Manuel et pratique du droit des affaires en Haïti: un livre juridico-doctrinal proposé par le magistrat Ikenson Edumé

Le magistrat instructeur Ikenson Edumé vient de publier « Manuel et pratique du droit des affaires en Haïti. Cet ouvrage répond à un grand besoin compte tenu de l'importance du droit des affaires ainsi que les lacunes à combler dans ce domaine en Haïti. Juridictions commerciales, sociétés commerciales, arbitrage commercial, concurrence, publicité commerciale, assurances et mutualités et autres sont autant de thématiques abordées dans ce manuel. Pour tout expliquer autour de ce livre, Me Ikenson Edumé s'est confié à cœur ouvert dans les colonnes du journal Le National.

Le National (LN): Vous venez de publier, dans la maison d’Édition Mutations contemporaines en France, Manuel et pratique du droit des Affaires en Haïti. Ce manuel répond à quel besoin ?

 

 

Me Ikenson Edumé: Cet ouvrage répond au vide abyssal qui règne au pays depuis son indépendance. Cet ouvrage juridico-historique vient de combler à un immense vide doctrinal, dans le monde des universités et de la basoche en Haïti, qui dure trop longtemps d’ailleurs. Il répond à un besoin pédagogique urgent, et juridique pour les professeurs et les professionnels du droit c’est-à-dire les magistrats, avocats, commerçants, hommes et femmes d’affaires, investisseurs internationaux, banquiers, futurs entrepreneurs, professeurs, étudiants. Il répond aussi à un besoin économique, car l’économie haïtienne pourrait renaitre à travers cette œuvre pionnière si le pays en fera bon usage d’elle. Ainsi, l’économie libérale dans laquelle nous vivons tous se base sur les rapports de marché et les affaires. Cela m’a pris près de 8 années de lecture et de recherche afin de pouvoir doter le pays son premier ouvrage de droit des affaires. Enfin, à vous dire vrai, il répond à une nécessité dans l’univers intellectuel haïtien et dans le monde des affaires en Haïti. Il est en fait une contribution de premier plan à l’enseignement supérieur en Haïti, voilà.




LN: Pouvez-Vous, de façon succincte, présenter les grandes lignes de ce manuel (différentes parties et chapitres)?

 

Me Ikenson Edumé: Préfacé par l’économiste/professeur, Dr Thomas Lalime et Postface par le professeur Patrice Michel Derenoncourt, lâchement assassiné récemment, à qui j’en profite pour un rendre un hommage public.

 

 

 Le tout premier Manuel et pratique du droit des affaires en Haïti présente presque tous les aspects de la modernisation du droit commercial haïtien et met en avant la nécessité du passage, en Haïti, du droit commercial au droit des affaires en prônant un nouveau droit de l’entreprise qui est le vecteur clé et le statut réel que doit avoir l’entrepreneur ou le commerçant haïtien.

 

  Un manuel c’est quoi ? C’est la présentation théorique d’un sujet, d’un thème. Dans la publication de mon livre, je ne m’adresse pas seulement au monde universitaire, je m’adresse aussi au quotidien à tous ceux et celles qui pratiquent les affaires, le livre s’adresse aux commerçants, aux hommes et femmes d’affaires, aux investisseurs internationaux, aux avocats/ juristes d’affaires, aux futurs entrepreneurs, aux professeurs et étudiants d’où la raison d’être du titre.

 

Cet ouvrage comprend trois (3) grandes parties, il est divisé en sept (7) chapitres et subdivisé en une quinzaine de sections, mise à part des sous-sections et autres. Il comprend 330 pages de format 155 par 240. Dans ce premier tome, on a abordé les thématiques suivantes : Commerçants, juridictions commerciales, sociétés commerciales, arbitrage commercial, concurrence, publicité commerciale, la spécialisation, la réforme du droit commercial et j’en passe. Franchement, ce travail mérite d’être lu.
 

