Pleins feux sur la 19e édition du festival Quatre chemins

La 19e édition du festival Quatre chemins se déroulera en Haïti du 21 novembre au 3 décembre 2022. Cette 19e édition recevra Rolando Étienne, dramaturge et comédien haïtien, comme invité d’honneur et allumera ses feux des projecteurs sur la mer et le littoral haïtien. Question de tirer la sonnette d’alarme sur les problèmes environnementaux qui frappent Haïti depuis de longues années. L’entrevue réalisée avec Guy Régis Jr, directeur artistique du festival Quatre chemins, permet de lever le voile sur l’organisation de cette dix-neuvième édition et donne un large aperçu sur la programmation de ce festival de théâtre qui va permettre aux comédiens et aux créateurs entre autres d’inventer et de jouer dans leurs propres décors. Entretien.

Le National : Malgré une situation sociopolitique et humanitaire sans précédent en Haïti, vous mettez le cap sur la 19e édition du Festival Quatre chemins. M. Régis, en tant que directeur artistique du festival, qu’est ce qui explique cet engagement et cette passion pour le théâtre ?

 

Guy Régis Jr : Parce que le théâtre est nécessaire dans une société perdue comme la nôtre. Parce que tout théâtre pose le problème humain au premier plan. Dès que j’ai commencé à faire du théâtre, j’ai cru qu’il était nécessaire pour l’humain de se mettre devant d’autres humains pour les regarder (théâtre vient de thein qui signifie regarder), les entendre, les voir se muer. C’est bien plus qu’une passion pour moi. Une passion s’éteint, c’est le sens même du mot. Le théâtre par tous les moyens nécessaires. Voilà ce qui m’a toujours animé. Les créateurs n’attendent pas le calme des rues, le calme des esprits, pour créer. Ils créent, et c’est tout. Et puis, on n’a pas à s’excuser de continuer à le faire. C’est notre métier. « Bon qu’à ça ! » comme dit Beckett.

 

LN: En  19 ans, le festival a connu des hauts et des bas, comment arrivez-vous, dans un pays où tout est éphémère, pour tenir le cap ?

GRJ: Je crois que 19 ans d’édition en Haïti du Festival Quatre chemins, est la preuve qu’heureusement, tout n’est pas éphémère ici. Il reste encore, en dépit de tout ce qui s’est dégradé, des choses stables sur lesquelles on peut s’appuyer pour penser à reconstruire notre pays. En effet, même si nos salles de théâtre sont inaccessibles, même si l’insécurité nous contraint à beaucoup de restrictions, il demeure le talent, la détermination, l’envie de vivre, de résister, de créer de ce peuple qui se traduit à travers la création des artistes locaux. Et cela constitue pour l’équipe de la direction artistique, une importante source de motivation pour continuer à organiser le festival.

 

Ensuite, on ne peut rejeter d’un revers de main l’engagement de notre équipe du festival qui malgré les difficultés, met tout en œuvre pour planifier, programmer, coordonner l’événement avec professionnalisme pendant toute l’année. Enfin, nous avons la bénédiction de pouvoir compter sur des partenaires financiers et logistiques fidèles à cette initiative et qui croient comme nous, que l’art et la culture ont leur place dans le développement de ce pays.

 

LN: Qu’est-ce qui va différencier cette édition des autres qui ont été déjà réalisées?

GRJ: Déjà, nous avons l’immense honneur de recevoir le comédien et metteur en scène Rolando Étienne, comme notre invité du festival. A ce titre, il occupe une place importante dans notre programmation avec cinq propositions de spectacles: « Goebbels Juif et footballeur » de Guy Régis Jr, « Maître Cavé » de Syto Cavé, « Kalibofobo » de Frankétienne, « Tatezoflando » »de Jacques Stephen Alexis, « Devè Revè » de Bonel Auguste et « Des villes et des songes », un concert.

 

Ensuite, la particularité de cette édition repose également sur notre programmation qui est exclusivement locale par rapport aux années précédentes où l’on recevait beaucoup d’artistes étrangers. Ce qui nous permet de découvrir de jeunes talents avec des propositions de plus en plus matures, avec de nouvelles perspectives de développement pour le secteur de la création contemporaine haïtien.

 

LN: Vous mettez sur les feux des projecteurs la mer et le littoral haïtien, pourquoi une telle thématique ?

 

GRJ: Car on vit sur île, mais nous donnons souvent l’impression que nous n’en sommes pas conscients. On massacre nos rivages. On y installe des constructions sauvages en faisant fi de l’environnement. On tue nos mangroves. On les salit. Sans nous dire que ces saletés reviennent dans nos assiettes quand nous mangeons ce qui vient de la mer. Alors, nous voudrions essayer de répondre à ces différentes questions dans nos conférences : sommes-nous encore une île ? Que devient notre étendue littorale ? Que sont-elles devenues, ces mers, ces eaux qui nous entourent ?  Et que seront-elles dans les temps à venir ?  Que sont devenus nos ilets ? Y a-t-il toujours une baie à Port-au-Prince ?  Si oui, pourquoi la mer y est ignorée ?  Y a-t-il une anse à Jérémie ?  Un golfe à La Gonâve ?   Un port à Jérémie ? Nos mers nourrissent-elles ses pêcheurs ?  Nous nourrissent-elles ? Qui sont nos pirates ? Que sont nos nouveaux flibustiers ?  Qui gouverne La Navase ? 

