Une radiographie de la diplomatie prévalienne

Dans « La politique étrangère de René Préval 1996-2001/2006-2011 », Jean Guy-Marie Louis présente une brillante analyse de nos structures de coopération avec les autres pays.

S’il y a quelqu’un qui remplit les conditions académiques et professionnelles pour ce genre d’expertise, c’est sans conteste Jean Guy-Marie Louis. L’homme fut diplomate, ancien directeur général et professeur de relations internationales et actuellement dirige l’Académie diplomatique Jean Price Mars du ministère des Affaires étrangères. « Ce livre, prévient-il d’emblée, vise à faire le jour sur la diplomatie haïtienne pendant l’ère Préval, à parler de ses forces et ses faiblesses, des faux pas et des rendez-vous manqués, tout comme de ses sursauts, de ses coups de poker et de ses succès non planifiés et même certaine fois non désirés. Une place de choix y est dédiée à la coopération internationale, la coopération Nord-Sud et la coopération Sud-Sud. »

Les dix chapitres de l’ouvrage sont conçus avec l’aide éclairante du droit, des relations internationales et de l’histoire immédiate brute. Si on veut connaître les problèmes techniques du ministère des affaires étrangères lors des deux mandatures de Préval, répartie sur deux quinquennats, on est à la bonne adresse car l’auteur aborde cette question sans complaisance.

Dès le premier chapitre, les problèmes que la diplomatie prévalienne ainsi que ses manquements sont d’autant plus criants qu’ils sautent aux yeux du premier venu. Le peu de progrès économique et social enregistré en Haïti constitue un handicap pour l’épanouissement de la diplomatie haïtienne sur la scène internationale. Les difficultés du pays à trouver sa place dans le champ international tient du fait que le plus souvent les princes haïtiens avaient des conseillers étrangers à la diplomatie. L’auteur explique que « la diplomatie qui devrait être un outil entre les mains du chef de l’État et de l’administration publique en tout premier lieu du Premier ministre et du Ministère des Affaires Étrangères (MAÉ), a évolué pendant longtemps dans les couloirs du Palais national, concocté par quelques conseillers diplomatiques aussi incompétents qu’arrogants, ayant point toute qualification l’amitié ou la confiance du chef de l’État ». Pratique qui, selon lui, a rendu faible notre politique extérieure.

Dans les pays à forte tradition diplomatique, les personnes qui murmurent aux oreilles des chefs d’État jouissent de compétences illimitées. L’expertise étant de mise : rien n’est improvisé et le conseiller doit parfaitement maîtriser ses dossiers. À ce sujet, il existe dans l’histoire de la diplomatie haïtienne quelques exemples d’excellence. Qu’on se rappelle le succès qu’avait obtenu Anténor Firmin, à l’époque ministre des Relations extérieures du Président Florvil Hyppolite. Face aux oukases de l’Amiral américain Gherardi, Anténor Firmin a entraîné son interlocuteur dans d'interminables négociations jusqu’à l’épuiser. À cette occasion, les théories diplomatiques ont été suivies à la lettre par le prestigieux stratège haïtien au point que son interlocuteur a fini par jeter l’éponge devant ce diplomate aguerri qui maîtrisait sur le bout des doigts le droit international et les arcanes de la diplomatie. Devant le refus obstiné de la partie haïtienne, les envoyés américains étaient repartis bredouilles, quittant les eaux territoriales haïtiennes sans avoir pu tirer un seul coup de feu.

C’était l’époque où la diplomatie haïtienne était claire, sans équivoque, coulée dans le granit de l’histoire de notre belle et unique révolution. Un passé auquel on aurait dû aujourd’hui se référer pour donner une certaine visibilité à notre pays, rendre audible sa voix dans le concert des Nations et ainsi contribuer à son rayonnement.

Dans ce tour d’horizon sur notre diplomatie, Louis s’est montré particulièrement sévère à l’égard de certains chanceliers, dont Jean Reynald Clérismé : « Le premier handicap de Clérismé est son manque de formation en diplomatie. Ce qui explique, d’ailleurs son manque de vision et sa très faible capacité d’anticiper les événements et de trouver des solutions appropriées. N’étant pas sûr de lui, il a opté pour une diplomatie passive lourde en multipliant les différentes étapes du processus décisionnel et inefficace. Son second handicap concerne son passé sacerdotal. Voulant être à la fois évêque curé et vicaire, il s’est arrangé, et ce, par tous les moyens, pour faire partir, les hauts cadres du Ministère afin de laisser la place aux membres de sa nouvelle congrégation. »

Pour ce qui est d’un tel constat, rien de nouveau. Depuis 1804, d’un gouvernement à l’autre, ce sont toujours les mêmes comportements. Ce livre tombe à un moment où en Haïti le travail du diplomate haïtien est sérieusement remis en question, faisant l’objet de supputations et de critiques sévères.

