Palestine - Haïti : du terrorisme colonial à la domination néocoloniale

Palestine

Oh Palestine

Depuis que tu vis sous les bombes,

Je ne pense qu’à toi

Alain Philoctète                              

 

Ô Palestine

Fille mutilée

Le soleil m’apporte

Les ombres de ta bouche muselée

Qui crie tes sanglots étouffés

A Cité soleil…

Même lutte, même combat…

Chantal Ismé, 2008

 

 Le colonialisme et néocolonialisme constituent deux versants du projet de la modernité occidentale, mais ils sont souvent oubliés dans les discours de nombreux camarades de la gauche. Dans le cadre de la première partie de cet article, nous souhaitons aborder cet aspect à travers les effets de cette modernité en considérant d’une part l’actualité de la colonisation de la Palestine et d’autre part la domination néocoloniale d’Haïti. La deuxième partie mettra en lumière comment ce processus continue à transformer ses territoires en espace de non droit.  Nous n’envisageons pas d’en faire un travail exhaustif mais plutôt de mettre en lumière la relation de ses deux territoires à travers le prisme de la modernité. Pour y arriver, nous suivrons une double démarche : d’une part, nous partons d’un bref éclairage conceptuel du projet de la modernité; d’autre part, nous analyserons certaines formes de ce projet dans la trajectoire de ces deux territoires.  Au-delà des apparences géographiques et culturelles, cette articulation nous permettra de souligner leur matrice commune. 

Quid du projet de la modernité occidentale?

Dans le travail anthropologique de Polanyi, le projet de la modernité occidentale se caractérise par un processus de marchandisation de l’homme et de la nature, processus en cours depuis plus de cinq siècles. Sa forme théorique la plus achevée se manifeste dans l’utopie du marché invisible des utilitaristes anglais. Historiquement, cette modernité s’est constituée non seulement sur le « système esclavagiste » à un niveau inégalé dans l’histoire de l’humanité, mais elle arrive également à organiser « le marché de la monnaie, du travail et de la nature » (Polanyi, 1983).  De plus en plus, ce projet prend forme dans l’imposition des rapports sociaux capitalistes aux communautés autochtones à l’échelle de la planète.

Nous partons de l’approche de Enrique Dussel (2000 p 49), pour lequel la modernité occidentale constitue un système qui s’appuie sur l’idée de progrès, de développement et du « mythe de la civilisation ». Ces différents éléments sont dogmatiquement érigés au rang de modèle, à vocation universelle. Dans cette perspective, la domination coloniale et néocoloniale devient un élément intrinsèque de la modernité occidentale. Cette domination ne se limite pas à l’assujettissement de l’humain puisqu’elle recompose également de nombreux territoires. À cet effet, les régions communément appelées Sud global aujourd’hui témoignent de ce processus de reconfiguration territoriale. Dans le cadre limité de cet article, les cas d’Haïti et de la Palestine nous serviront d’exemple pour saisir les effets de cette reconfiguration aujourd’hui[1].

L’actualité du territoire de la Palestine

Du 10 au 21 mai 2021, la puissante armée israélienne a pilonné la bande de Gaza et réprimé les Palestinien.nes dans les territoires occupés avec une sauvagerie indescriptible[2]. Des familles entières ont été en grande partie la cible privilégiée de ces attaques barbares. Ces bombardements ont fait 243 morts, dont 66 enfants et plus de 1900 blessés. La réplique palestinienne n’a pas vraiment inquiété les autorités israéliennes; elle se résumait à des tirs massifs de roquettes de faible portée du Hamas qui ont fait 12 morts. Bien que la supériorité de l’armée d’Israël, soutenue systématiquement par les États-Unis, lui fournissant les armes les plus modernes, soit écrasante, la résistance héroïque du peuple palestinien n’a jamais cessé. Cette résistance non seulement prend la forme d’un combat contre les attaques meurtrières à Gaza, mais aussi d’une lutte permanente contre le processus ininterrompu d’occupation et d’expropriation des terres palestiniennes depuis plus de sept (7) décennies.

