L’Haitien Renauld Govain reçoit une HDR en France

Le recteur de l’université linguistique d’Haïti, Renauld Govain, vient d’obtenir une habilitation à diriger des recherches (HDR) en sciences du langage. Sa soutenance de thèse a été suivie avec grand intérêt par plusieurs de ses compatriotes. Reportage.

Le 1er juin. La soutenance de mémoire doit se tenir à l’université de Paris VIII. À 13 heures 55, l’assistance composée d’Haïtiens qui attendait dans le hall du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est priée d’entrer dans la salle où la cérémonie va avoir lieu dans quelques minutes. Les yeux rivés sur sa pendule, la présidente du jury, Mme Anne Zribi-Hertz, attend 14 heures pour ouvrir la séance. Après les salutations d’usage à l’adresse du public et de ses collègues, cette Professeuse émérite de l’Université de Vincennes-Saint-Denis indique l’ordre dans lequel chacun des membres composant le jury composé de six membres (1) va intervenir. Ceux-ci disposent de vingt minutes pour poser leur diagnostic sur le travail du compatriote et les discussions avec celui-ci.

D’abord, Mme Zribi-Hertz échange quelques propos bienveillants avec le candidat qui a vingt minutes pour expliquer et convaincre du bien-fondé de ses recherches.

Dans sa thèse ayant pour titre « La question linguistique haïtienne : histoire, usages », Govain développe des thématiques de recherches prisées par les linguistes haïtiens, allant de la sociolinguistique à la phonologie en passant par la dialectologie, la didactique des langues, la francophonie et la description du français haïtien. On est plongé dans l’univers de la linguistique, avec des termes propres aux étudiants du langage humain, en tout cas un vocabulaire peu connu du grand public. Après cette plongée dans le vif du sujet, le chercheur haïtien évoquera d’abord les difficultés auxquelles il s’est trouvé confronté ayant retardé son travail, un environnement hostile en raison des soubresauts qui agitaient son pays, Haïti. Dans ces conditions, il n’était pas facile de faire des recherches et encore moins de les publier. Il explique aux membres du jury que le dossier qu’il soumet à leur appréciation « comprend le bilan d’un parcours de recherches, accompagné d’un travail réflexif qui tente de l’éclairer. Inscrit dans l’un des pays les plus pauvres et confronté à maintes tourmentes sociopolitiques, ce parcours, ancré au départ dans la sociolinguistique, la dialectologie et la didactique des langues, avec une ouverture sur la francophonie, a connu un détour vers la phonologie en lien avec la créolistique. Les travaux qui résultent de ce parcours peuvent être regroupés sous l’intitulé : La question linguistique haïtienne : histoire, usages et description. Ainsi, mes travaux suivent un itinéraire non linéaire qui se construit à partir de la communauté linguistique haïtienne. Le détour vers la phonologie naît essentiellement des besoins de la Faculté de Linguistique appliquée (FLA) de l’Université d’État d’Haïti, je dirais même des études créoles ».

Notre recteur est un habitué de ces genres de prestations universitaires puisqu’il avait soutenu sa thèse en linguistique intitulée « Sociolinguistique et la didactique des langues ». Il s’est ensuite lancé dans de longues recherches sur la créolistique sociolinguistique et la didactique des langues afin de faire comprendre la spécificité du créole haïtien.

Chaque intervention donne lieu à des débats de dix minutes où il développe les grandes lignes de ses travaux, avec des mots cette fois accessibles aux communs des mortels. Après plus de trois heures d’interventions et d’explications, notamment sur les différences notables entre le français canadien et haïtien, le débat entre Covain et des membres du jury sur la pertinence de son travail de recherche tire à sa fin.

L’auditoire, composé en grande partie de docteurs et de futurs docteurs ainsi que de professeurs d’université travaillant en Haïti et en France, a écouté ces interventions avec intérêt, chacun se remémore son propre parcours universitaire. Une fois de plus, Mme Anne Zribi-Hertz intervient pour mettre fin à la présentation. L’auditoire est alors prié de prendre la clef des champs, le temps pour les six membres du jury de décider du sort de notre compatriote.

