Comprendre Joseph Michel Jean Bernardin (Dadas/Kanmarad)

Maître Jean Bernardin (26 novembre 1936/1er juillet 2022) : un Bon Nègre

 (deuxième partie)

Mesmin, Mesmin. Encore lui.

J’ai entendu une voix rauque qui m’a renvoyé à plus d’une dizaine d’années en arrière… Philomé…Philomé avec une telle insistance. C’était à L’angle des rues des Miracles et du Boulevard Jean Jacques Dessalines, côté nord-est vers La rue Bonne Foi. Les étalages sur le trottoir n’existaient pas encore. Assez d’espaces pour deux jusqu’á 5 personnes de marcher et même courir d’un point à un autre sans rencontrer des embûches vraiment sérieuses de quelque nature que ce soit !

La voix m’était familière. Je revenais d’un cours de sociologie dispensé lors par Max Carré du Centre haïtien d’Investigation en sciences sociales ( Le CHISS) financé et dirigé par Feu Hubert de Ronceray, un politicien de droite originaire de Petit Goâve. Je me dirigeais vers la rue des Remparts pour attraper une Camionette Tap/Tap en direction de Cité Simone, parce qu’à l’époque entre la rue Paul VI et celle des Césars, les transporteurs en commun n’étaient pas autorisés à « charger » ou « décharger » leurs véhicules avec des passagers ou matériaux dans cet espace sous peine et risques de contraventions.

Finalement, j’ai reconnu et la voix et la personne qui faisait des gestes désespérés de la main droite me disant de marcher plus vite. Pour le rejoindre après à la Rue Tiremasse, je me suis exécuté, mais avec des inquiétudes. Parce que j’étais en mission et j’avais une mission, et je ne savais surtout pas ce qu’il devint lui même après tant d’années…

Coincé entre le chauffeur, Mesmin et Tolème, le collecteur des 50 centimes de frais de course, je me tins coi pendant tout le trajet vers Site Simone, les blagues sur leur passé au Cap fusaient sans arrêt. Littéralement. Et je peinais à retenir les papiers, écrits à la hâte pour dénoncer les conditions de travail et les salaires de mépris et de misère accordés aux ouvriers, et placés sous ma chemise et mes chaussons pour être distribués parcimonieusement ou laissés au gré du vent dans les rues poussiéreuses aux alentours à la merci des lectures hasardeuses!! Il faisait chaud. Je transpirais. Situation pire qu’inconfortable.

Arrivé à hauteur de la Haitian American Sugar Company, La Hasco, presque en disposition diagonale de la grande usine de L’Aciérie d’Haïti, j’ai jeté un regard furtif sur ce petit coin familier et spécial où des ouvriers des différentes factories ( Sweatshops) de la zone venaient se régaler à midi.

J’ai raté et le moment et la mission à une semaine seulement des festivités du 1er mai 1979… Trop peureux de dire à ces « aînés » de notre mémorable quartier que j’allais les fausser compagnie; eux qui avaient l’habitude de me porter sur leur dos et épaules pour aller regarder le défilé carnavalesque au « Chemin de Port-au-Prince/rue des Marmoussets/rue Espagnole/rue L/rue Christophe ».

Et, naturellement, je voulais éviter également une pluie ou des tonnes de questions sur ma destination, mes contacts et mes activités dans cette zone. Qui sait ? Ma mère, au Cap, pourrait être informée en un rien de temps… Et la pauvrette en ferait une tête ! Elle qui me répétait comme dans les litanies liturgiques. Tu vas dans l’enfer de Port-au-Prince pour étudier et non pour autre chose. Sinon, « ils vont te tuer comme Henri Claude Daniel »… « Ne me laisse pas comme ton père l’avait fait pour aller rejoindre le professeur Fignolé »…

Sur le chemin du retour, Mesmin était tout heureux de m’annoncer qu’il allait convoler en justes noces et que mon nom était sur la liste de jeunes gens qui allaient composer sa suite… Du côté de ma mère, au Cap, tout était fin prêt…
La date ? Le mois de juillet !
Le lieu ? La cathédrale du Cap !

Le témoin principal ? Maître Jean Bernardin !

Quoi ? Le monde a failli chavirer. Donc, il n’était pas mort? Il est bien vivant. Il est de retour au pays? Depuis quand ? Depuis 1977 ?

J’avais tellement de questions à lui poser et ma tête devint soudainement lourde… Où sont Charles Manigat, Villardouin Jerôme, Maquez Jasmin, le « ferronnier » qu’on dit avoir construit une arme artisanale de grand calibre et avec qui il sortait assez souvent à motocyclette. Quid de ces deux-là, Henri Claude Daniel et Édouard Calixte ( Toto) avec qui il discutait parfois en espagnol sur les discours de Castro ?

Première Déclaration de La Havane
Deuxième Déclaration de La Havane, etc.

Était ce de lui l’idée de me faire lire les ouvrages de Victor Hugo tels que Bug Jargal et les Misérables avec cette histoire de la domestique Cosette et de l’infatigable inspecteur Jean Valjean et ce récit terrible de Délira, Bien Aimé, Manuel, Annaïse et le monstrueux Gervilen Gervilus…d’un auteur haïtien ? Du moins c’est ce que m’avaient fait comprendre Fritz Vincent ( mort en prison) et Faubert Pierre ( mort en exil) quand j’étais promu en classe de certificat…

Alors, depuis ce matin-là, j’avais commencé
à me préparer pour affronter cet homme que j’avais perdu de vue et que je rêvais d’être son sosie…

J’affûtais mes flèches;
Je limais mes armes émotionnelles et mon cerveau de jeune adulte pour qu’au jour J , le regard direct et sans sourciller, je lui pose une seule question:

Mèt Jean, Èske Se vre w Se yon « communiste »?

Wilfrid Philomé Supréna

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