 

Vous savez ce que m’a dit mon conseillé en éditorial qui est chez l’Harmattan : « Professeur, cet ouvrage devrait être exposé dans tous les ambassades et consulats d’Haïti à travers le monde, cela permettra à tous les opérateurs économiques qui s’intéressent au pays à s’en inspirer. C’est un ouvrage d’avenir. C’est une espèce de livre de référent pour les étudiants qui auront des thèses de doctorat à préparer à l’avenir. Car Haïti n’est pas condamnée à rester là où elle est, il y a un jour où la Perle reviendra, et les gens reviennent pour investir en particulier, la diaspora haïtienne »



LN: Cet ouvrage, comme l'indique le titre est à la fois un manuel, mais il traite également de la pratique du droit des affaires en Haïti. En tant que professeur et spécialiste de la question, comment voyez-vous la pratique du droit des affaires en Haïti?


 

 

 

Me Ikenson Edumé: Le secteur privé des affaires haïtien a besoin d’un cadre juridique cohérent et efficace, tant dans son contenu que dans son application, afin de favoriser les investissements et les échanges commerciaux, de limiter l’arbitrage (la corruption et les passe-droits).

 

 

La pratique du droit des affaires en Haïti se fait à la lumière de l’époque coloniale. Un vrai système de clan. Chacun se limite à sa part du gâteau. Un vrai latifundium. Il faut que cela change pour répéter l’éminent défunt Pape Jean Paul II lors de sa visite en Haïti. Le marché des affaires en Haïti n’est presque pas règlementé. Nos textes ne sont pas adaptés, notre système juridique et judiciaire ne facilite et ne participe pas à cette attraction que sont dotés certains pays de la région, nos juges ne sont pas au top, ainsi que nos avocats. C’est un secteur qui s'autorégularise au vu et su de tous. Je me rappelle que l’Administration Martelly/Lamothe avait mis en place le Plan stratégique pour le développement d’Haïti (PSDH) avec la vision de construire les voies et moyens pour arriver à l’émergence économique du pays à l’horizon 2030, mais …. C’est dans ce cadre que l’Unité « Doing Business » de la cellule de suivi et de coordination des politiques publiques de la Primature qui s’inscrit dans le pilier de la refondation économique nationale, mais ils ont exclu l’Université et certaines personnes qui s’y connaissent. Le système de clan a eu gain de cause malheureusement. Le monde des affaires en Haïti est en stade embryonnaire à mon sens. C’est un marché libre, l’État n’a aucun contrôle vraiment, la justice commerciale en Haïti est presque quasi inexistante, tout est presque géré par l’arbitrage, qui n’est pas mauvais, mais il faut aller voir toutefois les circonstances. 

 

 

LN: Quels sont les changements qui doivent être opérés dans la pratique de cette branche du droit pour une meilleure cohésion sociale ?

 

 

 

Me Ikenson Edumé: Face à ce vide juridique immense, la diaspora haïtienne n’arrive pas à s’investir dans le pays du fait de ce manquement. Elle s’est vue exiler et écarter pour une deuxième fois sur le plan d’investissement. Les entrepreneurs haïtiens ont grandement besoin de créer leur propre entreprise en Haïti, mais aucun accompagnement véritable de nos gouvernements successifs n’a été concrètement abouti à cause de l’instabilité politique qui s’abat sur le pays.   

En fin de compte beaucoup des chefs d’entreprises à l’international ont trouvé ce vide juridique aussi, qui les empêche à s’installer en Haïti.

 

Est-ce pourquoi qu’il faut moderniser la façon dont on pratique le commerce d’abord, et ensuite assurer le passage du droit commercial au droit des affaires, afin d’attirer les multinationaux pour un meilleur développement de ce secteur, spécialement sur le plan industriel. Pour ce faire, il faut redonner à la justice et à l’Université un rôle de premier plan. Vous imaginez qu’on enseigne le droit des affaires dans toutes les universités en Haïti avec des références étrangères. Aucun ouvrage haïtien de référence.  Il faut promouvoir la recherche dans le pays, je pense que le secteur privé des affaires haïtien peut aider dans ce sens. Une telle recherche devrait être subventionnée par l’État haïtien, malheureusement non.



LN: Récemment, à travers un article, vous avez fait le plaidoyer pour la mise en place d'une compagnie nationale d'assurance agricole. Cette thématique est également abordée dans le livre ?

