Comprendre Joseph Michel Jean Bernardin (Dadas/Kanmarad)

Maître Jean Bernardin (26 novembre 1936/1er juillet 2022) : un Bon Nègre (Fin)

La dernière fois que je suis entré dans l’enceinte de ce grand bâtiment remontait à 1971. Lors, un monsieur, avec un dos voûté, les pieds cambrés, un long coutelas à la main, un peu grisonnant, professeur en classe de certificat à l’École nationale Charles Lebossé (Rue 20/Lakay Dugué) faisait un vacarme retentissant. D’abord sur la place d’armes avant et pendant un Te Deum. Et, après le Te Deum à l’intérieur de l’église. Il parlait fort. Très Fort. Une voix d’homme en colère et prêt à tout.

« Émile, remettez-moi, mes enfants », il disait.

Émile Auguste est avocat etprofesseur. Ses proches l’ont même présenté comme un héros qui avait l’habitude de provoquer les Yankees en duel pendant la période de la première occupation directe (1915/1934) et les battait du poing ou avec un bâton sans rémission, le crépuscule tombant. Il était le préfet départemental du Nord de 1967 à 1971 au moment où la répression politique avait atteint son summum contre de jeunes adultes capois pour leur credo et affiliation politique dans le Nord tout entier. Adolescent curieux, j’étais constamment dans le dos du maître à la recherche du « monstre ». Pour aller reporter à mes amis de la Rue 15.

Maître Lamartine (Do Kwiy) avait perdu deux de ses enfants, dans la foulée. Personne ne pouvait contester ou répudier son irritation et son désir de vengeance ! Il était dans son droit. Plus que jamais !

Pourchassés, des dizaines de collégiens et de lycéens étaient portés disparus, des centaines étaient emprisonnés et des milliers étaient bannis du toit familial et national. L’âme damnée de Émile au cours de cette période était Gerard E Louis, lieutenant-colonel de l’armée D’Haïti, filleul de Simone O.Duvalier et tous deux originaires de Léogâne.

Émile venait d’être remplacé par un jeune avocat plus orateur que politicien dans le sens traditionnel Haïtien du terme (coquille vide, beau parleur, lèche-cul). Son nom: Claude Vixamar.

En été 1979, j’étais, là dans cette église, assis à côté de cette coquette et jolie demoiselle du nom de Maryse, composant la suite des futurs mariés (Mesmin et sa femme), l’esprit ailleurs, mais en éveil, épiant les moindres faits et gestes de Me Jean.

J’ai revu comme en songe monseigneur Elima, Rivanordais qui essayait de calmer Me Lamartine fouillant dans tous les compartiments de l’église pour retrouver celui rendu responsable de la disparition en prison de deux de ses fils en 1968/1969.

Ils étaient taxés de « communistes » parce qu’ils lisaient des livres interdits à l’époque: Grammaire de la Liberté, Le Paysan haïtien, Gouverneurs de la Rosée, etc. Les mauvaises langues diront plus tard que Monseigneur Elima avait fait « Un simple » et « Une prière » pour faire disparaître Maître Émile sous sa soutane.

Remontaient dans ma mémoire aussi les cris et les sanglots de Coissy et de Morel, un morinois et un Limonadien, incapables de réciter de mémoire la signification de calice, du ciboire, des sept péchés capitaux, des sept sacrements du catholicisme, la Nef, le Petit Prie-Dieu (l’agenouilloir), l’absoute… Et battus par le prof d’alors. Qui s’en souciait ? Pas leurs parents, bien entendu, qui auraient pu être des vodouisants ! Mais, on n’en a cure!

« Ô rage ! Ô désespoir ! Ô Sacrilège !»

Maître Jean se signa. Pis, Il a même ouvert sa bouche pour recevoir le petit Jésus dans l’hostie. Et quand l’officiant lui a dit: Le Corps du Christ, Il a répondu: amen !

« N’ai-je donc tant point vécu que pour cette infamie » !

Donc, Maître Jean n’était point le personnage qu’on me présentait et que j’adulais pendant toute mon adolescence et que je ne rêvais que de rencontrer un jour. Un jour, jusqu’au jour je me suis présenté à midi, sans avertir, dans la petite chambre où il me faisait réciter, petit,et j’ai entendu : N apkoute Radio Havane, Cuba.

C’était la voix de Anna Kovac expliquant l’apport des esclaves originaires du Nord d’Haïti à la formation et l’embellissement de la musique et de la culture cubaines. J’ai avancé que j’écoute aussi Radio Paix et Progrès avec René Théodore et Max Bourjolly. Ce commentaire a été glacialement ignoré.

Le lendemain et le surlendemain, même rendez-vous et on a parlé de l’ouvrage de Marc Péan: L’illusion héroïque. Marc venait de façon assidue dans l’après-midi parler avec lui de la période d’après Sylvain Salnave dans la ville du Cap. Et, il m’a invité à les rejoindre pour parler de mes travaux de sortie à L’ENS sur le Parti libéral et le Parti national en histoire et une monographie de la ville du Cap en géographie.

Je revois encore ma petite tête entre ces deux géants la tournant en rotation soit pour acquiescer soit pour essayer de placer un mot. Je ne trouvais rien à dire. Mes réflexions restaient dans ma gorge.

Quand un après-midi je lui ai parlé de la Chilienne Martha Hanecker et de ses Cahiers, de Louis Althusser et du déterminisme historique et de l’italien Gramci avec ses Cahiers de prison, il m’a répondu de façon élaborée, pour la première fois, « ces gens-là sont retournés aux sources; ils ont puisé chez les pionniers et ont maîtrisé le développement de la lutte des classes dans leur pays respectif. Essayons d’en faire autant chez nous ».

Message reçu et copié. La prochaine rencontre c’était pour lui dire que nous étions quatre et qu’on avait déjà entrepris ce travail de bénédictin. Et, d’autres volontaires nous ont rejoints en cours de route. Et, on a eu à choisir un nom et des noms pour mieux différencier nos initiatives d’organisation et d’implantation de celles des autres qui, pouvaient peut-être avoir un objectif noble, mais dont les approches, pour nous, ne s’accordaient ou mieux ne cadraient point avec les réalités du moment.

Et, oui, on a grandi péniblement, mais joyeusement. Jusqu’en 1988, quand en réponse à nos requêtes incessantes pour des débats démocratiques, au sein de l’organisation, nos amis camarades ont fait sortir le texte « Konkonmzombi» qui traitait le leadership à l’époque de « marxistes kòrèd».

Vanyan ! Puisque j’avais commencé à l’appeler ainsi s’en offusqua et décida de faire son chemin en solo. Il devint conseiller d’État en 1989/90. Il a même flirté avec la coordination Lavalas avant les élections de 1990…

Sur les ruines du Parti révolutionnaire haïtien (PRA/PRH) dont Vanyan a contribué énormément à la fondation, des militants politiques consanguins se sont séparés les uns pour renforcer le MP-26/ANOP et le reste pour raffermir l’idée de l’implantation d’organisations patriotiques et progressistes solides à l’échelle nationale, le Comité de Résistancepopulaire Benoit Batraville(KRPBB).

Entre les deux, Vanyan a décidé de se laver les mains. Sans tambour. Ni trompette.

L’année dernière, c’était au mois d’août, Vanyan était entré dans un coma diabétique vraiment inquiétant depuis deux jours. Par pur hasard, j’ai été alerté par sa compagne, Julienne Toussaint, qu’il était dans la salle d’urgence de l’hôpital Justinien du Cap… Comme il était déshydraté et sous sérum, j’ai pris sa main doucement et j’ai commencé à fredonner l’Internationale socialiste. Il a progressivement ouvert ses yeux et m’a reconnu. Kanmarad, Se pa w la ? Ki lè w antre ? Je lui ai dit:Vanyanpamourifasil.

En janvier 2022, malgré son état de santé chancelant, il a tenu à participer à l’hommage qui était rendu au Camarade Rayon (Méhu Garçon) avec qui il a collaboré étroitement de 1981 à 1988 pour porter sur les fronts baptismaux cette structure politique du nom provisoire de PRA qui devait servir de socle unitaire à de vrais progressistes haïtiens et étrangers.

La dernière blague de Vanyan à moi. C’était le mardi 10 mai 2022 dans sa petite maison de deux portes à Carrénage, au Cap. On parlait de tout, des femmes, des enfants, de nos erreurs, de nos faiblesses prédominantes sur nos forces, de nos vues et perceptions diamétralement opposées sur Poutine et sur Jovenel. Il m’a invité à manger avec lui. Il était vraiment diminué, mais très lucide, aigu et pointilleux dans ses réflexions. Il m’a parlé de sa grand-mère paternelle, Mayotte, originaire de la Guadeloupe, une connaissance de Duval Duvalier, père de François Duvalier, de la même Île, et disait tout le temps: «Aysyenmechanpase Nèg». Il m’a avoué qu’il n’a jamais pu comprendre cet «axiome»…

Nous avions passé un après-midi vraiment rutilant en pensées positives et en émotions futuristes. Et, au moment où j’allais partir, il se leva pour me dire :
Camarade, je ne sais pas si tu me reverras au mois d’août. Et, il me confia sa plus grande déception dans la bataille. Je ne l’ai dit qu’à toi…

Pars en Paix,Vanyan !


Tu as fait ton boulot en portant le flambeau de la bataille pour la libération de notre peuple et la souveraineté de notre pays. Un peu plus loin.

Ferme tes yeux, tu as combattu le bon combat et tu as montré le chemin. D’autres suivront.

Bon voyage, Vanyan !

Wilfrid PhiloméSupréna

 

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