La fin des années 90 marque en effet un moment assez tumultueux dans l'évolution de la musique haïtienne en particulier le compas direct. La montée en puissance du hip-hop et le cloisonnement d'un ensemble de musique latine viennent secouer les fondations que feu Neymour Jean Baptiste a posées en juillet 1955 en créant le rythme du compas. Quelque vingt ans plus tard après, l'espoir qui bourgeonnait à petit feu se révèle soudainement incertain. Le compas direct essoufflait d'une crise d'identité sans précédent. La vague d'influence était si immense que les efforts de quelques groupes musicaux comme : System band, D-Zine Mizik Mizik, Zeklè pour n'en citer que cela était absolument nécessaire, mais manifestement insuffisant pour barrer la roue a l'envahissement du marché par ce fléau de musique américaine, latine et surtout antillaise qui secouait entres autres la Racine et le compas. Même s'il est crucial de souligner un grand moment de passé merveilleux avec la révolution du zouk à la fin de la décennie 1980-1990 surtout avec les apports de l'éminent maestro Jacob Devarieux.
Donc, fort de ces faits, il est évident que le compas était aux abois et au prisme d'un entremêlement de taille. Il a fallu une révolution musicale systématique dans le sens le plus complet du terme dans la mesure de reconsidérer les modes de production, la mise à jour des thématiques traitées, la prise en compte des exigences et de la nouvelle tendance par les jeunes de la période ce, dans l'objectif de remédier à cette crise de confusion et de choix. Il est clair que ce n'était pas un problème de production, encore moins une production de musique de qualité qui expliquait cette situation crisogène.
C'étaitplutôt et surtout ce gigantesque processus d'acculturation qui dénudait la culture haïtienne à travers toutes ses composantes dont le compas était au premier rang des victimes.
Cependant, à la fin du XXesiècle, plus spécifiquement au début des années 1996, après une expérience peu intéressante avec les groupes Pawer X, Fashion, et Tapaj, Jean Hérard Richard dit Richie, en rejoignant le groupe Zenglen, va apporter ses touches combien inestimables pour faire resurgir l'espoir. En effet, cette fameuse bande musicale dénommée Zenglen étaitcomposée de talents indiscutables. Ils ne respiraient que par et pour la musique. Quoiqu'à un certain moment, le groupe faisait aussi l'objet de multiples conflits internes comme dans toute structure organisée.
Cependant, après avoir intégré cette formation musicale comme « gigger », Richie, fort de son sens de leadership et de ses talents extraordinaires que ce soit dans l'écriture de textes avec des sujets les uns plus diversifiés et provocants que les autres, ou dans les arrangements à caractère atypique, va être hissé dans la cour des grands avec cette lourde responsabilité de directeur musical pour suppléer sinon coopérer avec le grand Brutus Dérissaint qui, en dépit de son caractère humble, demeure un musicien de grande envergure et de grande dextérité.
Cependant, une question reste et demeure pertinente. En effet, en dépit du fait que la bande Zenglen était constituée d'une panoplie de musicien extraordinaire en l'occurrence Nikenson Prud'homme, Brutus Dérissaint, Ralph Ménélas, etc.
Qu’est-ce qui explique que Richie soit perçu comme le plus ingénieux et le plus complet parmi tous les autres de sa génération?
À cette question osée, nous tenterons de répondre osément pour affirmer que le maestro Richie est l'un sinon le musicien de compas direct le plus osé et le plus prolifique de sa génération. Pour bien comprendre ce dire, nous essayons de développer ce propos en deux facteurs. 1) sur le plan de l'écriture, il n'a peur de rien. Depuis avec Tempo, le premier titre officiel composé et arrangé pour le groupe, Richie a fait l'annonce d'une ère nouvelle dans l'industrie de la musique en lançant un morceau assez provocateur qui vise dans un premier temps à rassembler les mélomanes et créer un Fanbase solide, et dans un second temps à annoncer la nouvelle voie que la formation musicale allait prendre. Tout ceci pour dire que Zenglen est bel et bien vivant.Désormais « kote ki gen granmoun kay pa pran dife ». 2) En analysant minutieusement les textes de l'album « do it right », on peut détecter derrière ces compositions le message d'une polémique corsé avec tous les ténors du moment et aucun d'entre eux en même temps. C'est àdire, le message est lancé à tous les récipiendaires de taille prêts à se battre. Mais, ce qu'il fait en réalité, c'est de donner l'impression de proposer un produit pour a posteriori l'imposer comme l'unique et le meilleur en défiant les autres grands comme Djakout, T-vice, D-Zine/ Nu look.Cette stratégie a été de loin une réussite totale.
