Écrire : entre la volonté de célébrer et l'engagement, quelle frontière choisir ?

Dans le feu de la controverse, il importe de souligner que les écrivains ont toujours vécu la problématique et son enjeu d'une manière originale et personnelle. En fait, n'appartient-il pas à l'auteur de se situer dans le débat sur l'écartèlement?

Depuis Sumer, c'est-à-dire aux environs des années 3300 av. J.-C. , l'écriture a toujours occupé une place importante dans le destin humain. Écrire ou l'acte d'écrire , à côté du volontarisme économique et religieux de ses inventeurs, se révèlera d'une première importance dans la notation des nombres et des impôts royaux et des textes religieux. Quelques de ces textes religieux seront plus tard appréciés à l'aune de leur littérarité (© L'épopée de Gilgamesh) entre autres. Toute cette intro pour faire ressentir le poids de l'écrit dans les premières civilisations.

« C'est effectivement avec ce changement culturel que l'homme va rentrer dans l'histoire et commencer à laisser des traces écrites. Les premiers écrits servaient surtout de livres de comptabilité ou d'inventaires. Mais l'homme va rapidement utiliser ce nouveau moyen de communication pour raconter des histoires... et surtout son histoire ! » (© Hominidés.com - 2002-2016).

L'écriture à sa genèse ne se donnait pas comme perspective littéraire c'est une fonction dont elle épousera plus tard à travers divers textes sacrés et plus tard littéraires avec Les grands œuvres d'Homère (L'Iliade et L'Odyssée). À travers les siècles, elle continue à remplir à côté de son utilarité en économie, administration et politique, un rôle littéraire et s'étendra à la majorité des cultures. En témoignent des textes arrivés jusqu'à nous sur des supports assez divers.

Cette fonction que les hommes lui ont forgée. Cette fonction littéraire et symbolique, elle l'occupe à travers des pans entiers renvoyant à la mémoire collective. On ne se demande si ce n'était pas l'une des fonctions attribuées à l'écriture : palier à la défaillance de la mémoire. Et autres variations. Ainsi à travers les âges naîtraient- ils une multiplicité de genres partant d'une notation mémorial à la créativité littéraire. L'épopée, la fable, la poésie, le théâtre à travers le comique et le tragique, l'histoire, la philo, le conte, la maxime, etc. en sont des exemples frappants.

 

Qu'est-ce qu'écrire ?

Un partage, faire acte de mémoire. Une certaine notation des sentiments et du réel. Un témoignage.

 

Quid du réel ?

Ce qui existe, lequel à travers le talent de l'auteur est modifié. L'auteur comme un sculpteur travaille sur la matière brute du quotidien, la peaufine , la modifie et l'adapte à sa façon. Ce qui lui donne son rôle de créateur. De créateur de sens.

 

Célébration ?

Ici on voit le mot dans une acception qui renvoie à chanter les thèmes universels tels: désespoir, amour, spleen, mort, absence, mélancolie , nature universelle, etc. Un choix qui semble délibéré chez certains auteurs. Face au désenchantement du monde, avec ses corolaires: absence de repères, repli sur soi, fin des idéologies, dégoût du monde vécu. L'auteur s'accroche à célébrer un univers proche qui renvoie à aborder des thèmes qui lui sont psychologiquement plus proche qu'éloignés de son milieu. Le milieu social appartenu à l'auteur lui parait éloigné: la faute au désenchantement.

 

Engagement ?

 Une implication certaine à faire acte de nous-mêmes dans un milieu donné. Voilà une définition du mot:

« Engagement : fait de prendre parti sur les problèmes politiques et sociaux par son action et ses discours (l' engagement intellectuel). Pour les existentialistes, acte par lequel l'individu assume les valeurs qu'il a choisies et donne, grâce à ce libre choix, un sens à son existence. »

 

Ambivalence ?

 Il est défini comme le « caractère de ce qui a deux aspects radicalement différents ou opposés ».

L'auteur se situe  alors dans une urgence. Il écrit pour ne pas laisser mourir la mémoire. Pour témoigner à la place des autres. Faire acte de présence.

 

Écrire: entre la volonté de célébrer et l'engagement : quelle frontière choisir?

Le thème pose un écartèlement certain que l'écrivain partage. Une sorte d'ambivalence dans l'écriture qui n'est pas inconnue en littérature, particulièrement dans celle de chez nous. Un texte critique de Lionel Trouillot pose la problématique tel un brûlot. Il voulait interroger les dogmes: Une littérature écartelée entre « le typique et le général ». Un débat nullement nouveau en littérature nationale. Il y a plus de cent ans : l'acuité du problème a été soulignée. Le débat passionné, fleuri et controversé a laissé ses traces durables dans notre littérature. Des épithètes ont été assignées. Ceux-ci ont fait le beau jour des critiques dans notre histoire littéraire.

Le débat n'a pas toujours été clos. Il parait plutôt permanent dans les littératures du monde. Les textes de différents écrivains ont pu mettre en exergue cette dualité . Rimbaud est un exemple vivant. Lire  « Ma bohème » ou « Paris se repeuple » ,   « La Musique et Le Dormeur du val » remet en selle le déchirement vécu. L'écartèlement du poète entre les extrêmes que lui pose le fait littéraire. Cette volonté de célébrer et l'engagement. À vrai dire, l'un jamais trop loin de l'autre.

Le déchirement vécu est par ailleurs souligné par maints critiques « De la littérature haïtienne ou l'âme noire de Duracine Vaval » en passant par « L'exil, entre l'ancrage et la fuite  de l'écrivain haïtien » de Yanick Lahens. Tous les textes des critiques évoquent cette ambivalence. Trouillot, dans un article publié dans la revue conjonction #209 en 2003 « La construction des dogmes: le typique et le général », évoque cette question comme « des propositions totalisantes » tenues qui n'ont pas aidé mieux à comprendre le fait littéraire, mais à le repartir en deux extrêmes.

Trouillot poursuit: « D'une manière générale, deux mythes font problème aux critiques, tant haïtiens qu'étrangers, dans leur construction du typique et du général et leur choix des auteurs et des œuvres valorisées pour leur exemplarité. Le mythe de l'authenticité a longtemps dominé, et la critique avait embrassé la figure de l'écrivain champion de sa culture inaltérable. Puis,... s'est construit le mythe de l'altérité, l'idéologie de la dissolution et de la dissémination », clôt Trouillot.

Dans le feu de la controverse, il importe de souligner que les écrivains ont toujours vécu la problématique et son enjeu d'une manière originale et personnelle. En fait, n'appartient-il pas à l'auteur de se situer dans le débat sur l'écartèlement? Le problème est moins tranchant lorsqu'il s'agit d'un texte où l'auteur use la forme narrative comme moyen d'expression. Ce n'est pas sans raison. On cherche à situer l'écrivain ou le poète par rapport au mythe de l'authentique et de la dissémination. La production du poète est souvent lue et appréciée à travers ce prisme! Et toute critique trop paresseuse est prête à clouer au pilori telle œuvre du fait qu'elle ne répond pas ou peu à ses critères d'évaluation.

Entre la volonté de célébrer et l'engagement : la frontière reste à définir. Et l'écrivain demeure, en effet, le seul souverain de sa production. C'est à l'auteur d'habiter son territoire de parole. Une parole envers et contre tous demeure une parole sur le monde. Qu'elle renvoie tant aux typiques qu'au général. En fait, la typique ne demeure -t-elle pas un aspect du général?

« Mon pays que voici » de Anthony Phelps, « Fas doub lanmò » de Bonel Auguste , « Poésie » de Stéphane Mallarmé, « Mon rêve familier » de Verlaine, « Biswit Leta » de Georges Castera et « Lettre Une » de votre serviteur sont des exemples qui illustrent d'une part la volonté de célébrer et d'autre part, un engagement à fleur de peau. L'altérité et l'authenticité!

Soulignons que la question de la célébration et de l'engagement chez l'écrivain est vécue suivant le rapport établi entre celui-ci et l'acte d'écrire. Le milieu ou l'autre comme référent participe de la perspective donnée par l'écrivain. Disons mieux, le poète. L'écrivain détermine son rapport à son œuvre. Toutefois, par devoir, l'écrivain doit épouser les problèmes de son temps.

 

 James Stanley Jean-Simom

E-mail: jeansimonjames@gmail.com

Président du C.E.L.A.H ( Centre d'Études littéraires et artistiques haïtiennes)

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