Poème pour une petite fille à l’autre bout du monde de Dieulermesson Petit-Frère, Legs Édition, 2022

Poème pour une petite fille à l’autre bout du monde est un recueil de Dieulermesson Petit Frère paru en avril de cette année chez Legs Édition.

« Partir est un verbe arc-en-ciel à signifiant variable »

Ode à l’amour filial d’abord et surtout, par la douleur que creuse l’absence, ce petit recueil intitulé Poème pour une petite fille à l’autre bout du monde est composé de trois grands textes poétiques.

Le premier est dédié à Jane Audrey que l’on devine d’entrée être l’enfant du poète, grandie loin de son père resté en Haïti tandis que soufflent le vent de la Révolte, le bruit des armes et l’angoisse de l’agression suspendue telle une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chacun.

« Je dois te dire que je pense beaucoup à toi comme à un gros soleil qui illumine ma vie ». Cette citation de Jacques Stephen Alexis, mise en exergue de l’ouvrage est la supplique du poète. « Pardonne-moi ma fille pour avoir traversé la nuit…» sont les premiers mots de cet ensemble qui s’ouvre sans majuscule comme une longue continuation de mots dans la nuit déboulée.

Récit écrit dans un souffle, appel lancé dans la nuit et l’orage qui gronde dans le cœur de ce père qui confie à cette enfant en un rendez-vous hypothétique les mots qu’un jour certain elle lira, ces mots qui lui diront que son père ne l’a jamais abandonnée. « Partir est un verbe arc-en-ciel à signifiant variable. Il cumule à lui seul tous les destins possibles ».

La question se posera à l’enfant, il le sait :  « Si je t’ai aimée ? C’est ainsi que tu grandiras avec ce doute ».

Georges Castera ouvre en exergue le monologue d’un solitaire ivre qui suit ce premier monologue intérieur, par ces mots : « On tire lamentablement dans ma rue », et c’est une lettre qu’on découvre en tournant la page, une lettre à Niňa. C’est à Niňa qu’il raconte les gangs, les kidnappings, la mafia haïtienne qui règne aujourd’hui sur le pays.

C’est à elle qu’il rappelle, puisqu’elle est loin de lui désormais, sa mésaventure un soir d’hiver alors qu’il est attaqué par des hommes armés qui l’ont braqué et pris pour cible. C’est à elle encore qu’il dit comprendre l’angoisse de cet enfant de huit ans sur le trottoir d’en face : « En l’espace d’un cillement j’ai pu lire tout le désespoir du monde dans ses yeux, et l’avenir du pays s’effondrer comme un château de cartes ». C’est à Niňa qu’il dit les changements de décor dans les rues, les incendies et les émeutes, les hommes tombés au milieu de la rue, les morts d’intellectuels, de poètes et de jeunes étudiants, celle d’enfants, celui-là de sept ans touché en pleine poitrine : « Il portait une petite chemise à carreaux bleus et un pantalon bleu foncé, l’uniforme de la petite école publique. »

C’est à Niňa qu’il demande s’il a tort ou raison désormais de vouloir partir lui aussi de ce pays qui, malgré tous les efforts fournis pour le faire avancer s’évertue à se détruire.

Elle, la fille « pas ordinaire » qu’on appelait « la putain insoumise de la Grand’Rue», elle qui aimait chanter et danser et à qui il regrette de ne pas avoir dit combien il l’aimait, cette Niňa qui fait écho à celle de Stephen Alexis dans L’espace d’un cillement.

Le troisième ensemble, admirablement préfacé par Caroline Shread, est un ensemble de poèmes don’t le titre Romances du Levant contient aussi Accords du Crépuscule. Ainsi du levant au crépuscule ou plutôt du crépuscule au levant, dans cette nuit de l’amour et de l’éros, « Tes poèmes sont des cairns d’un équilibre délicat et incertain. Tu construis « des rues sans trottoirs », dans une « ville dentelle de bois », dit la préfacière.

Le poète s’interroge :

« comment t’aimer dans le silence

Hybride et sauvage

Du temps qui fuit ».

Et c’est encore la solitude, l’absence, mais aussi le désir et le feu qui emplissent ces pages où le poète s’abandonne. « Apprends-moi à réécrire les pages de cet amour porté disparu ».

 

Marie-Josée Desvignes

Manosque, le 16 août 2022

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