PREFACE

Ericq Pierre et nous

Ericq Pierre est surtout connu du grand public pour avoir, par deux fois, manqué d’être Premier ministre de la République d’Haïti, lors des deux mandats présidentiels de feu René Préval. Il avait sous-estimé les forces de la corruption et dans sa sincérité, il n’avait peut-être pas cru les uns capables de roublardise, les autres d’hypocrisie. Pour reprendre le mot du succulent Justin Lhérisson, les messieurs en place « calbindaient ». Les lecteurs auraient bien aimé connaître les dessous de ces « affaires », mais ce sera sans doute dans une autre publication, et croyez-moi, Ericq Pierre vaut beaucoup mieux que cela par son expérience, ses réflexions qu’il partage avec nous.

Diplômé en 1971 de la Faculté d’agronomie de l’Université d’État d’Haïti, il traversa 50 ans de vie professionnelle comme ingénieur-agronome, consultant, fonctionnaire des secteurs public et privé, occupant des positions de leadership dans des organisations efficaces, bien structurées tant en Haïti qu’à l’étranger. Il passa en effet 22 ans (1991 – 2013) comme représentant d’Haïti au Conseil d’administration de la Banque interaméricaine de développement à Washington. Auparavant, il travailla 11 ans à la même institution à Port-au-Prince comme spécialiste du secteur agriculture/environnement. En 1975, il est consultant à la USAID dans la préparation de politiques agricoles après trois ans comme assistant du conseiller économique et commercial à l’Ambassade des États-Unis d’Amérique en Haïti de 1971 à 1974.

Il fut aussi membre de plusieurs groupes de travail pour la réorganisation de plusieurs entités des secteurs public et privé, sur le commerce et l’investissement (CBI/CARICOM), sur l’allègement de la dette des pays pauvres, par les programmes d’urgence et de récupération économique. En tant que membre de la direction de l’Association nationale des agro-professionnels haïtiens (ANDAH : 1986 – 1988) et représentant d’Haïti à la BID, il s’impliqua dans la recherche de solutions aux problèmes liés au développement général.

Tout au long de sa carrière, il travailla sur les règlements, les politiques, les normes, les procédures de passations de marchés, les stratégies et les statuts de plusieurs organisations socio-économiques en Haïti et à l’étranger. Il eut accès aux acteurs les plus importants de la vie nationale à tous les niveaux. Il collabora directement avec des agriculteurs à travers le pays, ce qui lui permit de détenir une sérieuse connaissance des problèmes de ces compatriotes.

Ericq Pierre a donc beaucoup appris de choses nous concernant.

Des informations sur notre vie nationale, nos relations avec l’extérieur, le regard des autres sur notre drame… Lisez avec une particulière attention le texte où il raconte ses démêlés avec les macoutes de Jérémie prenant plaisir à domestiquer, à humilier au temps de la toute-puissance duvaliériste. Un rappel utile à ceux qui, par ignorance ou par sous-humanité, regrettent cette période de violence et de corruption érigées en institution, période annonciatrice de notre décadence et de notre faillite. Dans son article sur Jean-Claude Fignolé, il décrit cette atmosphère de terreur sévissant à travers le pays où de jeunes étudiants et intellectuels cultivèrent quand même leur foi en un avenir meilleur et lancèrent l’une des plus importantes démarches de notre histoire littéraire : le spiralisme.

Jeunes et moins jeunes s’instruiront en parcourant le chapitre sur l’histoire de la Plantation Dauphin où, jeune agronome, Ericq Pierre fut embauché. J’avoue qu’il m’a plu par son abondance d’informations et sa prose claire et directe. Ses remarques sur le comportement de notre Église catholique, son rôle dans notre histoire contemporaine frappent par leur pertinence et souhaitons qu’elles trouvent écho chez les concernés.

Jeunes diplomates, étudiants en Relations internationales, tous devraient profiter de ses analyses de nos rapports avec la République dominicaine, le CARICOM, les organismes financiers internationaux pour saisir l’impérieuse nécessité de sortir de la corruption, de l’incompétence, de l’amateurisme.

Nous laissons au lecteur le soin de prendre son plaisir dans le parcours agréable et instructif de ces textes parlant aussi de nos oiseaux, de nos monuments, de notre flore…

Pour ceux ayant vécu certains évènements, leur proximité les banalisera peut-être et la lecture de leur relation peut sembler de peu d’intérêt. Mais, erreur, quand même.

Avec le temps, la distance s’établit et ce livre présente objectivement des faits passés. C’est pourquoi il revêt une importance capitale pour l’historien à venir. Par sa mémoire, Ericq Pierre fait oeuvre utile. Les textes rassemblent ses souvenirs certes, mais aussi les nôtres. Oeuvre de mémorialiste digne d’intérêt pour l’historien qui, aujourd’hui, est un adolescent ou aborde sa jeunesse.

Michel Soukar

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