 

 

 

Me Ikenson Edumé: Le dernier décret traitant les produits des assurances en Haïti date de 1984. Depuis, personne n’ose y toucher, juste pour ne pas déranger. Aucun développement économique réel d’un peuple actuellement ne peut se passer des assurances. La vie en soi repose sur le marché des assurances. Elle est la garante de tout l’investissement et du développement durable. Le 12 janvier 2010 en était l’exemple type.


De quel développement parlons-nous ? Il faut arrêter à cette comédie. Le monde de la finance et de l’économie est gouverné par deux secteurs : le secteur bancaire et le secteur des assurances. Or paradoxalement en Haïti, un seul secteur s’accapare les deux. On constate une prolifération des semi-compagnies d’assurance dans le pays, mais aucun de nos parlementaires ne voit la nécessité de questionner le pourquoi de ce besoin, ô combien important, pour le développement de l’économie nationale. C’est un secteur qui s'est presque autorégularisé. Tout le monde a peur de dire la vérité pendant que le pays meurt à petit feu, le peuple meurt de la faim et la perte des emplois s’enfuit à vives allures.



LN- Vous avez aussi proposé la création d'un office de contrôle des compagnies d'assurance et des mutualités. Comment analysez-vous le fonctionnement dudit secteur en Haïti à la lumière du droit des Affaires?
 

 

 

Me Ikenson Edumé: L’assurance est le garant de l’ordre économique. La finance repose sur le marché des assurances. Le secteur des assurances fait partie du monde des affaires. Le droit des assurances est un élément du droit des affaires dans une approche globalisatrice. Les affaires et les assurances se font paires. Presque toutes les compagnies d’assurances en Haïti pratiquent la coassurance ou la réassurance, elles ne sont pas véritablement autonomes. Les concepts banque d’assurance, mutuelle d’assurance, compagnie d’assurance doivent être revus et révisés dans une nouvelle législation. C’est un pays qui n’est pas effectivement administré et géré, pour paraphraser l’éminent professeur Monferrier Dorval.

 

Pour répondre à la question : Oui effectivement, je l’ai proposé, mais je sais, premièrement qu’ils ne vont pas le faire et deuxièmement, s’ils vont le faire, ils ne vont pas designer celui ou celle qui a la connaissance nécessaire pour son implémentation. En tant que professeur/chercheur je dois continuer à proposer. C’est mon rôle dans un pays déjà très spécial.



LN: Comment cet ouvrage va-t-il contribuer à la résolution des problèmes liés aux lacunes doctrinales de cette discipline importante pour le bon fonctionnement des entreprises?


 

 

Me Ikenson Edumé: Il faut laisser le temps au temps, et s’accorder le temps de la réflexion à toutes les couches de la société. On prend par exemple, un bâtiment à construire, on commence par la pose de la première pierre, puis les échafaudages. Je donne en retour d’une partie à ce que je dois à mon pays, qui fut un temps la première économie touristique de la Caraïbe.

 

Sa contribution serait sur plusieurs points, d’ailleurs son apparition seulement vaut la peine. Une recherche scientifique reste et demeure une recherche. Il est l’ouvrage de référence dans ce domaine malgré son imperfection, peut-être. Cet ouvrage ouvre la voie désormais à d’autres personnes qui s’intéressent au droit des affaires et d’aller au-delà de ce que j’ai pu faire.

 

In fine le Manuel et pratique du droit des affaires en Haïti va faciliter l’aboutissement des travaux de modernisation du droit des affaires en Haïti initié par le ministère du Commerce, en ce sens qu’il fait de nouvelles propositions concernant la justice commerciale et le recours en arbitrage selon les nouvelles procédures instituées par la nouvelle loi réformant le Code d’investissement, concernant la création et le fonctionnement des sociétés commerciales et professionnelles, la mise en rencart de la faille commerciale pour instituer un système de sauvegarde des entreprises plus attractif pour l’investissement et la règlementation du droit de la concurrence et de la protection des consommateurs.

 

 

Les avocats, les chefs d’entreprises, vont puiser dedans pour la rédaction de statuts des sociétés anonymes (SA), les sociétés en nom collectif… , c’est un guide aussi en matière de procédure commerciale et d’arbitrage, les magistrats sauront quoi faire et ils pourront rendre effective leur spécialité.



