« Lettre à mes amis peintres » de Jacques Stephen Alexis, pour des formes plastiques propres au peuple haïtien

Quoi de plus gratifiant, dans le cadre de la célébration du centenaire de naissance de l’intellectuel et écrivain haïtien Jacques Stephen Alexis et dans le cadre de « L’année de la belle amour humaine », de relire toutes l’œuvre de cet auteur qui était habité par un immense désir de vivre mais qui est malheureusement porté disparu à l’aube de ses quarante ans, en 1961. Alexis est une figure emblématique de la littérature francophone. Il est l’auteur de plusieurs romans à succès : Compère Général Soleil, Les arbres musiciens, L’espace d’un cillement et Romancero aux étoiles, publiés chez les éditions Gallimard en France.

Esthète et amoureux de l’art et critique d’art à ses heures perdues, Alexis livre ses impressions sur la peinture haïtienne dans » Lettre à mes amis peintres » publiée pour la première fois le 16 janvier 1956. Il est intéressant de relire cette lettre et comprend les grandes idées de Alexis sur la peinture haïtienne.

Dans » Lettre à mes amis peintres » Jacques Stephen Alexis fait un plaidoyer en faveur d’une peinture haïtienne d’inspiration marxiste. Alexis a utilisé la puissance analytique et critique de la méthode générale utilisée par Karl Marx pour rendre compte du devenir de la société. Pour l’auteur de » Lettre à mes amis peintres, le contenu de la peinture haïtienne, comme celui de tout l’art national, pourrait être défini ainsi : « Chanter les beautés de la Patrie haïtienne, ses grandeurs comme ses misères, avec le sens des perspectives grandioses d’avenir que lui donnent les luttes de son peuple, atteindre ainsi à l’humain, à l’universel et à la vérité profonde de la vie. »

Dès lors, les productions artistiques haïtiennes perdent toute autonomie (Kant) comme toute finalité transcendante (Hegel) pour s’avérer de simples phénomènes historiquement et socialement déterminés. Pour Yves Dorestal, c’est la première fois qu’un marxiste haïtien thématise avec autant de profondeur la problématique du développement d’une peinture nationale. La « Lettre à mes amis peintres » de Jacques Stephen Alexis débroussaille toute une série de questions qui sont des présupposés pour la création d’une peinture nationale dont l’enjeu est l’émancipation politique et sociale de notre peuple.

Après avoir examiné la conception marxienne de l’art, Alexis a fait, dans sa « Lettre à mes amis peintres », l’analyse critique de l’industrie culturelle et posé la question des rapports entre art et politique à l’époque contemporaine. C’est un opuscule à lire en cette année consacrée à la vie et l’œuvre de Jacques Stephen Alexis.

Le National publie un extrait de cette lettre.

« La peinture de chevalet, le tableau, est le plus important des modes d’expressions plastique à la disposition d’un artiste pour exprimer sa vision de la vie. Qu’un débutant se serve de la toile, du papier, du carton, du bois, qu’il fasse de l’aquarelle, de la gouache, de la sanguine ou de l’huile, il fait de la peinture de chevalet, mot générique qui englobe toutes les œuvres destinées à être accrochées à un mur. Non seulement les débutants, mais la plupart des peintres sont contraints à faire de la peinture de chevalet, des tableaux, les autres genres étant réservés à quelques peintres privilégiés. La peinture de chevalet est condamnée à être dispersée, l’œuvre achevée entre immédiatement dans le circuit commercial. En Haïti, en particulier où il n’existe pas de musées, ni même de vraies collections particulières, le peintre perd tout contact direct avec l’œuvre qu’il a créée, ne disposant même pas de reproductions valables de ses œuvres. Le peintre haïtien est objectivement coupé du mouvement d’ensemble de son œuvre, d’autant plus que le marché de tableaux est dans une grande mesure un marché d’outre-mer, un marché nord-américain. Ceci constitue un problème grave pour l’avenir de la peinture nationale, selon moi le premier. Il faut étudier d’une manière urgente ce qui peut contribuer à élargir le marché national, il faut travailler à ce que les pouvoirs publics, les municipalités installent des musées pour l’éducation du goût de nos enfants, pour donner des moyens d’étude aux peintres, pour montrer à nos visiteurs les trésors de l’art haïtien. Les peintres doivent discuter de tout cela avec le plus grand sérieux. »

 

Schultz Laurent Junior

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