Plaidoyer en faveur d’une éducation culturelle en Haïti

Il est indispensable d’éduquer nos jeunes en tenant compte de leur réalité culturelle afin de les aider à cultiver leur estime de soi, s’imprégner réellement du sens du patriotisme et s’affirmer avec fierté comme appartenant à leur peuple. Sinon, on risque de les élever comme des « expatriés culturels » qui, étant déculturés, se plaisent à se chercher vainement à travers d’autres cultures, considérées dans leur tête, comme modèles incontestables ; et non comme des citoyens engagés ou défenseurs fervents de leur culture ou leur patrie.

Dans sa vision réformiste du système éducatif haïtien, le ministre de l’Éducation nationale Joseph Charles Bernard a réellement mis l’accent sur l’importance de la culture dans la formation progressive de nos apprenants. Car, pour lui, c’est l’une des meilleures façons de former de vrais citoyens haïtiens, plus attachés à leur patrie et capables de participer à une gestion plus rationnelle de notre République. C’est pourquoi il est nécessaire, à mon avis, de mettre en relief, les notions et les activités culturelles dans les cours d’éducation à la citoyenneté, d’histoire et de philosophie…

Ce nouveau système d’éducation culturelle se repose fondamentalement sur nos valeurs culturelles et traditionnelles, nos us et coutumes, nos patrimoines matériels et immatériels, notre langue maternelle - le créole -, nos productions surabondantes d’œuvres d’art, notre imaginaire collectif...

C’est un contenu extrêmement riche qui s’enracine dans un passé lointain par l’empreinte d’une marque afro-aborigène. En effet, nous sommes tous des descendants d’Afrique et d’un peuple indigène, appelé fallacieusement indiens par Christophe Colomb et ses coéquipiers qui s’étaient probablement trompés de territoire de conquête.

Avec l’éducation culturelle, nos jeunes pourront mieux cerner leur univers commun ou connaître leur culture dont le rayonnement, notamment dans le domaine de la musique (compas, zouk et tendance racine), se fait sentir dans toute la région de la Caraïbe et presque partout à travers le monde. Ils doivent savoir très clairement que notre culture, distinguée par nos valeurs patrimoniales, constitue notre identité en tant que peuple. Signalée par sa diversité ou son immense richesse, elle n’est ni inférieure ni supérieure à celle d’aucun autre peuple, mais elle est égale à elle-même. C’est pour cela qu’il est logique de leur apprendre à la connaître dans ses différents aspects et ses différents composants comme le vaudou qu’ils devraient être capables d’aborder sur les plans historique, artistique et culturel.

Bien entendu, l’idée est de l’appréhender uniquement dans une perspective de construction d’un savoir intellectuel et non dans l’idée d’une conversion en des adeptes par l’acquisition d’un savoir sacré ou d’une connaissance technique. C’est-à-dire qu’il conviendrait de leur enseigner de manière objective, sans nullement attaquer leur foi ni leur droit, les notions préliminaires à savoir : sa définition, son histoire, ses composants, son importance, son mode de fonctionnement… Il n’est donc pas question d’un apprentissage technique ni pratique du vaudou, mais il s’agit d’une formation classique comme toutes les autres.

En ce sens, le vaudou ne doit plus être considéré comme un sujet tabou dans les milieux scolaires. Certes, il est défini dans les dictionnaires français ou dans l’imaginaire universel comme pratiques de sorcellerie, mais il n’est pas du tout, en soi, un élément mauvais ou dangereux. À l’instar d’autres religions, il a simplement ses règles ou son mode de fonctionnement.

Stigmatisé, entre autres amalgames, par la magie, l’art de faire des choses ou produire des phénomènes par des procédés surnaturels, le vaudou peut être considéré comme une arme à double tranchant, susceptible de produire des effets bénéfiques ou maléfiques, selon qu’on l’utilise à bon ou à mauvais escient. Tout jugement qu’on peut y porter dépend de l’usage qu’on en fait ou d’un choix d’analyses subjectives.

Il importe de souligner qu’il joue un rôle prépondérant dans la vie de la paysannerie haïtienne. Dans « La Montagne ensorcelée », Jacques Roumain explique en clair que les vaudouisants, détenteurs de pouvoir « magique », soignent avec habileté et humour leur patient, malgré la profondeur de leur blessure, la complexité de leur maladie ; accouchent les femmes… ; souvent dans leurs péristyles, utilisés comme dispensaires communautaires ; sans aucune assistance technique ni matérielle, des autorités de l’État qui devraient pourtant se renseigner sur la méthode et la qualité de leur travail.

