haïtien contribua à le façonner en quelque sorte.

Comme publiciste, journaliste et directeur-propriétaire du périodique « La Poste », son combat, son emprisonnement sous l’occupation militaire américaine entre 1922 et 1926, après son vote contre le projet de convention haïtiano-amé­ricaine comme Sénateur en 1915, descendent en droite ligne des lutteurs pour une presse libre au 19e siècle : Félix Darfour victime de Boyer, Joseph Courtois face à Soulouque, Exilien Heurelon sous Geffrard, Pierre Frédérique à la fin du 19e siècle et à l’aube du 20e siècle enchaîné par un despote militaire.

Pouget fit l’expérience amère du pouvoir exécutif. Secré­taire d’État des Finances et du Commerce sous Antoine Simon en 1910, autre général-Président venu du Sud cette fois, l’hon­nête Capois avec son savoir d’ex-employé à la douane du Cap, se lança dans la bataille contre la corruption en ces lieux (les douanes) où le bât blesse. Frédéric Marcelin, l’un de ses pré­décesseurs à cette haute fonction, avait déjà indiqué dans son livre sur « Nos Douanes » en 1896 que celles-ci prouvaient bien que le poisson pourrit d’abord par la tête. Pouget démissionna et un an plus tard narra son odyssée à ce ministère, les persé­cutions subies, l’exil…

Intégrité, respect de soi, respect d’autrui quand celui-ci le mérite, courage, tels furent les traits de Louis-Édouard Pouget. Tout un caractère. Antoine Bervin lui rend hommage et nous rééditons son texte agréable et instructif en un temps où les modèles positifs se raréfient.

Michel Soukar

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