L’exil selon Guy Régis

Guy Régis continue d’explorer l’exil. Dans une époustouflante fresque musico-théâtrale, le brillant dramaturge a encore évoqué son thème fétiche.

Si on veut voir la pièce de Guy Régis « L’amour telle une cathédrale ensevelie », rendez-vous à la Cartoucherie de Vincennes, en banlieue parisienne. Sa deuxième trilogie consacrée à l’exil y est affichée jusqu’au 12 décembre. Le prodige haïtien éblouit l’assistance avec une époustouflante mise en scène théâtrale et musicale organisée de main de maître par le guitariste classique Amos Coulanges. Mêlant les deux arts - musique et théâtre -, l’artiste aborde le thème de l’immigration, englobant aussi bien les boat people que les condamnés à l’exil. Ce qu’il nous donne à voir est avant tout un théâtre citoyen. Militant. Engagé.

 

Un sujet que ses compatriotes connaissent parfaitement bien. L’immigration, le désir de s’enfuir, loin du pays natal, est en Haïti dans presque toutes les têtes, même si les candidats au départ doivent subir l’humiliation sous d’autres cieux. Vu que le thème est aussi de portée internationale, cette pièce est susceptible d’intéresser un public encore plus large.

 

Même dans la première trilogie plutôt intimiste – il y évoque ses relations avec son père -, l’obsession du départ n’est pas loin. La douleur de l’exil pointe déjà son nez. Ses conséquences sur le corps social aussi. L’enfance difficile, l’immigration, l’absence, l’abandon, la nostalgie, tout y passe. Ces thèmes introduits dans cette pièce de théâtre sont traversés par une angoisse puissante et palpable lorsque l’auteur questionne le silence de ce père parti travailler aux États-Unis et qui n’a plus donné de nouvelles. Mais avec sa subtilité légendaire, Guy Régis n’impose rien, tout est dans l’art de laisser deviner aux spectateurs les blessures, les déceptions de la vie.

 

La deuxième trilogie est une fresque théâtrale, le dramaturge haïtien élargit ici son champ sociologique pour donner sa vision de l’immigration, en s’interrogeant sur les raisons qui poussent un individu à laisser son pays. Il a découvert que beaucoup de gens ne le font de gaîté et le sourire aux lèvres de cœur. Ceux qui le croient se trompent énormément, comme c’est le cas de l’extrême-droite française qui débite de telles bêtises depuis plus de cinquante ans dans ce pays.

 

Si le thème de l’exil lui tient à cœur, Régis ne néglige pas pour autant la scène théâtrale en tant que mode d’expression et qu’il soigne avec brio. Par exemple, ce décor si réaliste qu’il présente avec au fond la mer recouverte de pirogues, d’humains cherchant à fuir, la pluie dehors montant la garde et des giboulées de Montréal menaçantes. Scène majestueuse aussi quand on voit cette mer agitée et des gens sur des bateaux en direction du nord, non pas au sens géographique du terme, mais plutôt économique.

 

S’il est obsédé par l’exil, c’est parce qu’il a vu tellement de compatriotes prendre le large. Le drame des boat people est au cœur de cette pièce, où le dramaturge campe un vieux montréalais et une jeune immigrée haïtienne, dans un appartement cossu de Montréal. La pièce raconte l’histoire d’un fils qui tente de rejoindre sa mère au Québec, mais voilà que rien ne passe comme prévu. Le fils n’est pas arrivé à destination comme des milliers d’autres ayant terminé leurs vies dans les dents des requins. Est-ce de l’amour ou de la pitié pour une immigrée qui vient d’apprendre qu’elle a perdu son fils, qui tente de la rejoindre par bateau. Le dialogue entre la mère éplorée et son mari retraité ne manque de plonger le spectateur dans le chagrin pour cet être disparu en mer et ses parents. « Marianne ? Regarde maintenant. Pour de bon. Tu as vu, Marianne ? Tu vois dehors ? Beau non ? Terriblement beau.  Exquis. Dehors. On aurait dit, on aurait dit, on aurait dit, subitement, les rayons du printemps ? C’est pourtant décembre ? La lumière éclaire. Il fait soleil dehors. Marianne ? », s’interroge le père plein d’espérance. Et la mère du fils intrépide de répondre sur le même ton : « Je vois l’aurore. Je la vois, Carlo pleinement. »  Mais à elle-même, elle se dit que le fils est peut-être bien mort. Deux mois qu’il est parti, il est peut-être disparu en automne. « Pourquoi une telle convenance, un tel alignement des choses ? Et nous le faire en silence. Nous deux, que notre silence autour de sa dépouille. Nous évitons d’en parler. On se chamaille pour bien le taire. Pour…. Pour esquiver. On aurait dit que nous ne le savions pas. Qu’on ne l’a pas subodoré. Quelle mère ne subodore pas une chose pareille ? Nous continuer d’agencer, d’aligner nos, nos répliques. Pourquoi nous taire à parler d’autres choses ? Puis à son homme, elle dit : « Je sais, Carlo. Il fait clair. Dehors, il soleille. C’est comme le printemps. Mais ici, c’est ainsi. On me l’avait dit. »

 

D’autres scènes encore plus ambivalentes se succèdent pendant ce dialogue dans un appartement cossu bourgeois. Parfois, ils viennent à s’engueuler, tantôt face à face, tantôt affalés sur des canapés à quelques mètres de distance. Le dialogue tourne parfois au vinaigre dans des décibels comme on en voit lors des controverses de couple. Heureusement Amos Coulanges est là, l’autre pilier de cette pièce, qui interrompt ce dialogue houleux pour prendre le taureau par les cornes en apportant une dimension supplémentaire à la pièce avec ses quatre chanteurs lyriques. Ce guitariste talentueux est comme toujours dans son élément dès qu’il s’agit de revisiter le patrimoine haïtien.

 

Guy Régis propose une lecture iconoclaste du drame vécu en mer par ses compatriotes, ceux qui ne sont pas arrivés à destination. S’il a l’habitude de nous inviter aux réflexions sociales historiques, cette fois il s’est saisi d’un thème d’actualité pour nous inviter à la réflexion sur un sujet de société.

Maguet Delva

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