Durant les dernières décennies, les séismes qui ont frappé Haïti ont mis en évidence la grande vulnérabilité des constructions existantes. Avec des centaines de milliers d’effondrements et de dommages sévères aux bâtiments, la question de la prévention de telles catastrophes à l’avenir devient cruciale. Pour les nouvelles constructions, le respect des principes de dimensionnement parasismique est essentiel. Cependant, la protection des structures existantes constitue un défi bien plus complexe. Ce défi relève d’un domaine spécifique du génie parasismique qui vise à renforcer la sécurité des bâtiments en appliquant des mesures constructives adaptées. Dans un pays comme Haïti, marqué par des séismes dévastateurs, la réhabilitation des infrastructures existantes est une nécessité pour réduire les pertes humaines, matérielles et économiques face aux futurs tremblements de terre.
Pour comprendre comment renforcer les bâtiments en Haïti, il est essentiel d’identifier leurs faiblesses structurelles. De nombreuses études de reconnaissance sismique ont mis en évidence plusieurs faiblesses majeures, notamment la mauvaise qualité des matériaux de construction, la faible section des poteaux et l’absence d’un bon système de contreventement. Par exemple, des tests réalisés sur le béton typique utilisé en Haïti ont révélé une résistance moyenne de 9 MPa (DesRoches et al., 2011), soit environ trois fois inférieure à celle du béton généralement recommandé de 25 MPa. Concernant les poteaux en béton armé, ils sont non seulement constitués d’un béton de faible résistance, mais présentent aussi des sections insuffisantes. Plusieurs études de reconnaissance rapportent l’utilisation fréquente de poteaux de section 15 cm × 15 cm ou 20 cm × 20 cm. Une étude d’essai statique-cyclique menée par Laguerre et al. (2025) à Rice University a démontré que ces sections offrent une résistance limitée et présentent un risque élevé de dommages sous l’effet des secousses sismiques.
Il existe plusieurs méthodes de renforcement, qui peuvent être classées selon qu’elles concernent un élément spécifique de la structure, un étage ou l’ensemble du bâtiment. Parmi les méthodes ciblant un élément en particulier, l’ajout de jackets en béton armé a été analysé par Laguerre et al. (2025) sur les poteaux en Haïti. Cette technique consiste à enrober les poteaux existants avec un béton de meilleure qualité et à ajouter des armatures longitudinales et transversales afin d’augmenter leur section et leur résistance (Figure 1). Dans cette étude menée à Rice University, il a été démontré que l’élargissement d’un poteau de 15 cm, combiné à l’ajout de quatre barres d’armature #6 et à l’utilisation d’un béton de 25 MPa dans le jacket (Figure 1), pouvait améliorer sa résistance de manière significative, atteignant jusqu'à 18 fois celle du poteau initial.
Figure 1- Agrandissement des poteaux par l’ajout de jacket en béton armé
La résistance horizontale d’un bâtiment est aussi un facteur clé dans sa réponse sismique, car les séismes génèrent, entre autres, des forces horizontales. L’une des principales faiblesses des constructions en Haïti est l’absence de bons systèmes de contreventement, destinés à résister aux forces horizontales. Les murs en maçonnerie et les poteaux, par exemple, pourraient contribuer à la résistance latérale. Cependant, en Haïti, les poteaux sont souvent de faible section, les poutres parfois absentes, et les murs en maçonnerie non armée se brisent facilement lors des secousses. Par conséquent, la résistance horizontale de ces structures est peu fiable, ce qui accentue leur vulnérabilité face aux charges latérales induites par les séismes. Il est donc essentiel d’intégrer des systèmes de contreventement adéquats afin d’améliorer à la fois leur résistance et leur rigidité latérales. Ces types d’intervention sont qualifiés de renforcement global, qui vise à améliorer la stabilité de l’ensemble de la structure plutôt que de renforcer uniquement des éléments spécifiques.
En Haïti, deux des techniques de renforcement global les plus adaptées sont l’ajout de voiles en béton armé et l’installation de contreventements en acier (Figure 2). Ces éléments structurels sont conçus pour résister aux charges latérales, limitant ainsi les déformations horizontales et améliorant la stabilité du bâtiment. Les travaux de Laguerre et al. (2025) ont démontré leur efficacité, permettant aux bâtiments de maintenir les déformations en dessous du seuil de “Life Safety”. Ce seuil de performance structurelle correspond à un état où l’édifice peut présenter des dommages notables, mais reste capable de protéger la vie de ses occupants sans risque majeur d’effondrement.
Figure 2- Ajout de voile en béton armé et contreventement en acier
L’efficacité des mesures de renforcement a également été évaluée à l’aide de courbes de fragilité développées à partir des résultats de modèles numériques de demande sismique et de capacité des bâtiments. Ces courbes comparent les performances des structures non renforcées et des structures renforcées, mettant en évidence que les mesures de renforcement peuvent réduire de manière significative la probabilité d’effondrement des structures résidentielles et non résidentielles. L’ajout de jackets en béton armé permet de réduire modérément la probabilité d’effondrement des bâtiments. En revanche, lorsqu’ils sont combinés à des renforcements globaux, tels que l’ajout de voiles en béton armé et de contreventements en acier, cette réduction devient plus significative, renforçant considérablement la résilience des structures face aux séismes.
Renforcer les bâtiments ne se limite pas à une question d’ingénierie ; c’est aussi un enjeu humain et économique majeur. En Haïti, le stress post-traumatique est particulièrement élevé, notamment en raison des séismes récurrents. Améliorer la sécurité des structures contribue à atténuer cette anxiété en renforçant leur protection. Sur le plan humain, ces interventions réduisent les risques d’effondrement, préservant ainsi des vies. D’un point de vue économique, les études de Laguerre (2024) ont mis en évidence des bénéfices significatifs à travers une analyse de coût et de bénéfice. Dans cette approche, le bénéfice est calculé en comparant les pertes économiques lors d’un séisme des bâtiments non renforcés à celles des bâtiments renforcés. Les résultats montrent que ces bénéfices pourraient atteindre jusqu’à 50 dollars américains par mètre carré de construction dans certaines régions.
En somme, face à la menace constante des séismes en Haïti, le renforcement des bâtiments est une priorité absolue. Les études menées, notamment par Laguerre et al. (2025), démontrent que des solutions adaptées existent et qu’elles peuvent considérablement réduire la vulnérabilité des constructions. L'élargissement des poteaux en béton armé par l’ajout de jackets, ainsi que l’adoption de techniques de renforcement global, telles que les voiles en béton armé et les contreventements en acier, constituent des stratégies efficaces pour limiter les risques de dommages et d’effondrement. Toutefois, pour que ces solutions aient un impact significatif à grande échelle, elles doivent être intégrées dans une politique de réhabilitation des infrastructures, impliquant les ingénieurs, les décideurs politiques et les acteurs du secteur du bâtiment en Haïti.
Marc-Ansy Laguerre
PhD in Earthquake Risk Mitigation
Postdoctoral Research Associate at Rice University
Références
[1] M.-A. Laguerre, “Seismic Retrofitting of Low-Rise Reinforced Concrete (RC) Structures: a Multi-Faceted Evaluation,” 2024. PhD Dissertation, Rice University.
[2] M.-A. Laguerre, M. Salehi, and R. DesRoches, “A numerical study on the seismic retrofit of Haitian reinforced concrete building frames,” Earthquake Spectra, p. 87552930241311975, Jan. 2025, doi: 10.1177/87552930241311975.
[3] M.-A. Laguerre, M. Salehi, and R. Desroches, “Empirical Fragility Analysis of Haitian Reinforced Concrete and Masonry Buildings,” Buildings, vol. 14, no. 3, Art. no. 3, Mar. 2024, doi: 10.3390/buildings14030792.
[4] M.-A. Laguerre, M. Salehi, and R. Desroches, “Seismic retrofit of low-rise reinforced concrete buildings typical to Haiti,” in 18th World Conference of Earthquake Engineering, 2024.
[5] R. Desroches, K. E. Kurtis, and J. J. Gresham, “Breaking the reconstruction logjam,” 2011.
[6] R. Desroches, M. Comerio, M. Eberhard, W. Mooney, and G. J. Rix, “Overview of the 2010 Haiti Earthquake: Special Issue on the 2010 Haiti Earthquake,” Earthquake Spectra, vol. 27, 2011.