En Haïti, la photographie n’est-elle qu’une affaire de gagne-pain ?

La photographie en Haïti

Le 8e art a fait ses débuts en Haïti en 1852, sous le règne de l’empereur Faustin 1er dont le couronnement a été immortalisé par des prises de daguerréotypes. Si à ses débuts elle ne concernait que la classe dirigeante haïtienne, elle s’ouvrait au grand public dans les années 1860 avec l’arrivée des photographes portraitistes, venus s’installer au pays. « La photographie devient désormais plus accessible à une élite soucieuse de se faire prendre en photo. Jusqu'à l’occupation américaine, la photographie reste l’affaire d’une classe aisée ». Peu après, les photographes commenceront à s’intéresser à d’autres sujets. Les rues, les paysages, les gens du peuple et de la paysannerie feront l’objet de leurs nouveaux intérêts. Soucieux de raconter le quotidien des gens, de nombreux photographes feront le choix de rapporter les faits à travers les images captivées. Un métier précaire. Faisant face à l’hostilité des uns et à l’incompréhension des autres.

Les photographes haïtiens, semble-t-il, n’ont jamais pu surpasser l’urgence de dire autrement le milieu social dans lequel ils évoluent, d’informer le public via des images. Malgré bien souvent confrontés a des difficultés qui constituent un véritable danger pour leurs vies. Vladjimir Legagneur, bien connu, a payé de sa vie, la tentative de faire un reportage à Grand-Ravine. L’héritage perpétue encore plus et, parait-il, loin de casser l’élan et la volonté de ceux qui souhaitent montrer ce que les plumes ne peuvent pas toujours exprimer. Ce métier, autrefois, quasiment exercé par des photojournalistes étrangers, suscite aujourd’hui la convoitise de plus en plus de photographes du milieu. Il consiste une fenêtre vers le monde international curieux d’exotisme. Peu sont les photoreporters salariés dans le milieu. Ils sont à la rescousse des agences de presses étrangères. Ainsi, Dieu-Nalio Chery, représentant de l’agence américaine Associated Press depuis les années 2010, a été classé deuxième dans la catégorie Breaking news/story of the year de la National Press Photographers Asssociation (NPPA). Co-lauréat du prix Philippe Chaffanjon 2019, le photojournaliste, actuellement en exil avec sa famille, a constaté une fois de plus un de ses clichés rangé en 3e position dans la catégorie 5 de la prestigieuse Pictures of the Year International. C’est aussi le cas du très jeune Richard Pierrin, originaire de Petit-Goave, 2e lauréat du concours national de photojournalisme, qui contribue à fournir du contenu à des plateformes prestigieuses comme Getty Images. Une pluie d’espoir pour le futur de la photographie haïtienne ? Attendons de voir.



Qu’en est-il de la photographie artistique ?

Ces dernières années, on peut tous constater une vague de photographes tant ce métier se démocratise. Au grand nombre, jeunes, largement autodidactes, ils s’exercent à l’air numérique de ce métier, mordu de cérémonie de mariages ; de graduations ; d’événements culturels et de photos d’anniversaires. Ils ne se font pas prier. Les témoignages sur son côté rentable sont divers. Je côtoie entre autres des photographes de ma ville et l’un d’eux m’a révélé sa grande satisfaction. Je cite : « Mwen fè pou pi piti mil goud chak jou. Peyi a pa gen travay, se sam fè pou m degaje m ». Un autre se vante même de son insouciance à l’égard du sujet. « Mwen pa bezwen konnen, jan w vini map pran w. Se foto w bezwen map ba w foto. Ti kob mwen an m konnen ». Une façon de faire fi de tout l’aspect sensible et esthétique que nécessite son travail. Cette pratique n’est pas si différente du reste du pays. Ne s’évaluant pas artistes, ils décrient la portée de cette technique et la dénient toute valeur artistique. Comme si la photographie était uniquement une science appliquée. L’angle financier devient donc majeur, et l’angle artistique mineur. On observe le manque presque de galeries, d’expositions de photos et d’école de références dans le pays. Il faut noter qu’on ne saurait dédouaner l’État de son absentéisme total.


Le photographe a besoin de deux choses : son appareil et son regard. Ce dernier est d’une valeur essentielle. Et ensuite vient le traitement numérique de l’image. Un photographe artiste place la manipulation au service de l’image. L’objectif est alors de la rendre spectaculaire en manipulant l’image elle-même ou l’environnement dans lequel elle intervient. Ce qui va constituer sa marque. La manipulation photo n’est pas l’apanage de notre époque digitale, malgré ce que nous pouvons en penser : quelques décennies auparavant, des photos étaient retouchées à la demande des puissants de ce monde. Néanmoins, la manipulation d’image doit servir à l’expression artistique et esthétique, et non à la tromperie. Si les photomontages et l’art digital peuvent bien sûr comporter des éléments de fantaisie et même de science-fiction, les composants doivent justement être réalistes en termes de perspectives, d’éclairages, d’ombre et de couleurs.

La photographie en tant qu’art contemplatif a toujours été associée à la peinture. Cette tendance récurrente chez les photographes haïtiens de représenter le sujet, en studio, que sous fond de papier couleur grand format, agencé d’une technique de manipulation de base, dépourvue de toute pure démarche artistique, vient s’ajouter dans le milieu d’art haïtien observé en majeure partie sous les yeux de quelques amateurs, comme étant centré sur lui-même ; primitif ; naïf ; pudique et redondant. À faire l’exception de certains grands noms tels Philome Obin, Hector Hyppolite, Jean Claude Garoute, Serge Jolimeau, Philippe Dodard, et bien sûr Mario Benjamin pour ne citer que ceux-là. Dans une interview accordée à la presse en ligne Ayibo Post, le peintre Mario Benjamin, récompensé du prix de la Fondation Blachère de France, qui a vu ses œuvres accueillies dans de grandes expositions internationales, n’hésite pas de contester l’identité de peintre haïtien. Des artistes qui peignent toujours la même chose, ce n’est pas de la création, a-t-il rapporté. Il se voit juste peintre. Ne s’assimilant pas à une culture en particulier. Aucun cliché. Une façon d’exhorter ses pairs a la spontanéité. Sans pour autant balayer tout le travail des artistes haïtiens. À mon humble avis, deux photographes haïtiens, Roberto Stephenson et Josué Azor gagnent une attention particulière a leur travail, à l’instar d’un David Lachapelle et d’un Larry Clark, ils embrassent à vue de nez deux principes de la photographie d’art : ‘’la prise en compte de la diversité des approches artistiques, ou la constitution d’ensemble, par l’acquisition de l’intégralité de séries, permettant ainsi d’acquérir des collections monographiques cohérentes’’ (Artsper). Un univers quoi ! Une rupture de l’esthétique hyperréaliste !


Comme dirait peut-être Jean Tortel dans une autre vie : la photographie est libre de tout sauf de ne pas être un art.


Du côté de la Déontologie

Le manque de professionnalisme est fort décrié. Parfois même de petites concurrences déloyales entre photographe-client. Monsieur trouve que le cliché de monsieur qu’il a lui-même œuvré est trop bien réussi. Donc pas la peine que cette fichue photo voit le jour. Il va voler sa vedette. Il va se faire ses petites copines. Témoignage d’une connaissance qui se dit victime d’un photographe dont son nom ne sera pas mentionné là-dedans par souci de vérification : « Gen yon foto mwen te bay yon fotograf fè nan okazyon fèt mwen. Li te banm randevou sou senk jou. Lè dat la rive li pa dim anyen. Mwen eseye kontakte l san repons. Se byen ta jou fèt la, li ban mwen l. San bay yon motif pou reta a. Mwen panse se yon gwo mank respè ».

Certes ces différents témoignages restent à prouver, mais n’empêche qu’ils mettent à nu une triste réalité du secteur. Mauvaise presse !!!


Philippe Barthelemy
philippenorbert06@gmail.com


Sources : www.cheminscritiques.org
Artsper

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