À l’ère des réseaux sociaux, le massacre des Palestinien.nes s’effectue dans l’indifférence des puissances occidentales. La grande presse parle d’un conflit israélo-palestinien comme s’il s’agissait de deux armées équivalentes et fait abstraction de l’enjeu fondamental, celui du colonialisme. Le nouveau président démocrate américain, Joe Biden qui a bénéficié du soutien de la gauche libérale états-unienne et ailleurs dans le monde lors de son élection n’y allait pas par quatre chemins pour appuyer l’agression militaire de son allié israélien. Conformément à la tradition des gouvernements américains, il a soutenu sans condition les attaques israéliennes contre la population civile palestinienne. En proclamant le droit à « l’autodéfense » à Israël, il n’a pas éprouvé la moindre hésitation d’appuyer l’armée israélienne, même si des enfants et des familles sont massacrés, des infrastructures détruites. 

Principalement financées par les contribuables américains, les missiles israéliennes n’ont pas épargné les infrastructures hydrauliques et sanitaires à Gaza, l’enclave palestinienne[3]. En plein contexte de pandémie mondiale, l’unique centre de traitements de la bande de Gaza a été complètement détruit. Dans ce processus de destruction de l’autre, l’option privilégiée a été la guerre totale. Pour les puissances capitalistes alliées au pouvoir sioniste, ce prix ne semblait pas trop élevé. Le droit de l’armée israélienne à de bombarder les territoires palestiniens est soutenu également par l’Allemagne. Dans la continuité de la diplomatie états-unienne, le gouvernement allemand s’en est pris aux Palestiniens qui, d’après lui, menacent les colons israéliens et l’État d’Israël. En dépit de la violence, des massacres de la population civile, l’Occident n’a pas osé condamner la barbarie israélienne. La question du droit à la sécurité et à la vie ne s’applique pas pour la population de la Palestine.

Dans le cas de la France, surnommée « pays des droits de l’homme », il est même interdit aux associations de la société civile et à la classe ouvrière de manifester leur solidarité avec le peuple palestinien. Alors que la démocratie bourgeoise française est érigée en modèle de gouvernement à imposer aux peuples dominés, l’État français a sorti l’artillerie lourde pour empêcher l’exercice du droit citoyen de manifester.

 

Les dessous du massacre des palestinien.nes par les autorités israéliennes

L’actualité de ce conflit met en lumière quelque chose de plus profond que la simple revendication d’un territoire par deux peuples[4]. Elle témoigne des moyens par lesquels la géographie de nombreux territoires est aujourd’hui délimitée et peuplée. Suite aux nombreuses luttes contre l’ordre esclavagiste, le XIXème siècle a été la période phare de la colonisation. Du « racisme scientifique » aux « nécessités civilisationnelles », les justifications de la colonisation ne manquaient pas[5]. La toile de fond a été la négation totale du droit des peuples autochtones sur leur territoire. Ce processus d’expropriation et de dépossession laisse des traces à la fois dans les corps des populations autochtones que dans l’espace. L’existence et la configuration des réserves tant au Canada qu’aux États-Unis constituent des exemples parmi d’autres de cette tranche d’histoire douloureuse.

Dans les discours médiatiques en Occident, l’articulation du processus de colonisation des puissances occidentales à l’actualité de la colonisation israélienne de la Palestine demeure un impensé. Elle est invisible. Dans l’apparence, le seul élément visible est le soutien inconditionnel des puissances occidentales à Israël. En effet, celui-ci ne se limite pas au niveau diplomatique, il est à la fois militaire, politique et économique dans la mesure où il répond à des intérêts géopolitiques et géostratégiques de contrôle de la région du Proche-Orient. En dehors du verbiage diplomatique sur la paix, ces ex-puissances coloniales ne reconnaissent pas le droit à l’autodétermination des Palestinien.nes. 

