Le sculpteur Jacques Obenson Bathard : « une œuvre d’art est une partie du corps de l’artiste »

Artiste spécialiste en art de la récupération, la sculpture est la véritable passion de Jacques Obenson Bathard. À travers ses œuvres en métal découpé et objets usuels, le sculpteur Bathard a le pouvoir de transformer le monde et son art témoigne du réel intérêt et d’un profond investissement artistique du sculpteur qu’il est dans sa vie. Il représente à travers ses œuvres la culture haïtienne chevillée à son corps, mais encore la culture grecque et latine. Le journal a eu un entretien avec lui.

Le National : Vous êtes sculpteur et un artiste spécialiste en art de la récupération, pouvez-vous présenter pour les lecteurs du journal votre parcours artistique ?

Jacques Obenson Bathard : Je suis un sculpteur-récupérateur du Village artistique de Noailles de la Croix-des-Bouquets. Je travaille avec du métal et récupère des objets usuels pour fabriquer des œuvres d’art. J’ai débuté ma carrière de sculpteur-récupérateur en 2007, avec les sculpteurs Jacques Eugène et Jonas Soulouque. Ces artistes, pour lesquels j’ai beaucoup d’estime,  m’ont appris à manier le burin, le pinçon, le marteau et d’autres outils. Par contre, c’est en 2011 que j’ai  commencé à montrer vraiment mon travail artistique à un large public. D’abord à la Fondation Wallace Turnbull et ensuite à Kay Atizan, avant même de présenter mes œuvres dans beaucoup d’endroits de Port-au-Prince.

L.N : Qu'est-ce qui vous a amené à pratiquer votre art ?

J.O.B : Je crois beaucoup dans la beauté du monde. C’est cela qui m’a amené à pratiquer l’art et surtout à façonner des œuvres à partir du métal découpé et des objets usuels. Je crois que l’art a le pouvoir de transformer le monde.

L.N : Dans vos œuvres, selon un critique d’art, vous vous attachez à représenter la culture haïtienne, mais aussi la culture grecque et latine. Pourquoi de tels choix ?

J.O.B : Selon moi, une œuvre d’art doit être multidimensionnelle. Elle doit être traversée par divers éléments de signification. C’est pourquoi je m’intéresse aux différents types de mythologies qui encadrent l’imaginaire des peuples, particulièrement la mythologie vaudou, grecque et latine. Je m’intéresse énormément à l’interculturalité. La dernière œuvre que j’ai réalisée, qui a pour titre « Athéna-Dantor », est aussi un exemple élégant de mon intérêt pour la mythologie comparée. Il faut dire qu’il m’arrive d’aller au-delà des histoires mythiques, mystiques et mythologiques afin de créer des personnages qui ont pris naissance dans ma mythologie personnelle.

 

L. N :  Vos œuvres picturales sont elles aussi une manière de présenter votre vision du monde?

J.O.B : Je ne fais pas d’œuvres picturales. Je ne suis pas peintre, mais sculpteur-récupérateur.  En effet, mes œuvres sont ma manière de présenter ma vision du monde.  C’est la raison pour laquelle j’accorde beaucoup d’importance aux détails dans mes pièces. Je veux que mes œuvres soient cohérentes et qu’elles disent quelque chose du monde qui nous entoure. Quand je dis tout à l’heure que je crois dans la beauté du monde, il ne faut pas croire que mes sculptures parlent forcement de vies heureuses. Non ! Elles expriment souvent la violence du monde et la méconnaissance des gens du pays, de la culture, des esprits protecteurs. Pour moi, un art digne de ce nom doit prendre en compte des aspects de notre vie.

L.N : En tant qu’artiste récupérateur, quels sont les éléments que vous utilisez pour réaliser vos œuvres ?

J.O.B :  Mes œuvres sont réalisées à partir d’une technique mixte, c’est-à-dire qui prend en compte divers médiums. En ce sens, j’utilise des matériaux comme des chaines, des verres émaillés, des haut-parleurs, des bougies, du fer, du métal découpé, des ventilateurs, des lampes abat-jour. J’utilise beaucoup des pièces de la mécanique et autres supports. C’est ce qui s’appelle de l’assemblage. Je fais de la sculpture d’assemblage.

 

L.N : Vous venez du Village artistique de Noailles, les artistes de cette communauté ont ils une certaine influence dans votre démarche artistique où quels sont les artistes qui vous ont inspiré ?

J.O.B :  J’observe ce que font les ainés avec beaucoup de respect en commençant par mes maitres comme Jacques Eugène et Jonas Soulouque, en passant par Serge Jolimeau, Falaise Bertin, etc.. Je garde surtout des ainés la passion du métier, mais leurs influences techniques ne sont pas très visibles dans ce que je réalise. Déjà, au Village, on n’est pas beaucoup à faire de la sculpture d’assemblage. C’est aux observateurs de faire la liaison entre mes œuvres et celles des ainés, déceler nos points de ressemblance et de dissemblance. Moi, en tant qu’artiste, je crée et ça, c’est l’essentiel.

 

L.N : Avez vous déjà participé à des expositions en Haïti où à travers le monde ?

J.O.B : J’ai déjà participé à l’exposition Nway Kanpe, non seulement au Village de Noailles, mais aussi à la prestigieuse Maison Dufort, où sont exposés la plupart de nos grands artistes. Je  fais donc partie de la belle  collection du Musée Georges Liautaud.  J’ai aussi déjà pris part à diverses expositions collectives comme le traditionnel Artisanat en fête, la traditionnelle foire du 1er mai à Jacmel. La dernière en date, c’est une exposition Solidarité Noailles, à El Rancho, sous l’impulsion de l’ambassade d’Espagne en Haïti. Je n’ai pas encore exposé à l’étranger, mais il y a beaucoup d’étrangers qui achètent mes œuvres, au Village et dans des boutiques de Port-au-Prince.  L’AfricAmérica qui pilote le Musée Georges Liautaud compte exposer sa collection à l’étranger, alors j’attends que ces expos se réalisent.

 

L.N : Comment vous vous sentez après avoir fini de réaliser une œuvre ?

J.O.B : Parfois heureux, mais souvent démuni. Une œuvre me prend parfois plus d’un an pour la conceptualiser et la réaliser.  Après avoir fini une œuvre, je pense aux regardeurs qui vont pouvoir la contempler, mais je pense aussi aux collectionneurs.  Après la réalisation d’une œuvre, je suis partagé entre deux eaux : celle où je nage et celle où je me noie. Une œuvre d’art est une partie du corps de l’artiste.

 

Le National : Avez-vous un message particulier à faire passer ?

Jacques Obenson Bathard : je n’ai pas de message particulier sinon j’encourage les artistes à s’engager de plus en plus dans leurs œuvres, parce que je crois que l’art peut apporter des réponses et qu’il peut être une bonne alternative face à ce monde qui nous déshumanise de jour en jour.

Propos recueillis par :

Schultz Laurent Junior

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