Quand Richie-écrit
En matière de texte, la superstar maker est tellement prolifique et insaisissable qu'il relie même les thématiques les plus ambivalentes et les plus taboues de son temps dans le but de remettre en question un ensemble de stéréotypes sociaux établi. En même temps, pour nous autres observateurs, il est perçu comme un philosophe classique qui dépasse son temps en faisant des réflexions sur l'avenir. En vrai, Richie a presque tout traité. Il a pensé a des sujets qui croupissent la société haïtienne comme : Les abandons paternels (Papa), Child sou pot, l'enseignement du respect et de l'amour envers les mamans ( Pou manman) enfants nés en dehors du mariage ou du toit familial ( pitit deyò), Homosexualité (Flannè femèl), etc..
D'une part cette aisance dans la manipulation des thématiques ne fait qu'ajouter à sa valeur puisqu'en fait il ne se ferme pas à traiter des sujets sur l'amour ou sur la femme. Même si, en fait ses productions sur la beauté féminine sont indénombrables. D'autre part Jean Hérard Richard est l'un des rares maestros qui ont pu produire presque tous les grands chanteurs du compas direct de sa génération: Gazman Couleur, Jude Jean, Tantan, Garcia Delva, Pipo, Reginald Cangé Arly Larivière et j'en passe.
La différence entre Richie et les autres maestros de sa génération
Il est vrai que la génération de Richie a pu produire des directeurs musicaux de grande prouesse. Ils ont,à leurs caractères propres et leurs styles attrayants, produit des titres de qualité et extrêmement fascinants. Le calibre des maestros de cette générationrépondait tellement au rendez-vous qu'aujourd'hui leurs noms figurent encore dans la galerie des grands hits des dix dernières années. Leurs dextéritéset leurs sens poussés dans l'organisation musicale leur donnent cette autorité et notoriété de parler au nom de ce grand héritage. Cependant, Richie se diffère dans la manière dont il produit chaque chanteur en studio. Il est comme un scénariste qui distribue les rôles des acteurs en fonction de leur potentiel et de leur mode de vie. Il est comme un liquide qui prend la forme du récipient qui le contient.
Poussé par ses passions de novateur, il a décidé, après plus d'une quinzaine d'années de succès avec Zenglen, de faire quelques choses d'autres. Ce qu'il appelle dans le langage distillé « bagay nèf ». En fait, il a proposé au grand public le groupe Klass avec une approche foncièrement différente de Zenglen.En matière de sonorité, de groove et de philosophie,Klass fait une sorte de melting-pot mélodique extrêmement entrainant. C'est évidemment fort de cette perspective créatrice que le groupe KLASS ait pu dominer le marché pendant presque 10 ans.
Aux primes à bord, il faut préciserque loin de nous l'intention de déifier le maestro Richie dans le cadre de cet exercice. Cependant, ce papier vise surtout à camper un monument vivant doué d'une ingéniosité fine et d'une vision éclairée de l'art de façon globale qui, pendant ces 2 dernières années, fait l'objet d'une série de propos calomnieux et insultant portant atteinte à sa personne et à ses œuvres intemporelles. Dans les sociétés plus ou moins organisées, les artistes comme Jean Hérard Richard sont protégés comme on protège les patrimoines matériels et immatériels. Avec l'avènement des réseaux sociaux l’industrie de la musique haïtienne est assujettie par un ensemble de parvenus qui ne jurent qu'à saper toutes les bases qui ont été posées par les ancêtres du compas. Cela est possible avec une telle facilité qu'il suffit de brancher un microphone devant un écran et ensuite suffoquer les grandes légendes vivantes de notre époque.
L'industrie de la musique haïtienne est au piège des nouveaux loups du système. La course vers la popularité et le dollar dissimulent toutes les valeurs morales et qui cimentaient l'industrie pendant longtemps. Bref, l'on se rappelle des commentaires pointus et avisés de BS et Pipo st Louis.
En définitive, Richie a posé ses pierres dans la mesure de contribuer pour que le Compas puisse rester vivant comme un rythme à part entière.
Jaude Omeus
Mémorant en Histoire