Du legs colonial à la domination néocoloniale

Les massacres presqu’au quotidien des Palestinien.nes par les forces militaires et policières israéliennes font partie du maintien et de la reproduction de l’ordre colonial, notamment par l’institutionnalisation du régime d’apartheid sioniste. Toutefois, cet ordre se distingue du colonialisme de la fin du XIXème siècle. Les luttes de libération nationale des années 1950-60 ont rejeté le carcan de la domination coloniale dans sa forme la plus brutale. Du continent africain au continent asiatique en passant par le monde arabe, elles ont en grande partie balayé l’administration coloniale au prix d’innombrables sacrifices. Mais cette domination n’a pas totalement disparu. Elle a plutôt muté. Cette mutation se réalise à travers le contrôle politique, économique et l’orientation idéologique des bourgeoisies locales.  Celles-ci s’alignent presque totalement sur la position des anciennes puissances coloniales au détriment de la population locale. Ce phénomène est communément appelé néocolonialisme. À des niveaux différents, il est manifeste presque dans tous les anciens pays colonisés[6].

La domination néocoloniale est le nouveau paradigme par lequel le pillage, la dépossession et l’exploitation des ressources se poursuivent dans les anciens territoires colonisés[7]. Selon Kwame Nkrumah (1965) « l’essence du néocolonialisme c’est que l’État qui y est assujetti est théoriquement indépendant, possède tous les insignes de la souveraineté sur le plan international. Mais en réalité, son économie, par conséquent, sa politique, sont manipulées de l’extérieur ».

Sur le plan anthropologique, elle entraine - comme dans le cas des conquêtes coloniales- la désintégration de l’environnement culturel des populations asservies. Basé sur les travaux des ethnologues, Polanyi (1983) explique ce phénomène par l’analyse de la destruction des institutions des populations assujetties. Selon lui, cette désintégration se manifeste dans la blessure mortelle infligée à l’univers symbolique dans lequel leur existence sociale s’incarne (Polanyi, p 227). 

Cette désintégration des institutions des communautés assujetties est encore un enjeu majeur dans les territoires sous la domination néocoloniale. Le cas d’Haïti en est un exemple emblématique. Alors que le pays a été leader de la lutte contre l’ordre esclavagiste à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle, il est devenu l’un des pays les plus soumis à la domination néocoloniale. Étouffé par un blocus transcontinental, il a été paradoxalement contraint d’indemniser les colons esclavagistes français. C’est au prix de se transformer en un pays néo-colonisé que son indépendance a été reconnue par la France, l’Angleterre, les États-Unis, etc.[8].

Une fois amorcé, le processus néocolonial ne s’arrête pas. Il est ajusté et réajusté à plusieurs reprises de manière à annihiler les moindres possibilités de lutte de libération nationale[9]. Au début du 20ème siècle, les États-Unis ont pris le relais de la France en Haïti. En envahissant le territoire, ils ont reformaté les institutions et l’appareil de l’État tout en favorisant l’émergence d’une nouvelle classe dirigeante complètement soumise aux intérêts financiers et politiques de la bourgeoisie américaine. Pour structurer sa mainmise, les États-Unis s’assurent du contrôle de l’appareil politique et de la vie économique. Par rapport aux conséquences incommensurables du réajustement néocolonial d’Haïti de 1915-1934, Suzy Castor (1998, p 364) souligne que « l'intervention étrangère, en imposant une greffe au corps social haïtien en vint à altérer le développement naturel et tronquer son processus historique ».

 

 Par ailleurs, ce contrôle du territoire prend forme à travers la négation du droit de la population locale à orienter le développement de son pays. En ce sens, la dictature devient sans conteste le modèle de prédilection à imposer[10]. Elle est non seulement féroce, mais elle n’a pas de compte à rendre à la population locale. Sa légitimité vient des puissances tutrices, dont la principale est l’Oncle Sam[11].

Les effets de ce réajustement néocolonial sont encore de mise aujourd’hui. En dépit du verbiage sur les droits de l’homme et de la démocratie bourgeoise, les puissances néocoloniales, dont les États-Unis en première ligne, ne changent pas de mode opératoire dans leurs politiques de domination. Elles décident du profil des gouvernants, de l’orientation des politiques économiques et sociales.

