HOMMAGE

Le célèbre chanteur Parisien Fils-Aimé fait ses adieux !

À Miami, le 10 juillet dernier, beaucoup de chanteurs haïtiens ont honoré Parisien Fils-Aimé, chanteur-culte de Tropicana, qui prend une retraite bien méritée à soixante-quinze ans. Retour sur son rôle et sur celui de l’un des plus célèbres orchestres haïtiens.

Pour la première fois en 56 ans d’existence, la photo de Parisien Fils-Aimé ne figure pas sur le dernier album de l’orchestre mythique du Nord. Le public n’aura pas l’occasion d’écouter la voix remarquable de celui qui, depuis le 4 novembre 1966, a conquis tant de fanatiques en Haïti, mais aussi de par le monde.

« Toutefois, la relève est assurée ! », entend-on dans les coulisses de cet orchestre. Doralus Luc, l’étoile montante de Tropic, peut faire l’affaire. Compositeur de « Bagay la rèd », il est aussi l’auteur de la chanson bien connue « Lòm gen limit ».

Doyen des chanteurs haïtiens, Fils-Aimé a battu le record pour être resté pendant plus de cinq décennies dans le même orchestre. Notre rossignol national est plus qu’une légende : c’est notre Mike Jagger à nous.

Ayant débuté à 19 ans, il n’est pas seulement une voix, mais c’est aussi un compositeur chevronné qui prend le pouls de notre société pour nous livrer des chansons pleines d’engagement patriotique. Constatant que le pays va à la dérive, il nous appelle à nous ressaisir. On lui doit aussi plusieurs compositions telles que « Plante pye bwa », « Je t’aime » « Nou refize granmoun », « Ti madanm », « An al pi fon », « Mwen sonje w cheri », « Poukisa », « Malonèt kache ».

Le dernier album de Tropicana sortie en juin 2022 s’intitule « Gwo Tantan », avec pas moins de onze chansons. Comme à son habitude, Tropicana qui doit dorénavant faire son chemin sans son chanteur-vedette, a puisé son inspiration dans les maux de la société haïtienne. Ce tout dernier né est un condensé des difficultés auxquelles est confrontée la population dans toutes ses composantes. D’une chanson à l’autre, il présente un tableau de notre déliquescence. Un véritable cri du cœur du mastodonte du Nord. Sensible, il reste à l’écoute de l’actualité haïtienne particulièrement triste ces jours-ci.

« Nou mele », le huitième morceau de l’album, résonne comme une alerte, un cri sur fond de description avec force détails des maux assombrissant et minant notre quotidien. Cette chanson, par les temps qui courent, doit interpeller la conscience de tout Haïtien, car ces paroles mettent l’accent sur nos drames, parfois avec une pointe de désespoir.

Quant au morceau intitulé « Tik Tik », il est une description humoristique de notre misère. Pas uniquement notre indigence matérielle, mais aussi notre dégénérescence morale. Mais il n’empêche que c’est avec beaucoup de mélancolie qu’il pose son regard sur le statut de ces jeunes filles contraintes par la misère à entretenir des relations amoureuses avec des personnes du troisième âge. Le phénomène de « madan papa » est vu comme une pathologie sociétale, une réalité choquante à laquelle les Haïtiens finissent toujours par s’accommoder, mais que dénoncent sans complaisance les musiciens engagés de la fusée d’or internationale.

 

Infidélité, corruption et amour

Tropic et ses artistes ne ratent jamais de poser un regard philosophique sur le devenir de l’homme dans cette jungle humaine face à l’expansion des nouvelles technologiques et innovations en tous genres. Ses thèmes de prédilection sont le bien et le mal, l’un des maillons forts de ses dix-neuf albums ainsi que l’esprit de division empêchant l’homme haïtien de progresser.

Depuis cette journée mémorable d’août 1963 où le soleil commençait à briller pour ce fleuron du Nord,  où la machine Tropicana avait démarré sur des chapeaux de roues, son honorabilité musicale n’a pas pris une ride. En témoigne ce nouvel album paru l’an dernier, le dix-neuvième depuis sa création. Quel exploit !

La corruption qui gangrène le corps social haïtien est évoquée par le prestigieux Jean Pelotat. On retrouve ce sujet crucial dans la troisième chanson de l’album dans laquelle il dénonce les enrichissements illicites portant atteinte à la société. « Depi w gen gwo tanta ou ka fè tout gagòt », lance-t-il à qui veut l’entendre. À croire que la corruption semble être inscrite dans les gènes des Haïtiens, car ceux qui sont au pouvoir ne cessent d’inventer toutes sortes de ruses pour spolier l’État.

Tropicana n’a pas cessé de chanter nos défauts comme nos qualités. Dans la ronde des chansons engagées, « Ipokrizi » en fait partie. Le compositeur Johnny J. Stiven donne une belle leçon de moralité, dénonçant l’hypocrisie des relations humaines, notamment dans son pays où l’insincérité devient quasiment un mode de vie.

Mais Tropicana sait aussi nous émerveiller avec des chansons romantiques. « Pa fè m mal » est une poésie musicale qui rappelle le lyrisme baudelairien mariné à la sauce tropicale. Une fois encore, le poète Frandy Julien utilise de subtiles métaphores en lien avec le sentiment amoureux dans un lyrisme débordant de classicisme. Dans « Lanmou sou poz », il s’est surpassé pour atteindre le sublime. À son actif, trois beaux textes poétiques dont « Deside w » est aussi une complainte de la même veine. On a droit à un Doudou Bass qui rend un puissant hommage, parsemé de félicitations, à sa femme qui veille depuis toujours sur lui.

Mais comme dans cette vie, il faut de tout pour faire un monde, les désenchantements amoureux et les fausses amitiés sont autant de thèmes que Tropicana agite depuis sa naissance, même si ceux-ci connaissent une évolution différente au fil des années. Par exemple, « Si m te konnen » est l’histoire d’une femme qui abandonne son mari sur les conseils de faux amis. Dans ce morceau, Pierre Pelotat exprime les regrets de cette femme qui souffre le martyr parce qu’elle a tout perdu. Elle s’est naïvement laissé influencer par des amies qui lui ont conseillé de se séparer de son mari. Ses démarches pour reconquérir le cœur de son ex se sont révélées vaines. Abandonnée par ses amies et repoussée par celui qui l’aimait, elle se heurte toujours à la même réplique : « li deja two ta ».

À l’orée de ses soixante ans, ce dix-neuvième album constitue un témoignage supplémentaire de l’attachement de Tropicana aux valeurs patriotiques et au rêve d’une société démocratique où chaque Haïtien peut vivre dans son pays sans avoir besoin d’aller se faire humilier ailleurs. C’était aussi le rêve de Parisien Fils-Aimé qui nous quitte aujourd’hui !

 

Maguet Delva

 

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