Dans le hall pendant les deux intermèdes, une autre discussion entre universitaires haïtiens se déroule entre Herby Glaude et Darline Cothière, deux docteurs en linguistique qui ont eux aussi soutenu leur thèse à Paris. Jean Marie Théodat, qui prépare aussi son HDR, était présent. Deux autres futurs docteurs sont en attente de présenter leurs travaux : il s’agit de Jocelyn Belfort et de Panel Lindor.

De retour dans la salle pour le verdict, c’est sans surprise que la présidente proclame à l’unanimité que le recteur de l’université linguistique d’Haïti est désormais habilité à diriger des recherches. D’après l’article 1 de l’Arrêté du 23 novembre 1988, l'habilitation à diriger des recherches « sanctionne la reconnaissance du haut niveau scientifique du candidat, du caractère original de sa démarche dans un domaine de la science, de son aptitude à maîtriser une stratégie de recherche dans un domaine scientifique ou technologique suffisamment large et de sa capacité à encadrer de jeunes chercheurs. Elle permet notamment d'être candidat à l'accès au corps des professeurs des universités. »

Une brochette de professionnels travaille sur les questions linguistiques en Haïti Un petit tour de la planète de cette profession sur internet vous met en contact avec beaucoup de ces chercheurs. L’un des plus célèbres est sans conteste Robert Berrouët-Oriol, spécialiste en aménagement linguistique. Sur le net, il fait régulièrement des propositions très pertinentes sur le développement en Haïti de la langue créole. Il y a aussi Michel De Graff qui propose l’éducation en classe primaire dans la langue maternelle, sans oublier les articles de Hugues Saint-Fort en créole. Toute chose qui prouve que la recherche linguistique en Haïti marche et suscite des débats parfois houleux, mais très instructifs, notamment les relations entre les deux langues officielles de la République d’Haïti, le créole et le français.

Jusqu’ici, les travaux en linguistique tiennent compte de la cohabitation entre les deux langues. Ce cas de figure est traité de manière didactique par Renaud Govain avec des luxes de détails, évoquant les nombreux travaux sur le créole et le français. Sur l’apport du français haïtien à la francophonie,  le recteur explique que Haïti a « une position géostratégique pour la diffusion du français dans les organismes régionaux et internationaux ». Ses travaux sur la langue nationale ne font que commencer.

Maguet Delva

N.D.L.R.

(1) Le jury était composé de Patricia Cabredo Hofherr, HDR, Chargée de recherche, CNRS (Université Vincennes–Saint-Denis) (rapporteur), Viviane Déprez, Professeur, Rutgers University (États-Unis d’Amérique) (rapporteur); Pierre Martinez, Professeur émérite, Université Vincennes–Saint-Denis; André Thibault, Professeur, Université Paris-Sorbonne (rapporteur); Sophie Wauquier, Professeur, Université Paris 8 Vincennes–Saint-Denis (Garante) ;Anne Zribi-Hertz, Professeur émérite, Université Vincennes–Saint-Denis.

(2) Vivant à Paris depuis plus de trente ans, l’auteur de cet article a assisté à la soutenance de thèse de 45 Haïtiens, dont la vingtaine de noms suivants : Gilles Edouard ; Jean-Marie Theodat ; Dominique Dejean ; Vilbert Bélizaire ; Webert Arthus ; Carlo Célius ; Emmanuel Charles ; Guy Marie Louis ; Darline Cothière ; Gérald Chéri ; Nephtalie Joseph ; Révérend Micial Nerestant ; Jean Odile Étienne ; Révérend père Jean Louiner Saint-Fort ; Nathalie Lamaute Brisson ; James Lamarre ; Wendy Étienne ; Renaud Govain ; Montferrier Dorval ; Francilien Bien-Aimé (Bordeaux) ; Josué Pierre-Louis (absent, lors de la soutenance, mais la thèse vient d’être publiée) ; Josué Pierre etc.

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