La crise actuelle en Haïti met en évidence un autre élément de l’équation néocoloniale. Les puissances néocoloniales constituent à elles seules le fondement de la légitimité politique dans le pays. Malgré que le mandat présidentiel soit arrivé à terme depuis le 7 février 2021, comme l’a souligné l’ensemble des institutions de l’État et de la société civile, ces puissances ont soutenu un prolongement du mandat présidentiel[12]. Alors que la remise du pouvoir devrait être une simple formalité constitutionnelle dans une démocratie bourgeoise fonctionnelle, le soutien des puissances tutrices a permis au président de facto Jovenel Moise de garder le pouvoir au prix de l’assassinat de plusieurs centaines de personnes[13].

Pour les adeptes de la démocratie libérale et formelle, ce soutien n’était pas seulement choquant au point de vue juridique, constitutionnel, il l’était d’autant plus que ce pouvoir a charrié un lourd héritage de massacres de population civile, d’assassinats politiques et de gigantesques crimes financiers[14]. Avec la complicité de la police nationale d’Haïti formée et entretenue par le Canada et les États-Unis, ces massacres sont perpétrés par les gangs armés à la solde du pouvoir en place[15]. Devenant encombrant pour ses tuteurs locaux et internationaux, le président de facto Jovenel Moise a été mystérieusement assassiné durant la nuit du 6 au 7 juillet 2021 dans l’intimité de sa résidence dans l’indifférence de ses responsables de sécurité.

Dans le contexte de la domination néocoloniale, les acquis institutionnels de la démocratie bourgeoise sont loin d’être une fin en soi. Ils ne sont qu’un simple outil adapté à la poursuite du pillage, de la dépossession et de la domination néocoloniale. Ils peuvent être mobilisés en fonction du contexte social pour neutraliser certains obstacles, mais on peut s’en passer lorsque les tenants néocoloniaux sont en terrain conquis. Dans une néo-colonie comme Haïti, l’unique grammaire demeure l’ordre de la domination néocoloniale; le verbiage sur la démocratie des puissances occidentales n’est rien d’autre qu’un outil idéologique pour assurer le maintien du statu quo.

 

(à suivre)

 

Renel Exentus[i]


[1] Les palestiniens sont historiquement les habitants autochtones des territoires de l’Israël actuel et de ceux de l’autorité palestinienne. Suite à l’effondrement de l’empire Ottoman, ces territoires communément appelés Palestine étaient sous mandat britannique. Au cours de ce processus de domination coloniale, le ministre des affaires étrangères Balfour rend public le projet de créer un foyer national juif en 1917 alors qu’il n’a pas pris en compte de la situation de plus 90% des habitants de la Palestine (Sand, 2008; Sfeir-Khayat, 2005). En réprimant toutes velléités revendicatives des autochtones palestiniens, ce projet se concrétise en 1947 avec la création de l’État d’Israël sous le leadership de l’ONU. La riposte des palestiniens appuyés par les autres pays arabes s’est soldée à deux reprises par une cuisante défaite en 1948 et 1967 (Sfeir-Khayat, 2005). Au cours de ces deux guerres, plusieurs centaines de milliers de palestiniens sont arrachés de leur terre et de leur maison pour se réfugier au Liban, en Jordanie, en Syrie et ailleurs dans le monde. Depuis lors la conquête coloniale ne s’arrête pas. Par ailleurs, Haïti prend forme dans le cadre de la lutte contre le système plantationnaire. Sa victoire contre le racisme, le colonialisme et l’esclavagisme en 1804 lui a permis d’envisager la fondation d’une société dans laquelle la liberté de l’homme serait devenue la pierre angulaire. Mais face à l’offensive unanime des puissances coloniales, le pays a été soumis à un long processus néocolonial qui a hypothéqué son avenir. La domination néocoloniale se poursuit aujourd’hui encore.  