Tout cela permet de soutenir que le vaudou peut être vu sous un angle beaucoup plus positif. C’est un vrai répertoire de connaissances traditionnelles endogènes parascientifiques. Les rituels vaudou contribuent à la protection de l’environnement du fait que les pratiquants sont obligés de garder en vie, les arbres, les sources d’eau, les rochers… considérés comme habitat des esprits. On peut considérer, comme un vrai encouragement pour l’agriculture du terroir, le fait d’utiliser, en majeure partie, les produits alimentaires locaux dans les cérémonies du vaudou. Ce dernier peut certainement contribuer au développement de l’écotourisme haïtien par son côté spectaculaire, nourri des lieux décorés et agrémentés d’un art visuel propre : danses, vêtements, musique… sachant que les touristes s’intéressent en général, à la découverte du paysage culturel et artistique… Pourquoi refuse-t-on donc d’admettre tout ce côté positif de ce grand patrimoine culturel, né de la rencontre d’une vaste culture africaine et de la culture des aborigènes de Saint-Domingue ?

Pourtant, c’est ce mélange de culture qui nous a légué nos traditions ancestrales sur quoi nos apprenants doivent suffisamment se renseigner. Ne pas en leur parler, c’est à juste titre les détacher de la vie culturelle de leur pays. Or c’est ce détachement culturel qui, comme contrecoup malheureux, provoque chez eux la peur intense du vaudou au point de manifester à l’égard de ce dernier, un dégoût insensé ; une gêne forcée, renforcée par la religion chrétienne qui, importée par les colons pour mieux nous exploiter, opprimer et endormir ; fait montre d’une idiotie terrifiante dans la campagne d’anti-vaudou, en 1945, caractérisée par la destruction massive des objets précieux qui devraient être pourtant conservés dans des musées.

Qui pis est, les bourreaux de ces actes fâcheux étaient pour la plupart, des religieux haïtiens dont les grands-parents ont connu à l’époque de l’esclavage, de supplices atroces, des humiliations à nul autre pareil. Ils ont agi de cette manière, tout simplement pour assouvir le désir morbide de leurs seigneurs, oppresseurs religieux et destructeurs de culture qui poussent nos jeunes, déjà éduqués malheureusement par leur modèle d’éducation, à afficher une attitude repoussante à l’égard de leur propre culture.

Pourtant, celle-ci peut être considérée comme l’un des piliers de l’enseignement classique haïtien. Elle est grandement manifestée par les arts : musique, danse, théâtre, conte, proverbes, dictons, peinture, sculpture, artisanat… qu’on peut utiliser dans la formation de nos apprenants comme médiums de transmission de savoirs pratiques et moyens d’expression libre.

Ainsi, ils auront la capacité de produire dans leur culture et de bien utiliser le langage de l’art ; et comprendront aussi, par l’éveil d’une conscience claire, l’importance de leur propre mode de vie et celui hérité de leurs ancêtres qui viennent, avec leurs propres pratiques de spiritualité, de diverses tribus africaines, au Bénin, Congo, Dahomey, à la Guinée…

Éduquer ces « chevaliers de la relève » en s’appuyant sur leur culture, c’est leur apprendre à valoriser celle-ci, l’apprécier et la protéger ; ou en d’autres termes, les transformer en de vrais gardiens et promoteurs de ce symbole de fierté, « indispensable, selon l’UNESCO, parce qu’elle confère du sens et de la valeur à l’identité et à la continuité des sociétés humaines. »

Cette éducation par la culture et les arts a pour objet de leur aider à renforcer leur capacité réflexive et cognitive, développer leur intelligence et leur sens critique ; faciliter leur épanouissement personnel et s’engager dans un processus d’humanisation afin de mieux tisser leur rapport interhumain. Autrement dit, c’est un système d’éducation culturelle qui permettra à nos apprenants de mieux participer à la démarche progressive de leur accouchement intellectuel et d’être capables de bien s’accommoder et résister aux influences multidimensionnelles d’ailleurs. Il s’agit donc d’une approche d’un système éducatif qui vise une préparation plus complète des apprenants, au regard de la construction de leur caractère ou de leur identité personnelle pour aboutir à un civisme avéré.

 

Jean Joseph,

Professeur de philosophie

 Percussionniste / Opérateur culturel,

jeanjoseph24@gmail.com

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