Les artistes haïtiens, peuvent-ils encore créer en ces temps de crises ?

Dans le contexte de crise sociopolitique, économique, sécuritaire, sanitaire et surtout humanitaireque connaît la République des artistes et artisans depuis plusieurs semaines, et au début du dernier trimestre de l’année 2022, le secteur artistique et culturel est pratiquement l’un des domaines les plus touchés dans cette crise sociale profonde qui persiste et bouleverse Haïti, au lendemain de la crise sanitaire mondiale de Covid-19.

Difficile pratiquement d’espérer grand-chose en matière de produits et de services culturels publics, dans un contexte de fragilisation des institutions culturelles publiques, avec les attaques subies par la principale chaîne de télévision publique du pays, lors des mouvements de protestation de ces dernières semaines.

Dans le voisinage du palais présidentiel, le principal musée historique du pays avait été la cible, pendant que l’on continue de prier et de croiser les doigts pour que d’autres institutions culturelles, artistiques et patrimoniales n’allongent pas la liste des dommages collatéraux et irréparables dans ce contexte imprévisible.

Des artistes et des créateurs haïtiens, qui évoluent dans le pays, avant tout des citoyens et qui ont également des familles qui survivent, sont pratiquement devenus les nouveaux prisonniers de la réalité sociopolitique.  Comment vivent-ils pour continuer de produire, de créer, de performer et de proposer leurs talents ? Quelles sont les méthodes ou approches thérapeutiques capables de remotiver ou de remobiliser la majorité des artistes qui ne choisissent pas de rejoindre les mobilisations dans les rues ou d’interagir sur les réseaux sociaux ?

Demander à un artiste plasticien de peindre ou de sculpter, en ces temps difficiles en présence des enfants traumatisés et leurs familles souffrantes, n’est certainement pas une chose facile ? Comment encourager la créativité tout simplement dans les milieux culturels en ces temps de crise ?  

Dans l’ensemble des pratiques artistiques et culturelles d’ici et d’ailleurs, les créateurs haïtiens, même en temps de crise, trouveront certainement de la matière pour surmonter la crise. En caricaturant les acteurs politiques dans la peau de certains personnages dans des pièces de théâtre, ou les personnages d’Alain Possible, sans oublier les pouvoirs de la musique, de la danse, et des défilés propres aux Haïtiens, il y a certainement assez d’approches thérapeutiques disponibles pour ne pas sombrer.

Dans l’impossibilité de performer en Haïti, de produire, de créer, d’animer, de chanter ou d’organiserdes expositions artistiques et d’artisanat, des foires du livre, des spectacles de chants, de musique, de slam, de danse, entre autres, ce sont pratiquement des dizaines, des centaines, et desmilliers de jeunes créateurs, des professionnels confirmés, des ateliers et des studiosgraphiques et d’impression, des ateliers d’art et d’artisanat, des entreprises culturelles et artistiques qui ne peuvent pratiquement plus tenir dans ces conditions.

Des projets culturels parmi les plus innovants et qui comptaient se renouveler dans une nouvelle édition sont sur le point d’annuler ou de reporter leur programmation en Haïti. Combien de créateurs haïtiens qui devraient voyager à l’étranger se voient contraints de rester, de se résigner et de subir ces nouveaux chocs sociopolitiques ? À qui la faute ? À qui profiteront cette situation sur le plan culturel et économique ? Certainement aux créateurs qui évoluent en dehors d’Haïti, qui ne seront pas tous des membres de la diaspora haïtienne !

Dans l’impossibilité pour certains artistes de se nourrir ou de nourrir leurs familles en ces temps de crise, dans l’impossibilité pour d’autres de partir ou de ne plus pouvoir investir dans le pays, la créativité demeure plus que jamais la seule arme dont les créateurs haïtiens disposent, pour rêver, résister et pour renverser la situation en leur faveur.

Deux choix s’imposent dans ce cas pour la survie des artistes haïtiens qui seront en mesure de traverser cette crise majeure, dont l’issue semble encore être très imprévisible. La première possibilité, les artistes devront beaucoup se documenter sur les expériences antérieures des créateurs qui ont vécu ou continuent des moments aussi difficiles, comme les artistes évoluant dans des pays en Afrique, dans d’autres régions dans le monde, comme en Irak, Syrie, Afghanistan ou même en Ukraine ces derniers mois. Ces expériences croisées et adaptées pourraient bien remotiver certains créateurs, jusqu’à leur offrir de nouvelles pistes, de nouvelles synergies et de nouveaux réseaux.

Dans la deuxième possibilité, en dehors du plus de temps libre, que bon nombre d’artistes et de créateurs haïtiens disposeront pour choisir entre se laisser tomber dans la dépression, dans la désolation ou les critiques des acteurs, jusqu’à choisir l’un des camps en confrontation dans le pays, les créateurs haïtiens devraient utiliser ce temps libre pour approfondir certaines connaissances théoriques et pratiques, des initiatives innovantes et des recherches moins exigeantes et qui ne nécessitent pas des ressources budgétivores et des déplacements. Ils pourraient aussi bien profiter de ces temps libres pour s’impliquer dans des activités sociales, s’informer, se former, se dépasser, se dépasser et transcender la crise, se déconnecter et transformer leur environnement immédiat, physique et virtuel.    

Difficile d’encourager ou de motiver un artiste ou un artisan qui n’a ni d’endroit pour dormirni de moyens pour se nourrir et d’un environnement pour respirer ou même créer. Cela n’empêche pas pour autant d’encourager d’autres créateurs haïtiens, en majorité les plus jeunes, à profiter de cette crise, pour tenter de créer des œuvres nouvelles, des œuvres solidaires, des œuvres engagées, des œuvres qui peuvent illustrer les émotions de plus d’un.

De loin, les jeunes talents disposent pratiquement plus d’énergie, plus de liberté, plus de sensibilité, plus d’inspiration et d’interconnexion entre les différentes couches sociales, et d’autres communautés élargies, pour pouvoir accoucher des œuvres inédites, innovantes ou provocantes, dans cette crise socioculturelle, qui va certainement anticiper ou provoquer une certaine remise en question, et un ensemble de renouvellement dans la liste des anciens et nouveaux acteurs. Ce qui va imposer une possible récréation dans les industries culturelles et créatives en Haïti. Autant encourager les talents artistiques haïtiens à résister par la créativité pour pouvoir mieux se préparer pour les prochaines saisons.

Dominique Domercant

 

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