[3] Le financement du gouvernement américain à Israël s’élève à plusieurs billions de dollars chaque année. Selon BBC « En 2020, les États-Unis ont accordé une aide de 3,8 milliards de dollars à Israël, dans le cadre d'un engagement annuel à long terme pris sous l'administration Obama. La quasi-totalité de cette aide était destinée à l'assistance militaire. Ce soutien est intervenu dans le cadre d'un accord signé par l'ancien président Barack Obama en 2016 pour une enveloppe globale de 38 milliards de dollars d'aide militaire sur la décennie 2017-2028. Cela représente une augmentation d'environ 6 % (ajustée à l'inflation) par rapport à l'engagement de dépenses pour la décennie précédente ». https://www.bbc.com/afrique/monde-57243165

[4] Dans la presse occidentale, le conflit israélien palestinien est souvent présenté comme l’expression de l’irrationalité de deux peuples qui revendiquent un même territoire. Le processus colonial qui est au fondement du conflit n’y figure pas. Par ailleurs, l’emphase est également mise sur l’irrationalité des protagonistes qui sont incapables de négocier une paix durable. La question religieuse est souvent mobilisée pour justifier le déchainement des passions  https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1793500/conflit-israel-palestine-solutions-canada-europe; https://www.lesoleil.com/actualite/monde/conflit-israelo-palestinien-escalade-de-la-violence-62b1a14fce9e28b3dd6240e04376997cactualite/monde/le-conseil-de-securite-de-lonu-se-reunira-dimanche-au-sujet-du-conflit-israelo-palestinien-566f38961019d5929b0a3d826f77904c; https://www.journaldemontreal.com/2021/05/23/a-gaza-lonu-appelle-a-regler-les-causes-profondes-du-conflit-israelo-palestinien

[5] Wieviorka, Michel. « Du racisme scientifique au nouveau racisme », Le racisme, une introduction. Sous la direction de Wieviorka Michel. La Découverte, 1998, pp. 13-36.

[6] Les rares pays qui ont fait exception à ce procès sont ceux qui ont pu amorcer une révolution socialiste. C’est le cas par exemple de la Chine, Cuba, Corée du Nord, etc.

[7] Selon Sandra Halperin (2007), “Neocolonialism, the control of less-developed countries by developed countries through indirect means. The term neocolonialism was first used after World War II to refer to the continuing dependence of former colonies on foreign countries, but its meaning soon broadened to apply, more generally, to places where the power of developed countries was used to produce a colonial-like exploitation—for instance, in Latin America, where direct foreign rule had ended in the early 19th century”. 

[8] À ce sujet, voir le texte d’Alain Saint-Victor, « La genèse d’un État néocolonial : Haïti (1804-1820) » dans Le tiers-monde postcolonial. Espoirs et désenchantements (Maurice Demers et Patrick Dramé, sous la direction de), Le presses de l’université de Montréal, 2014. Il y a également l’article de Walner Osna (2019). État et colonialité en ayiti. Traduction de la colonialité dans les actions politiques de jean-pierre boyer (1818-1843).via http://reseaudecolonial.org/2019/11/11/etat-et-colonialite-en-ayiti-traduction-de-la-colonialite-dans-les-actions-politiques-de-jean-pierre-boyer-1818-1843-walner-osna-universite-dottawa-grad-celg/

[9] Le concordat de 1860 est un accord signé entre l’État haïtien et le Saint Siège dans lequel l’État haïtien octroie des privilèges de toutes sortes à l’église catholique apostolique et romaine. Cet accord met l’église dans une position privilégiée dans la formation religieuse et académique des élites du pays. Comme l’accord sur la dette de l’indépendance, Il est dans le prolongement de l’ajustement/réajustement du contrôle néocolonial du jeune État dans la mesure où il tend de plus en plus à l’éloigner de l’idéal de liberté des esclaves révoltés de Saint-Domingue.

