Entre formes gaies, ellipses et mouvements L’Exposition des œuvres de Granbwa

Le mois d’octobre est de ce coté-ci de l’Atlantique « consacré » à une dénomination abrupte - l’équivalent du franc CFA pour certains pays africains - créée dans l’ancienne métropole pour désigner avec condescendance le réel dans les colonies, du temps de l’esclavage et de la colonisation. Mais l’Haïtien ; langue parlée par la première nation nègre du Nouveau Monde n’a pas attendu cette célébration, pour penser le monde et porter sa contribution à l’humanité tout au long de l’année, à travers des poèmes, des romans, des chansons, des conversations entre autres.

D’un autre coté, il faut reconnaître que l’ombre de Jean Jacques Dessalines, père de la nation s’est étendu d’un bout à l’autre du mois, avec des activités diverses et variées. Ventes signatures du dernier CD du chanteur Kébert Bastien, vente  signature du dernier livre de Prince Guetjens, commémoration du 17 octobre Kriye-Bòde du danseur Péniel Guerrier et l’exposition des œuvres de l’artiste Deenps Bazile, Granbwa) ce 22 octobre 2021.

          En accueillant l’exposition de Granbwa, au 208 Parkside, Brooklyn, le groupe Anba tonèl qui se réunit tous les vendredis soir à cette adresse, intervient pour suppléer au manque flagrant de matériels et d’instances culturels au service de la diaspora de New York.

          La petite salle regorgeait de visiteurs. es., pour la plupart des habitués. es. des lieux pour assister au vernissage de l’exposition des toiles, des dessins, des sculptures, et des objets liturgiques de Granbwa. Une dizaine de tableaux, accrochés le long des murs, captaient l’attention d’une foule venue payer de sa présence. L’artiste est considéré comme une icône dans le milieu haïtien de Brooklyn pour sa contribution à la promotion de la créativité haïtienne. Une sculpture qu’il avait réalisée dans un tronc d’arbre à l’intérieur de Prospect Parc a construit cette notoriété.

          À l’entrée de la salle, sur le côté gauche, Gwo Dèdè s’installe dans une béatitude déconcertante. Tout semble orbiter autour d’un trou myope, évacué dans un tourbillon de poussière d’étoiles, mis en relief par l’inaction, dans une atmosphère au milieu d’un ailleurs indéfini. La suggestion distraite des formes, souvent gaies, mais par trop sphériques dans la connivence des lignes imbriquées sur des mouvements vite trahis par le contraste des tons, qui dit tout et son contraire, palpite de vie. 

« 6 Sous lavi »rassemble des tiges, organisées sous le modèle d’un jardin, par moments, suspendu, arborant toutes les couleurs, exposé sous un ciel pas très clément.

« Enèji inivèsèl » ; sur un fond bleu Lazare, une sphère gravite au milieu d’une constellation avec de multiples astres autour, reliés par un magnat jaunâtre, liquide et en déconfiture, tenant en équilibre des agréments ocres, verdâtres entourés d’un blanc dégradé qui met en exergue, le contraste et la mise en relief du tout. Ayant conscience qu’il était impossible d’accéder à la vérité par des opinions, car toute opinion n’est qu’un point de vue fou de la réalité, l’artiste évite l’impitoyable lucidité rendue par la stérilité. Parce que dès qu’on cesse de produire, on trouve sans inspiration et sans substance, tout ce que font les autres.

« Espri ki ap vole » se situe dans un espace onirique où éveillé, le créateur s’engouffre dans un univers habité par d’étranges créatures aux apparences molles. Le temps, dont l’attention est rivée à l’émergence et à l’évanouissement de chaque instant, semble s’immobiliser pour sculpter une autre conception du vivant, comme il doit en exister quelque part ailleurs.

          Les œuvres de Granbwa sont fortement traversées par une esthétique du Vodou. Au-delà même des objets représentés, pour la plupart empruntés dans les lieux vodou, son organisation de l’espace, sa manière d’agencer les formes et l’harmonisation de ses couleurs ne sont pas sans rappeler certains maîtres du Centre d’Art haïtien. Il va aussi butiner par delà ces territoires. Par moments on y retrouve un zeste d’école de la beauté dans le traitement des lignes et des rondeurs féminines, lascive, avec toutefois un peu de pudeur.        

          Granbwa peint comme il sculpte, en cherchant désespérément la troisième dimension. Sous son pinceau les couleurs d’abord primaires s’extasient, avant de tourner et de croitre en une multitude de teintes sans trahir les contours du tracé. Il dispose d’une palette plutôt riche et de formules parfois convaincantes. L’abondance de ses formes souvent gaies, ses ellipses et ses mouvements dénoncent une grande habileté, ainsi qu’un travail assidu pour parvenir à une cette maitrise technique. Néanmoins, il lui reste peu de chemin à parcourir pour devenir lui-même.

En se dépouillant au fur et à mesure des « bons sentiments » et du « respect » des normes qui parfois obstruent la voie de certains pinceaux, pourtant habiles vers la conquête ultime de soi, Granbwa confirmera la place qu’il vient de se tailler sur le rebord du monde artistique.

          L’exposition valait la peine d’être montrée.

Prince Guetjens

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