Les pages consacrées aux relations entre Haïti, le Venezuela et Cuba jettent une lumière crue sur la politique du grand voisin. La diplomatie américaine a sa bible : quelle que soit la couleur idéologique du Président, la doctrine de Monroe reste d’actualité, identique. L’analyse des relations de ces trois États face aux États-Unis en est, à elle seule, une illustration. Une doctrine diplomatique même, que l’on devrait enseigner dans les écoles diplomatiques, notamment en Haïti.

Sans le savoir, Préval avait peut-être joué une partition diplomatique compliquée. Il était coincé entre l’Amérique puritaine et vengeresse de Georges Bush fils et de l’autre, deux mastodontes Hugo Chavez et Fidel Castro qui affichaient leur anti-américanisme sans complexe. Mais, nous apprend l’expert, ce n’était pas tant le virage à gauche de Préval qui exaspérait les Américains que les polémiques qui s’ensuivirent. Lors du passage du vice-président du Venezuela en Haïti pour la signature de l’accord Pétrole Caraïbe, l’ancien diplomate rappelle que José Vincente Rangel a déclaré : « Pendant que les autres déclarent qu’Haïti a rejoint l’axe du mal en réalité, ce pays a contribué à l’existence d’un axe de solidarité et de consolidation d’une nouvelle Amérique Latine ». Propos qui ne sont pas pour plaire à l’Oncle Sam jaloux de sa puissance.

Après le volet consacré à l’analyse de notre diplomatie, l’auteur s’attaque avec la même rigueur scientifique qu’on lui connaît au fonctionnement de notre parlement, se focalisant particulièrement sur les relations entre les deux chambres. Se plonger dans le bicaméralisme tel que vécu en Haïti est tout ce que l’on peut imaginer, excepté une sinécure, surtout à l’analyse de ses rapports compliqués avec le premier mandataire de la nation. En bon pédagogue, l’ancien haut fonctionnaire évoque fidèlement les périodes agitées de ce parlement, se référant aux articles de journaux de l’époque.

Pourfendeur de consciences, Guy n’hésite pas parfois à tancer sévèrement les acteurs politiques, critiquant sans façon leurs comportements négatifs lors des crises successives qui ont émaillé la vie politique haïtienne. On ne saurait passer sous silence la gymnastique à laquelle le président Préval s’est livré pendant deux quinquennats en vue de faire adopter par le parlement les Premiers Ministres qu’il avait désignés dont madame Pierre Louis, après les rejets d’Eric Pierre et Bob Manuel qu’il avait proposés. Ce sont des péripéties politico-législatives qui ont, d’une certaine manière, contribué gravement à perturber le processus démocratique. Après la ratification de madame Pierre-Louis, l’imbroglio politique avait pris fin, mais la « parlementocratie » à l’haïtienne s’était acharnée sur elle, sur fond d’intrigues ourdies par les proches de la Primature et ceux de la Présidence se livrant à une guerre sans merci par journaux interposés. « Entre le Président et le Premier Ministre le courant ne passe plus. Certaines personnalités proches du chef de l’État reprochent au gouvernement de n’avoir pas assez travaillé au bénéfice de la population. » La Première ministre devait monter au créneau. Présentant son second bilan au parlement, le 9 juin 2009, la cheffe du gouvernement en a profité pour réfuter les accusations de paresse du gouvernement, affirmant que « les actions ont été entreprises dans tous les secteurs particulièrement celui de la justice ».

Comme dans son précédent livre, le professeur Jean Guy-Marie Louis tente aussi d’expliquer le processus de prise de décisions politiques arrêtées par le Président Préval. Même quand ses explications ne sont pas exhaustives, elles ont le mérite d’exister car on gagne à connaître ce genre de témoignages pour éviter la répétition des erreurs du passé. Une publication qui vaut son pesant d’or par les temps qui courent où on observe un désert de publications diplomatiques, mis à part les travaux épars de quelques diplomates.

 

Maguet Delva

maguetdelva@yahoo.fr

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