Andrise Pierre : du sang neuf dans le théâtre de ces «Nouvelles Dramaturgies d’Haïti»

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Cette anthologie de 12 textes dramatiques est une publication soutenue par AROCH et OIF, coordonnée par Guy Régis Jr et publiée par Edisyon Chimen, de l’Association Quatre chemins en collaboration avec la compagnie Nous théâtre, créée dans l’objectif d’offrir un espace de diffusion et de publication aux dramaturges haïtiens. Cette publication regroupant douze textes dramaturgiques (de 6 autrices/6 auteurs) dont deux sont en créole, sera disponible dans toutes les bibliothèques en Haïti ainsi que dans plusieurs pays francophones. « Vidé mon ventre du sang de mon fils » de la dramaturge haïtienne Andrise Pierre est le dernier texte du deuxième tome.

Découvrons ensemble le résumé (la trame) et la présentation (l'à-propos) de ce texte

Trame
Une mère pleure la mort de son fils. Un fils pourtant non désiré. Sa mort
plongée dans l’oubli, elle voudrait l’exhumer son fils. Par cet acte, défier les
auteurs du crime et faire sortir sa ville du mutisme. Telle Antigone de Sophocle
bravant l’autorité, elle se fait l’adversaire du silence et de la passivité. C’est un
récit des relations mère-fils, questionnant le viol, le deuil, l’impunité. C’est
le récit d’une existence ravagée par des hommes et des femmes muets dans
une ville qui se détériore. C’est aussi un tableau social mettant en exergue
la condition des défavorisés même des années après le tremblement de terre du 12 janvier.

À propos
« Vidé mon ventre du sang de mon fils » a explicitement été écrite à partir d’une
histoire réelle et personnelle. En 2015, à Port-au-Prince, Stevenson Oczéus,
le frère de l’autrice a été assassiné et les assassins sont demeurés impunis.
Elle lui dédie sa première pièce et s’adresse à lui dans l’exergue par les mots
de Jacques Cassabois. Mais là s’arrête sa présence, car elle déplace la parole et
donne voix à la mère « Manman », celle qui n’a jamais eu les mots, la langue.
Mère qui a légué une immense blessure.


La mère a eu un fils né d’un viol, l’amour n’a pas pu se déployer, le fils a été
assassiné et son assassin vient d’être libéré. Là débute la pièce, une remontée
dans le temps qui prend tantôt la forme d’une tendre berceuse « Ce soir, je veille
sur sa vie, je veille sur son enfance » tantôt celle d’une rageuse dénonciation
dans un monde de mutisme. Elle parle à son enfant pour faire la paix avec lui,
pour exorciser sa mort, pour retracer le chemin d’une mémoire douloureuse
éparpillée. Elle lui raconte sa peur qu’il soit le diable comme son père, son
désir de faire de lui « un homme différent de ce monde des hommes », son
rêve de fuite pour protéger ses enfants. Elle s’adresse aussi aux assassins qu’elle
nomme, à la société dans laquelle elle vit et qui a perdu la parole pour dire
la violence, l’impunité, la complicité, le silence. Violence sociale, politique,
systémique qui s’érige en norme et contamine jusqu’aux relations les plus
intimes, laissant plus de place à la haine qu’à l’amour. La construction de la pièce suit ces états contradictoires de douceur et de rage.

Le monologue tendu de la mère porte aussi la voix des petites sœurs représentées
par des poupées de chiffon, c’est une voix plurielle qui démultiplie les
blessures. Comme Antigone, elle ne veut plus se taire en dépit des menaces,
des « ombres », à la dimension quasi fantastique, qui rôdent. Parler c’est aussi
protéger. Mais à l’inverse d’Antigone qui meurt pour avoir voulu donner une
sépulture à son frère, la mère veut déterrer son fils dont on a fait hâtivement
disparaître le corps pour cacher la vérité sur sa mort et protéger les assassins.
Et même s’il est trop tard elle ne renoncera pas « J’ai couru et je cours encore
pour faire la paix avec toi ». Elle ne se taira plus.


« Vidé mon ventre du sang de mon fils » est une tentative de consolation, de
réparation. C’est aussi une pièce sans cesse traversée par la dénonciation
de la faillite du politique à protéger, un tableau social de la condition des
plus défavorisés, des existences gommées, ravagées dans une ville muette et
violente. La mère, une embarcation en perdition sur la houle de la mémoire,
dont la voix s’élève au milieu des « grognements d’une foule qui a oublié
comment parler ».


L’écriture est précise, la langue parfois crue, la mélopée de la mère est sans
cesse trouée par la lame de la rage. Le monologue a du souffle, il résiste, car
soutenu par un propos politique tissé avec la douleur de la mère. Le cri n’est
pas retenu, mais il a de la pudeur.

Nadine Chausse

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