[10] Lors de l’occupation américaine de 1915-1934, la recomposition de l’appareil répressif de l’État a eu pour effet d’orienter la gouvernance politique du pays. Le vernis d’élections cachait à peine la férocité d’un pouvoir qui n’a eu de compte à rendre qu’au département d’État états-unien. Quand les masses se révoltent, une succession de dictatures prend le relais du verbiage démocratique. Selon Suzy Castor (1998, p 366) l’occupation américaine de 1915 implique : «le renforcement des structures de la dépendance, un reconditionnement des forces socio-politiques et l'implantation d'un système bâtard de ''démocratie représentative'' qui évolua sous l'effet de la crise socio-économique latente, vers le fascisme duvaliériste.»

[11] Ce déplacement de la légitimité du pouvoir a été lourd de conséquences pour les masses paysannes sur lesquelles reposait l’économie nationale. Il impliquait une aggravation de l’exploitation de la production paysanne sans courir le risque d’ébranler l’instabilité du pouvoir. En effet, la pérennité ne dépend plus du consentement des masses de cultivateurs. Avec des chiffres à l’appui, Michel Rolph Trouillot (1986, p 64) relate cet état de fait en ces termes : « dans les dernières années de l'occupation, les impôts de douane représentaient 80 à 83 % des recettes totales de l'État (de la Rue et al. 1930–1933), augmentant le fardeau déjà lourd des petites gens. Les impôts à l'importation augmentèrent pendant l'occupation, passant de 23 % de la valeur des marchandises en 1916–1917, à 46 % de leur valeur en 1932–1933. Pendant la même période, les impôts à l'exportation passaient de 19 % de la valeur des marchandises à 28 % de leur valeur. Autrement dit, les impôts de l'Occupation grevaient encore plus la paysannerie et les petites gens que les impôts du dix-neuvième siècle. Cette paysannerie qu'on avait forcée à subventionner l'État pendant tout le dix-neuvième siècle était maintenant au pressoir des termes d'échange encore plus injustes imposés par l'occupant. L'occupant imposa de force des augmentations de prix sur des articles aussi communs que le sel ou les allumettes, vivifiant des pratiques qui avaient alimenté la corruption du dix-neuvième siècle, et indiquant aux futurs gouvernements du vingtième, des méthodes de plus en plus efficaces d'extraction.

[12] Cette prolongation de mandat présidentiel est manifestement interdite par la constitution haïtienne dans son article 134-3. 

[13] Les rapports de RNDDH de novembre 2018 à mai 2021 sur les massacres et les assassinats politiques; Rapport de l’université Harvard sur la complicité du régime PHTK dans des crimes contre l’humanité : https://hrp.law.harvard.edu/press-releases/un-rapport-revele-la-complicite-du-gouvernement-haitien-dans-des-crimes-contre-lhumanite/

[14] Le bilan des massacres du régime PHTK est loin d’être achevé. Selon les organismes de droits humains dont le RNDDH, le nombre de personnes assassinés par les sbires du régime s’élève à plus d’un millier de personnes. Les femmes sont généralement doublement victimes. Lors des raids des bandits dans les quartiers populaires, elles ont fait l’objet de viols collectifs. De 2018 à 2021, les massacres ont laissé plusieurs d’enfants orphelins https://web.rnddh.org/wp-content/uploads/2020/06/7-Rap-Attaque-Quartier-Defavorise-23Jun2020-3.pdf

 La conclusion d’un rapport de l’université Harvard a interprété les attaques du régime PHTK comme étant des crimes contre l’humanité https://hrp.law.harvard.edu/press-releases/un-rapport-revele-la-complicite-du-gouvernement-haitien-dans-des-crimes-contre-lhumanite/

[15] Les rapports du BINUH et de plusieurs organismes de droits humains ont fait état de la présence des membres du gouvernement lors du massacre de La Saline. Voir pour plus d’informations  https://minujusth.unmissions.org/la-minujusth-et-le-hcdh-publient-leur-rapport-sur-les-violences-des-13-et-14-novembre-%C3%A0-la-saline

https://web.rnddh.org/wp-content/uploads/2020/06/7-Rap-Attaque-Quartier-Defavorise-23Jun2020-3.pdf

 

[i] Doctorant en études urbaines à l’INRS, membre du Regroupement des Haïtien.nes de Montréal contre l’occupation (REHMONCO) et de la coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti.

 

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