Où se trouve le Nigéria ?

Si vous pensez qu’Haïti est très loin du Nigéria, vous devriez reprendre vos livres de géographie. Ou vous offrir L’hibiscus pourpre de la romancière nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. Voici la preuve que d’un pays à l’autre, on se retrouve sans peine :

Extrait # 1 -  J’ai passé la nuit à la station-service la semaine dernière à attendre de l’essence. Et à la fin, le carburant n’est pas arrivé. Il y a des gens qui ont laissé leur voiture à la station parce qu’ils étaient en panne. Si tu voyais les moustiques qui m’ont piquée cette nuit-là, eh bien, j’avais des marques grosses comme des noix de cajou sur la peau.

Extrait # 2 - Obiora tapait une mangue jaune contre le mur du salon. Il continuerait jusqu’à ce que l’intérieur soit réduit en pulpe molle. D’un coup de dents, il percerait alors un trou minuscule à une extrémité du fruit et le sucerait jusqu’à ce que le noyau flotte dans la peau comme quelqu’un dans des vêtements trop grands. Amaka et Tatie Ifeoma mangeraient des mangues elles aussi, mais avec un couteau découpant des tranches de chair orange et ferme à partir du noyau. ( fin de citation)

 

En outre, l’ampleur de la corruption, la quantité et la variété de fruits et de tubercules dans les marchés de rue, la pauvreté et l’inégalité criantes, l’inclination aux coups d’État militaires… sont autant de raccourcis de notre Ayiti Toma vers ce pays africain que j’ai découverts avec la lecture palpitante de L’hibiscus pourpre. Je précise tout de suite, pour qui percevrait des relents de notre actualité dans le premier extrait cité plus haut, que ce livre, premier roman publié par Chimamanda Ngozi Adichie, date de 2003.

Il raconte l’enfer que vit une famille sous la férule du père, extrémiste religieux que l’on croirait issu du temps de l’Inquisition et des autodafés. Kambili, la narratrice et personnage principal, déroule sous nos yeux le film des atrocités que fait subir ce catholique pur et dur à ses propres enfants.

 

« Tu savais que ton grand-père venait à Nsukka, n’est-ce pas ? demanda-t-il en ibo.

  • Oui, Papa
  • As-tu pris le téléphone pour m’en informer, gbo ?
  • Non
  • Tu savais que tu dormirais dans la même chambre qu’un païen ?
  • Oui, papa
  • Alors tu as péché distinctement et tu as marché dans sa voie sans hésiter ? »

Je hochai la tête :

« - Oui, Papa.

  • Kambili, tu es précieuse Tu devrais aspirer à la perfection. Tu ne devrais pas voir le péché et marcher dans sa voie sans hésiter. »

Il baissa la bouilloire dans la baignoire et l’inclina vers mes pieds. Il me versa l’eau brûlante sur les pieds, lentement, comme s’il se livrait à une expérience et voulait voir ce qui se passerait.

 

Rien ne m’a laissée indifférente dans ce très beau roman. Qu’il puisse exister, dans nos temps modernes, un fondamentalisme catholique si démesuré m’a étonnée. Je dis temps modernes parce que, même si l’époque n’est jamais précisée, cela semble se passer à la fin du siècle dernier. La manière de nous dévoiler la complexité des caractères à travers le regard de la narratrice m’a édifiée. La manière d’exposer différentes visions du monde, et de Dieu, en les incarnant à travers des personnages antinomiques m’a rappelé Molière. Les descriptions pittoresques faisant appel à tous les sens, l’odorat et la vue en particulier sont des morceaux d’anthologie. On est ébahi devant des scènes de rues riches de bruits, de couleurs et d’odeurs. Plus loin on est attendri par la sagesse d’un vieillard priant pour le bonheur de son fils, alors même que ce dernier - notre fondamentaliste - rejette son père qu’il qualifie de païen.

On sent que la romancière a bien travaillé chacun de ses personnages. La narratrice elle-même évolue au fil des pages jusqu’à avouer ne plus se reconnaître. Tati Ifeoma est mon personnage préféré. Une maîtresse-femme, alliant pragmatisme et humour, intelligence et sensibilité. Professeur d’université, veuve élevant ses trois enfants, elle seule peut tenir tête à son frère, fou de Dieu.

Dans cette structure narrative en trois temps non linéaires, Adichie démontre une maîtrise de la progression du récit et du suspense telle, qu’on ne peut prévoir vers quelle issue on se dirige avant d’avoir terminé la lecture. Chacun a-t-il le sort qu’il mérite ?

Allez faire une visite guidée au pays de Chimamanda Ngozi Adichie, pour vous en faire une idée.

 

Nathalie Lemaine

Port-au-Prince – 22 août 2022

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