La réception jouissive de Ayiti bang bang de Carimi chez de jeunes Français

La chanson Ayiti(Bang Bang) de l’ancien groupe Carimi, sortie en 2000, garde encore sa fraîcheur chez les jeunes Français. Ces derniers la chantent en transport en commun. Privé. Ils l’écoutent dans des bars, des boîtes de nuit. Des fêtes de famille, entre potes. Des mariages. Des centres commerciaux. Boutiques. La rue. Des parcs attractifs. Des salles de sports, etc. Qu’est-ce qui fait l’objet de ce succès musical ? Comment expliquer cette démarche appréciative réussie chez le public ?

La réception détournée

Ayiti(Bang Bang) est une chanson à dimension politique pour ne pas dire une œuvre qui partage une forme d’esthétique sociale. Elle décrit la réalité socio-politique du pays à cette époque lavalassienne. L’insécurité, la drogue, l’armement des ghettos(chimè), la misère, les assassinats, etc. Suivant l’approche méta-éthique communicationnelle, la chanson devrait faire une réception politique, mais elle a été détournée de son contexte, de son message par les jeunes.

En plus, l’enlèvement des paroles de la musique retirerait cette intention de mimer la crise politique et sociale du pays. Autrement dit, elle perdra tout son sens politique du récit relationnel qu’elle entend faire entre l’art et le pouvoir ou la société. Cette déficience du faireartistique est aussi valable pour les autres œuvres artistico-politiques du pays. Si les paroles sont dénonciatrices, le rythme ou le son qui les accompagne ne l’est pas.

Les jeunes ne parlent et ne comprennent pas la langue créole haïtienne. Mais ils peuvent entendre dans la chanson « FBI, CIA, Lucky bang et Sansibalagachèt, Cow Boy, what’sgoing on ». Pour certains, c’est une chanson de Zouk, qui fait la narration comme le rap gangster et pour d’autres, c’est une chanson à l’allure entraînante avec des expressions anglaises et le « Zopodopodopope » qui invite à la danse, à la fête. Qui pis est, certains pensent que les musiciens n’étaient ou ne sont pas des Haïtiens. Malheureusement ou heureusement dans leurs critères appréciatifs artistiques, le sens du message importe peu ou la connaissance de la langue. Ils optent pour la réception audible artistique.

La chanson suscite chez les jeunes de l’émotion jouissive. Ils ignorent le message politique qui véhicule dans la chanson. Car ils sont à la recherche du plaisir. En plus, les musiciens l’exécutent dans des festivals, bals, etc. Ce geste artistique existe également chez d’autres artistes haïtiens ou étrangers qui ont des œuvres qui partagent cette forme d’esthétique. Ils les jouent pour mettre de l’ambiance, pour animer la foule ou le public. C’est en ce sens que la réception des œuvres à dimension politique pose toujours problème quand il s’agit de la rendre opérante dans des spectacles artistiques. Les gens paient et viennent pour se défouler et non pour faire de la révolution politique. Et parfois même l’artiste sait pragmatiquement qu’il exploite seulement les foyers de détresse sociale afin de renouveler son statut aux yeux de la population. Car en réalité, il ne s’intéresse pas à la politique ou mène une vie contraire de ce qu’il émet dans sa composition artistique.

Répétition et mélodie entraînante ou mémorable

Loin de faire une analyse abstraite de la propriété séductive de la chanson ou des passages musicaux, l’œuvre musicale ou l’art en général à cette dimension métaphysique. Cette capacité qui consiste à faire vivre autrui de la beauté d’une œuvre artistique. Elle permet à l’œuvre de toucher l’auditeur et celui-ci ne sait ni comment ni pourquoi. L’artefact devient alors un sujet consensuel entre le créateur et l’auditeur. Ainsi, l’appareil sensoriel de l’auditeur se voit activer dans cet exercice séductif par les éléments universels du jeu de langages qui embrassent la construction de l’émission affective de l’œuvre. L’auditeur donne corps à la réception autistique de l’œuvre où l’aspect conceptuel du beau devient un véritable leurre en vue d’expérimenter l’érotisme artistique.

Ceci dit, contrairement à certaines pièces du groupe Tabou Combo qui cheminent le marché musical international, plus particulièrement les Antilles et l’Afrique, la chanson Ayiti(Bang Bang), est mieux travaillé en termes de paroles. Elle contient de longues strophes, bien rythmée et mixée sans oublier la bonne articulation de Michael Guirand, le chanteur. En vrai, c’est une poésie dissertée rédigée par Richard Cavé. Cependant, les paroles retenues par les jeunes font partie des refrains qui sont construits de manière anaphorique.

Par la répétition, les paroles des refrains déclenchent ce mécanisme de séduction musicale. En d’autres termes, en utilisant des termes usagés, telle une rengaine, le compositeur arrive à capter l’attention auditive des jeunes pour donner à la chanson une réception favorable. C’est en ce sens qu « ’un passage musical répété finit par devenir familier à l’auditeur. Cela explique pourquoi les chansons à refrains multiples sont la plupart du temps facilement appréciées du grand public», dit François Dompierre, ce compositeur québécois. La mélodie est captivante et facile à retenir.

Ce groupe, composé de jeunes musiciens à l’époque, savait comment manipuler l’œuvre pour dégager cette aura appréciative jusqu’à aujourd’hui. C’est-à-dire, en incorporant des signes, des expressions, des abréviations dans ce matériau sonore qui sont capables de rendre attractive la chanson. L’illusion artistique qui habite l’œuvre enlève sa dimension politico-sociale pour laisser apparaître chez les jeunes sa dimension festive de par son caractère attrayant avec le son et la technique d’écriture utilisées ou les agencements effectués par le compositeur.

En somme, si ce que cette chanson Ayiti (Bang Bang)raconte est encore d’actualité dans le pays, sa délectation chez les jeunes français dénote de son allure entraînante et les vocabulaires usuels.

Orso Antonio DORELUS

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