Le Royaume de ce monde d’Alejo Carpentier: lune lecture en éventail d’Haïti

L’auteur cubain Alejo Carpentier a imprégné l’histoire d’Haïti avec facilité, illustrant manifestement la révolte des Noirs de Saint-Domingue, le goût du royaume établi par Henri Christophe et ses majestueux palais, autant d’exemples pour les autres pays. Et, les légendes et le vodou ont fait de cette œuvre de fiction historique une fresque extraordinaire.

« Cela devint particulièrement évident pendant mon séjour en Haïti, quand je me trouvai en contact quotidien avec ce que nous pourrions appeler le réel merveilleux. Je foulais cette terre où des milliers d’hommes avides de liberté avaient cru au pouvoir lycanthrope de Mackandal au point que cette foi collective produisit un miracle le jour de son exécution. Je connaissais l’histoire de Boukman, l’initié jamaïcain. J’avais été à la Citadelle LaFerrière ouvrages sans antécédents architecturaux uniquement annoncés par les Prisons imaginaires de Piranèse. J’avais respiré l’atmosphère créée par Henri Christophe, monarque aux entreprises extraordinaires. » Tels sont les propos de Alejo Carpentier  qualifiant ce roman d'œuvre du terroir.

L’ouvrage d’Alejo  relève d’une collection des fragments de scènes émerveillées de l’histoire réelle d’Haïti et d’importants noms d’esclaves comme Mackandal, Ti Noël dont ce dernier est le personnage principal de ce roman « Le Royaume de ce monde ». En effet, de l’Afrique, passant par Cuba à l’île d’Haïti, Ti Noël suit les caprices de son maître, Lenormand de Mézy. Il en profite également à s’encrer dans son égrégore ancestral. D’où l’illustration « Sous prétexte de baigner les chevaux, Ti Noël s’éloignait fréquemment de l'habitation de Lenormand de Mézy, pendant de longues heures, pour rencontrer le manchot. Tous deux se dirigeaient alors vers la limite de la vallée, là où le terrain devenait accidenté, et où la pente des montagnes était creusée de grottes profondes. Ils s’arrêtaient chez une vieille femme qui vivait seule, bien qu’elle reçut la visite de gens venus de très loin. Plusieurs sabres pendaient aux murs, au milieu de drapeaux rouges, aux hampes pesantes, de fers à cheval, d'éclats aérolithes et de cuillères rouillées attachées avec des fils de fer, mis en croix afin d’éloigner le baron Samedi, le baron Piquant, le baron La Croix et autres maîtres de cimetières. Mackandal montrait à la Maman Loi les feuilles, les herbes, les champignons, les simples qu’il portait dans sa bourse. Elle les examinait avec soin, pressait et sentait les uns, jetait les autres. (…) ». C’est œuvre vivante, imbue de révolte et de maléfices.

Goût pour la culture, l’histoire et les légendes d’Haïti

Né le 26 décembre 1904 à Lausanne (Suisse), Alejo Carpentier est d’un père français Georges Julien Alvarez Carpentier architecte et d’une mère professeure de langue russe Catherine Valmont Blagoobrasoff. Il a grandi à Cuba puis en France où il a pris la musicologie avant de retourner au Cuba pour se consacrer au journalisme. Il a été touché par la culture afro-cubaine par le biais d’une cérémonie vodouesque appelée en espagnol « santería ». En 1943, il a fait visiter Haïti. Alejo Carpentier a pris goût de la culture, de l’histoire et des légendes d’Haïti qu’il placera plus tard au centre du monde.

« (…) la reine Marie-Louise trouvait ce matin-là une harmonie mystérieuse entre l’odeur de l’encens, la fragrance des orangers d’un patio voisin et certains mots de la leçon liturgique qui faisaient allusion à des parfums connus dont les noms étaient écrits sur les pots en porcelaine de l’apothicaire de Sans-Souci. Henri Christophe, en revanche, n’arrivait pas à suivre la messe avec toute l’attention désirable, car il sentait son cœur oppressé par une inexplicable inquiétude ». Tels sont les propos relevés à la troisième Partie du livre, racontant le Chronique du 15 août pour les mordus de l’histoire d'Haïti, celle d'après la révolution de Saint-Domingue.

Suite à la mort d’Henri Christophe, Ti Noël avait pillé le palais de Sans-Souci puisqu’il n’a jamais eu de toit. Il prenait tout ce dont il avait besoin. Ainsi, il devenait alors le jouet du destin. Tous ceux qui le croisaient en chemin, le ridiculisaient. Ni la tyrannie des Blancs ni celle des Noirs n’avait pourtant menacé sa liberté. Et il se pavanait majestueusement. Cependant, ce qui incite plus d’intérêt est l’ambiance nécessiteuse dans laquelle l’essayiste cubain fonce tous ceux qui s’y plongent. Henri Christophe « s’arrêta devant le fait orné de ses armes. Deux lions couronnés soutenaient un blason à l’emblème du phénix couronné, avec la devise : “Je renais de mes cendres”. Sur les plis d’une banderole s’arrondissaient les lettres de “Dieu, ma cause et mon épée”. Christophe ouvrit un coffre pesant, caché par les glands de la tenture. Il en tire une poignée de pièces d’argent, où ses initiales étaient gravées. Puis il jeta par terre plusieurs couronnes d'or massif, d'épaisseurs différentes». Telle narration relève de la richesse du royaume d’Henri Christophe. Rappelons que sa plus grande ambition était de rendre Haïti à la dimension de la Grande-Bretagne. Et d’après certains historiens et les faits exaltés à travers « Le Royaume de ce monde » d'Alejo Carpentier, on essaierait de comprendre ce que représente Haïti au vu du monde entier outre du visage forgé.

 

En guise de conclusion

Ti Noël a tout vu et vécu. Les nouveaux maîtres lui semblent être pires que les colons blancs. Mais que l’on considère Mackandal ou Boukman le Jamaïcain, eux, ayant cru à leur propre métamorphose et aux richissimes palais d’Henri Christophe, tous relèvent de l’épopée haïtienne la plus exhaustive et avérée. « Ti Noël fut surpris de la facilité avec laquelle on se transformait en animal quand on avait le pouvoir nécessaire. Pour se le prouver, il grimpa à un arbre, voulut être oiseau, et à l’instant il fut oiseau », eu égard à cet extrait à titre d’exemple repéré à la page 225, le merveilleux réel est ce qui fait vraiment la toile de fond de ce roman.  Le vaste champ des thèmes comme: liberté, égalité qui tissent la toile laisse à croire qu’Haïti est ce qui déplie et replie ce monde en les donnant leurs vrais sens.

Reprenons ces mots pour se faire une idée de l’éventail d’Haïti. Ces mots sont tirés à la page 187 du roman lâché par le roi Christophe lesquels relèvent son gouvernement : « Henri, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État, Roi d’Haïti, Souverain des Îles de la Tortue, Gonâve, et autres villes adjacentes, Destructeur de la Tyrannie, Régénérateur et Bienfaiteur de la Nation haïtienne, Créateur de ses Institutions morales, politiques et guerrières, Premier Monarque couronné du Nouveau-Monde, Défenseur de la Foi, Fondateur de l’Ordre royal et militaire de Saint-Henry, je vous salue tous présents et à venir ». Il est évident que vous fassiez vos propres conclusions d’Haïti.

 

Schultz Laurent Junior

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