Comprendre Joseph Michel Jean Bernardin (Dadas/Kanmarad)

(Première partie)

Maître Jean Bernardin (26 novembre 1936/1er juillet 2022) : un Bon Nègre

Oui, Me Jean fut un « Bon Nègre » et je l’ai appris de Mesmin Chérenfant, un « rèstavèk» de la maison familiale Mesmin. Un petit bout d’homme originaire du Dondon, un sportif (excellent joueur de carré - seuls, les bonnes gens du Cap savent de quoi il en est-. Un grand nageur et un jeune homme, on ne peut plus, serviable…

J’ai pratiquement ouvert mes yeux de petit garçon timide et curieux dans les bras de Mesmin. Il m’emmenait avec lui partout où des pieds de gamins et d’adolescents s’amusaient à frapper, à cogner sur des ballons achetés à 2 gourdes 50 au Marché Cluny… Aux terrains rocailleux de chez Jacques Georges, de chez Melo ou d’autres désertés et abandonnés comme celui à la rue 7 A. Et, plus tard à l’arsenal où j’ai vu jouer 7 gars dans un camp et 7 dans un autre, mais en uniforme et j’ai vu Mesmin crier des profondeurs de ses poumons pour célébrer la victoire de ces jeunes habillés tout de rouge qu’on appelait : Les Diables rouges..

Des diables ? Ça ne sonnait pas vraiment bien dans les oreilles d’un petit garçon peureux et qui de surcroît, se préparait à recevoir Jésus dans l’hostie…

Alors, ce jour là, quand Mesmin m’a demandé de venir avec lui pour apporter à manger à quelqu’un arrêté et emprisonné à la rue 21, j’étais fin prêt dans une minute parce que dans ma petite tête, les Diables bleus, noirs ou rouges c’était fini.. Rue 21. Loin de la Rue 15… C’était toute une autre aventure… D’ailleurs, j’y étais avant avec ma mère et mes tantes et il y avait plein de gens qui chantaient sur un grand terrain :
«Men la Misyon rive, se Bondye k ape di
pou tout moun konvèti
«Se vire do bay peche
Pou fè plas a la gras..»

Monseigneur Cousineau était là… Le monseigneur qui avait une grande barbe et qui faisait peur aux enfants, Jamier qu’il s’appelait…
On faisait aussi l’éloge d’un jeune prêtre qui avait bien prêché et qui avait un nom drôle : Caillou, Gaillou… Oui, c’était Gaillot. Et il était de Port-de-Paix…

Les gens étaient fiers de lui. Il était noir et s’exprimait parfaitement en Français.

Avec Mesmin, Le chemin vers la Rue 21 était différent… Il s’était approché calmement d’une Grande Porte et j’ai vu deux grandes personnes en Khaki avec fusils qui lui demandèrent d’ouvrir le ‘service’ (des bols circulaires disposés en étage et dans lesquels sont entreposés séparément le riz blanc, la banane, le pois en purée et les légumes….). L’un des hommes en kaki avec une moustache poivre et sel a bien regardé les mets et finalement est Parti avec… L’autre demanda à Mesmin d’attendre qu’on revienne avec «Le service». Mesmin s’éxécuta et s’assit à même le sol…

Et, moi, entre-temps j’avais commencé à courir pour essayer d’attraper des libellules nombreuses qui se dirigeaient vers une maison en ruines qu’on avait incendiée- aujourd’hui on dirait déchouquée… Ma mère disait que les messieurs en kaki avaient trahi Un certain Paret et les messieurs en bleu - tous des voleurs et des assassins- avaient pillé sa maison…..

Un très court sifflement de l’homme à la moustache gesticulant de la main droite comme pour dire à Mesmin de venir reprendre le «Service ». Il traversa la rue et me demanda de le prendre des mains du Monsieur en kaki. C’était un peu lourd pour moi. Et j’ai vu pleurer Le Dondonnais. C’était la première fois…Il jurait aussi. Des obscénités même. À tire-larigot.

‘Chyen yo, kochon yo, kaka yo, vòlò yo tiye Mèt Jean. Il éclata en sanglots. Mèt Jean, Mèt Jean, Mèt Jean sa w fè Mesye yo….?

Arrivé sur la place Montarcher, Mesmin devint incontrôlable. J’ai entendu de sa bouche que s’il avait un revolver, il attaquerait ipso facto la caserne des VSN située à quelques pas de la Place Montarcher où Il s’assit depuis des lustres pour déverser sa bile sur ces gens qu’il haïssait de toute la force de son âme…..

Enfin, j’ai eu droit à certaines réponses à des questions que je posais inlassablement :

Maître Jean, c’est ce monsieur de haute taille avec de grands yeux qui a l’habitude d’écrire mon nom sur mes livres de géographie, d’histoire sainte, d’histoire d’Haïti, de sciences naturelles, de grammaire, de catéchisme, de liturgie? Oui

Maître Jean c’est ce monsieur qui me donne de l’argent (1 gourde) chaque mois pour aller au cinéma ? Oui

Maître Jean, c’est ce monsieur qui t’a appris à nager à Rival et Bailly? Oui

Maître Jean, c’est ce monsieur qui te laisse chevaucher sa bécane pour aller faire des courses? Oui.

Maître Jean, c’est ce monsieur qui va avec nous au parc Saint-Victor quand son équipe «L’éclair Sporting Club joue » joue et qui nous permette d’entrer gratis, sans payer un sou? Oui

Mais pourquoi a-t-il été arrêté ? Je ne sais pas
A-t-Il volé ? Non
A-t-Il tué ? Non.

Mais pourquoi est-il en prison ?
Salopri yo, Dan Tchaka yo, Dan bèr jòn yo di
L ap pale gouvènman an mal… Koulyè a non sèlman yo arete y, yo touye l. Yo di y Se yon kominis…

Un communiste ?
C’est quoi, un communiste ?

‘Un Bon Nègre » répondit Mesmin Chérenfant…

Et c’était parti en 1966, à neuf ans, la belle aventure avait commencé pour aller chercher à comprendre ce qu’est un communiste.


Wilfrid Philomé Supréna

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