 

LN: Est-ce pour vous un prétexte pour tirer la sonnette d’alarme sur les dangers environnementaux ?

 

GRJ: Absolument. Nos problèmes sont multiples. La mer que nous massacrons pourrait être une si grande source de richesse.

 

LN: Venons maintenant à la programmation du festival ?

 

GRJ: En dépit des difficultés liées au contexte socio-politique, notre programmation demeure jusqu’à présent forte d’une soixantaine d’activités réparties en plusieurs dispositifs, dont une série de projections de spectacles en ligne qui ont débuté depuis septembre. Nous avons la possibilité de programmer 18 spectacles et performances, dont un destiné aux enfants de la maternelle. Ensuite, dans le cadre de notre dispositif de lectures, nous avons cette année décidé de réaliser en amont de nos activités officielles, un focus sur l'écriture dramaturgique de la République Démocratique du Congo avec des textes d’auteurs congolais. Le public pourra également assister à la reprise de notre série baptisée « Nouvelles dramaturgies d’Haïti » et qui programme de nouveaux textes de théâtre haïtien.

 

Par ailleurs, afin d’explorer notre thème tourné sur la mer, une dizaine de conférences qui recevra plusieurs professionnels de cette question afin d’explorer cette question dont on ne parle pas souvent en Haïti. Sans oublier que la poésie occupera une place importante au niveau de programmation à travers nos traditionnels « Café poésie ». Et tout cela, le public pourra accéder gratuitement à ces activités.

 

LN: Outre Rolando Étienne comme invité d’honneur y aura t’il  d’autres figures de proue du théâtre haïtien et étranger qui seront à la fête ?

GRJ: Comme précisé plus haut, notre programmation artistique cette année est entièrement constituée de créateurs locaux. Et à côté de Rolando Étienne notre invité d’honneur, nous aurons la possibilité de recevoir des artistes de marque comme Daniel Marcelin, Syto Cavé, Bonel Auguste, Gaelle Bien-Aimé, etc. Mais nous sommes également très fiers de programmer des créateurs émergents avec des propositions très intéressantes et qui nous portent à croire qu’il y a encore de l’espoir dans ce pays, nous aurons la seconde mise en scène de Jenny Cadet, ou encore une autre création de Staloff Tropfort, etc.

 

LN: Dans un pays où il n y a pas de salles de spectacles , où est ce que vous allez représenter les pièces de théâtre ?

GRJ: Le théâtre dont nous faisons la promotion, est vraiment ancré dans une vision contemporaine qui respecte tout en étant affranchie des règles de représentations classiques. Donc, même si cela est vraiment contraignant, on est très ouvert à l’utilisation des espaces alternatifs qui réinventent l’acte théâtral tout en étant de bonne facture. Et nos créateurs comprennent et suivent cette démarche. Ce qui fait que notre programmation est répartie dans des lieux comme le Yanvalou Bar, le Centre d’Art de Port-au-Prince, l’espace Eclosion.

 

LN: Plusieurs activités sont déjà réalisées en amont dans le cadre de la 19e édition et grâce à l’ Association  Quatre chemins, le théâtre est un peu partout en Haïti ? Quel bilan faites-vous des tournées réalisées un peu partout en Haïti ?

 

GRJ: En effet, notre objectif a toujours été d’utiliser le théâtre comme moyen de changement social  et de sensibilisation sur des thématiques qui touchent notre société. Avec notre programme théâtre citoyen nous intervenons auprès des jeunes et nous travaillons pendant l’année avec des ex- détenues. Cette année encore nous étions à Fort-Liberté pour un projet d’atelier de peinture et de récupération en partenariat avec World Vision qui a commencé le mardi 30 août dernier avec une cinquantaine d’enfants . Sans oublier notre travail de réinsertion sociale par le théâtre avec les ex-détenues, dans le but de les aider à faire face à la déconsidération et au rejet de la société. Comme bilan pour les activités en amont du Festival, 10 projections de spectacles en ligne ont été programmées dont neuf ont déjà été diffusées pour plus de 15 000 vues. La dernière, pour ce vendredi 28 octobre à partir de 6h PM.

 

 

 

Le National : Quel est le budget pour un tel festival M Régis ? Et qui supporte le festival Quatre chemins ?

 

Guy Régis Jr : Pas suffisant en tout cas, pour le plus grand festival des arts vivants d’une capitale de près de deux millions cinq cent mille personnes. Malgré tout, notre budget se réduit de plus en plus, à cause de désistement de plusieurs bailleurs, comme la WBI de la Belgique qui ne nous soutient plus, ou encore l’Institut français de Paris, qui vient d’arrêter son aide. Mais le Festival Quatre chemins a l’immense chance de jouir de l’appui de quelques partenaires très consciencieux : Fokal, ministère de la Culture, l'Institut Français d’Haïti, l’Institut Français de Paris, OSF, OIF, AJWS, Urbayiti, Ambassade Espagne, Initiative développement (ID), AJWS, Onu-Femmes.

Propos recueillis par :

Schultz Laurent Junior

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