LN: Vous présentez le livre comme un ouvrage juridico-doctrinal unique. En tant que magistrat et professeur de droit des affaires, qu'est-ce qui, selon vous, doit être fait au niveau du système judiciaire pour une meilleure application des idées véhiculées dans ce manuel?

 

 

 

Me Ikenson Edumé: Il faut arriver avoir des juges spécialisés dans le système judiciaire. C’est un moyen pour moi de rendre possible le plaidoyer que j’ai fait depuis tantôt 10 ans. Cela va être matérialisé à travers cette œuvre pionnière. Le mieux pour le système c’est de permettre à chaque magistrat et avocat de procurer un exemplaire du livre. Il est effectivement le tout premier ouvrage juridico-doctrinal en Haïti. Je suis content de pouvoir aider mon pays à en avoir un. Il revient au CSPJ et au ministère de la Justice et de la Sécurité de comprendre cette nécessité. Le Gouvernement et le secteur privé des affaires peuvent faire autant, ainsi que la BRH et les universités pour les professeurs et étudiants.




LN: Cet ouvrage doit paraître le jeudi 27 octobre en France. À quand sa sortie et/ou sa disponibilité en Haïti?

 

 

 

Me Ikenson Edumé: Cet ouvrage apparait le 27 octobre à la maison « d’Édition Mutations contemporaines » en France, parce qu’il est édité à cet endroit, mais la vente signature officielle du livre se fera en décembre en Haïti, si Dieu voulant, espérant que la situation sociopolitique du pays s’améliore. Il y a déjà des demandes de ventes-signatures qui se feront dans d’autres coins de la planète comme le Canada, la France, les États-Unis d’Amérique, Londres, et l’Afrique.

 

Le livre sera disponible en Haïti bientôt dans toutes les librairies telles que La Pléiade, la Bibliothèque nationale et dans les bibliothèques de différentes facultés des universités haïtiennes. Plusieurs ventes-signatures auront lieu en Haïti après la vente signature officielle à Port-au-Prince. Je vais dans les juridictions des cours d’appel, dans les universités et j’en passe. Souhaitons quand même que la situation sociopolitique se calme un peu.

 

 

LN- Vous le présentez comme un manuel qui vaut la peine d'être lu. Avez-vous déjà sollicité et/ou reçu de subvention de la part de l’État ou autres institutions privées ou internationales afin de faciliter son accessibilité surtout aux étudiants, aux professeurs et aux magistrats?

 

 

 

Me Ikenson Edumé: Pour le moment non, mais je l’espère bien. Il y avait une démarche à ce titre qui a été initiée par l’ancien ministre du Commerce et de l’Industrie, le Dr Enold Joseph, auprès de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), mais j’attends encore.

Je souhaite que le peuple haïtien s’approprie de son livre, car je l’ai écrit pour lui. Bien évidemment au-delà de l’accompagnement financier de l’État.

  

Permettez-moi de remercier tous ceux et celles qui m’ont aidé et supporté de près ou de loin en France et en Haïti, à l’accouchement de cet ouvrage pionnier dédié déjà à mon pays. Merci au Dr Lalime pour la préface, aux personnalités du monde de l’Université et de la basoche qui ont accepté de témoigner publiquement sur la quatrième page couverture du livre. Au comité de soutien du Manuel à Paris (France), au comité des étudiants pour la promotion et la vulgarisation du manuel de droit des affaires en Haïti siégeant à la Faculté de droit de Port-au-Prince (CEPOVMDAH), à la présidente et fondatrice du Salon du livre à Paris, Anne D’Hervé et à la journaliste Venise Fiavre, l’attachée de presse du livre en Europe et à M. André Julien, MBM, pour la maison d’édition.

 

Un remerciement spécial à notre immortel, l’académicien et célèbre Écrivain Dany Laferrière pour ses mots d’encouragements adressés à mon endroit concernant l’apparition du manuel.

 

 

Merci déjà aux futurs lecteurs (trices) du livre.

 

Enfin un grand merci à Dieu.

 

 

Propos recueillis par :

 Noclès Débréus

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