Cris et chuchotements dans le spectacle Tatezoflando

Programmé pendant deux jours, les 25 et 26 novembre 2022, le spectacle « Tatezoflando » était au Centre d’art de la rue Roy dans le cadre de la dix-neuvième édition du festival de théâtre Quatre chemins qui se déroule à Port-au-Prince jusqu’au 3 décembre 2022. Sur une mise en scène de Rolando Étienne, l’invité d’honneur du festival de théâtre Quatre chemins, le comédien Jacques Adler Jean Pierre, au sommet de son art, a incarné les différents personnages de « Tatezoflando » figuré dans le recueil de contes « Romancero aux étoiles » de Jacques Stephen Alexis. Avec profondeur et fantaisie, Jacques Adler Jean Pierre a permis aux spectateurs suspendus à ses lèvres de découvrir les traits d’une épouse soumise et qui subit l’emprise de son mari.

Sur la scène, les spectateurs ont découvert une sorte de placard avec des vêtements à l’intérieur, une table recouverte d’une nappe blanche avec un pot rempli de fleurs est placée au milieu. Le comédien Jacques Adler Jean Pierre est apparu sur scène portant une soutane sous l’air de la chanson catholique « Veni Creator Spiritus ». Le comédien ressemblait à un prêtre dans une marche nuptiale. Loin de là. Rempli de lui-même et bouleversé par toutes les voix des personnages qu’il incarnait , il a ainsi permis aux spectateurs de ressentir le gouffre et la souffrance qui existent dans chaque vie humaine. Cris et chuchotements, tristesse et désespoir inouïs, « Tatezoflando » met en scène la détresse d’une femme qui vit la violence au quotidien jusqu’au drame ou avant le drame.

Depuis son mariage jusqu’à la naissance de ses trois enfants, elle ignore complètement le nom de son mari. Elle est souvent pour cela battue, maltraitée, humiliée. La vie pour cette épouse soumise n’est plus un long fleuve tranquille. Elle vit une souffrance et une dont personne ne peut prévoir la fin. Ainsi s’installe dans la maison un climat de tension, de sombres vertiges et d’affrontements. Une personne qui a épousé un homme dont on ignore le nom. C’est le mystère de l’amour. Les secrets du cœur. Le couple a trois garçons : Jacko , Pierrot et Polo. Chaque fois après le souper, la maison est prise dans les rets de la violence conjugale. Chaque fois la femme reçoit une raclée pour n’avoir pas su le nom de son époux. La femme, malheureusement dans sa vie, portera des cicatrices ineffaçables. Elle aura des bleus à l’âme, un teint ténébreux, des yeux douloureux et éteints, un menton nostalgique, tout son corps crée pour offrir mille et un plaisirs qui dévient sous la férocité de son mari un ensemble de tissus désolés et crispés. Depuis de longues années, elle traîne comme un oiseau chagrin cette vie malheureuse et triste jusqu’au jour où ses enfants dans la conscience de leur âme innocente se sont rebellés contre cette situation intenable : «  Le jour où tu connaîtrais mon nom, j’ éclaterai comme une bombe », répétait toujours le mari beau comme l’un des pics du massif de la Selle.

 

Poésie parlée, fantaisie surnaturelle, humour insolite à la géométrie verbale et en trompe-l’œil, « Tatezoflando » de Jacques Stephen Alexis est un conte réussi .

 

Maestro des planches, Rolando Étienne, le metteur en scène a conjugué ses facultés créatrices à sa lecture conceptuelle du texte et a dirigé admirablement bien le comédien Jacques Adler Jean Pierre à travers une scénographie qui tient en haleine les spectateurs du début jusqu’à la fin. Pour réussir son spectacle, Rolando Étienne a privilégié l’essentiel du conte « Tatezoflando » et a priorisé les rebondissements en insistant sur les quiproquos pour retenir l’attention du public qui est parvenu à se questionner sur le devenir de cette femme et de ses trois enfants après le destin tragique de son mari. Sur le destin de l’homme aussi qui est appelé à être plus fort que sa condition. Un spectacle réussi.

 

 

Schultz Laurent Junior

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES