Haïti : 4,5 millions d'Haïtiens menacés par l'insécurité alimentaire aiguë

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Selon les résultats de la mise à jour de la situation projetée de l’analyse IPC de septembre 2021, pour la période de mars à juin 2022, 1,32 million de personnes (13 % de la population analysée) sont classées en situation d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) et 3,18 millions de personnes (32 %) en situation de Crise (Phase 3 de l’IPC), soit 4,5 million de personnes (45 %) ayant besoin d’une aide urgente.

 Par ailleurs, quatre zones se trouvent classifiées en Urgence (Phase 4 de l’IPC), notamment la partie côtière du département du sud (Sud HT08), le bas Nord-Ouest (Nord-Ouest HT01) et le haut plateau (Centre HT03) ainsi que les quartiers pauvres et très pauvres de Cité-Soleil. Le reste du pays continue de présenter une situation globale d’insécurité alimentaire de Crise (Phase 3 de l’IPC).

 Parmi les zones classifiées en Crise (Phase 3 de l’IPC), l’Artibonite HT03 et HT04, Grand ’Anse HT08, les zones de montagne du Sud (Sud HT07), le Sud-Est HT07, les quartiers pauvres de Carrefour, le bas plateau central, le Nord (HT 02 et 03), la Gonâve, la plaine bananière de l’Ouest (HT05) et l’Ouest HT07, affichent des taux de population en Urgence (Phase 4 de l’IPC) de l’ordre de 15%. D’autres zones présentent également un pourcentage élevé de personnes en insécurité alimentaire élevée avec plus de 50% de population en (Crise) Phase 3 de l’IPC ou plus : il s’agit plus particulièrement de Grand ’Anse HT08, Artibonite HT03, le Nord et la Gonâve.

Une analyse de mise à jour de la projection a été menée en Haïti en février 2022 pour actualiser la projection d’insécurité alimentaire aiguë de l’IPC initialement publiée en septembre 2021, sur la base des nouvelles données disponibles, ainsi que de la nécessité de suivre la situation d’insécurité alimentaire aiguë dans les zones touchées par le tremblement de terre d’août 2021. Les hypothèses définies pour la période projetée (mars-juin 2022) lors de l’analyse de septembre 2021 ont été vérifiées au cours de l’atelier de février 2022 et sont valides, à l’exception des zones affectées par le séisme. Comme attendu, une légère dégradation de la situation de sécurité alimentaire est maintenue pour les zones non affectées par le séisme tandis qu’une légère amélioration est observée au niveau des départements ayant été touchés. À l’exception de la zone Sud-HT08 dont la classification a été actualisée d’une Phase 3 de l’IPC (Crise) à une Phase 4 de l’IPC (Urgence), la mise à jour confirme une légère amélioration ou une situation stable au niveau de toutes les autres zones affectées par le dernier séisme majeur et/ou les inondations occasionnées par le passage du cyclone Grâce. L’assistance humanitaire est un élément clé qui a permis d’observer cette dite amélioration. La zone Sud-HT08 actualisée en Phase 4 de l’IPC (Urgence) a reçu très peu d’assistance (16 %) contrairement aux autres zones. Par ailleurs, selon les résultats de l’enquête de suivi EFSA Grand Sud (janvier 2022), près de 29 % de la population de cette zone met en place des stratégies de moyens d’existence d’Urgence (indicatif d’une Phase 4 de l’IPC) tandis que 18 % affiche une Consommation Alimentaire Pauvre et 23 % des ménages déclarent connaître une expérience de la faim sévère.

Tel que prévu par l’analyse courante, la faible performance de la campagne agricole de printemps (CNSA, août 2021) pour plusieurs zones de moyen d’existence et les prévisions pluviométriques, moyennes à inférieures à la moyenne, ont impacté négativement la performance de la campagne d’hiver entrainant une période de soudure précoce et assez sévère. Cette situation implique une amplification des déficits alimentaires des ménages et l’accélération de l’érosion de leurs moyens d’existence, notamment au niveau de la zone Sud-HT08. Cependant, cela n’affecte pas la disponibilité alimentaire car la faiblesse de l’offre des produits locaux est compensée par les produits importés. En revanche, l’accès à ces produits devient plus difficile à cause de la hausse des prix qui apparaissent trop élevés pour les ménages les plus vulnérables. Par ailleurs, les données de l’enquête de suivi de janvier 2022 ont montré que les ménages des zones ayant reçu une assistance alimentaire adéquate ont réduit leurs déficits alimentaires par rapport à la période de septembre 2021 à février 2022 mais accélèrent l’érosion de leurs moyens d’existence.

Pour la période de mars à juin 2022, l’analyse des données indique une augmentation de l’inflation découlant entre autres de la dépréciation de la gourde par rapport au dollar et de l’ajustement à la hausse du prix du carburant sur le marché national. La forte inflation continue de réduire le pouvoir d’achat des ménages qui sont obligés de recourir à des stratégies de moyens d’existence non soutenables. A cela s’ajoute, les contraintes d’approvisionnement liées au blocage de l’axe routier traversant Martissant et au pont sur la rivière de Jérémie (devenu hors service après le séisme du 14 août 2021) qui renforcent les difficultés d’accès pour le Grand Sud. Enfin, le niveau de vulnérabilité structurelle du pays explique également que de nombreux ménages sont extrêmement sensibles aux chocs (aléas climatiques, hausse des prix, pertes de récoltes…) et sont particulièrement vulnérables à l’insécurité alimentaire aiguë.

Selon l’Analyse IPC Chronique de 2015, trois millions de personnes (43 % de la population analysée) se trouvent en Insécurité Alimentaire Chronique Modérée (Niveau 3) ou en Insécurité Alimentaire Chronique sévère (Niveau 4). Ces facteurs amenuisent la capacité des ménages, notamment des plus pauvres, à accéder à la nourriture et les obligent à recourir à des stratégies d’adaptation négatives provoquant l’érosion de leurs moyens d’existence.

 

Les zones de préoccupations (mars a juin 2022)

Zone de priorité 1

Il s’agit des zones classées en insécurité alimentaire d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) à savoir : Sud HT08, le bas Nord-Ouest (Nord-Ouest HT01), Haut plateau, Cité Soleil ainsi que des communes classées en priorité 2 lors de l’analyse de septembre 2021 (prévalence de l’insécurité alimentaire supérieure à la moyenne nationale, soit 45 %) mais affectées sévèrement par les inondations des 30 et 31 janvier 2022.

  • Sud HT08 (Côte Sud) – Cette zone, classée en phase de Crise (Phase 3 de l’IPC) en septembre dernier est passée en Phase 4 (Urgence) de l’IPC en raison, notamment, du faible niveau d’assistance reçue se traduisant au niveau ménage par un déficit de consommation et la mise en place de stratégies de moyens d’existence d’Urgence pour près de la moitié des ménages de la zone ;
  • Le bas Nord-Ouest (Nord-Ouest HT01) - Bien que classée en phase d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) en septembre dernier, cette zone a, sur les trois derniers mois, reçu peu d’assistance.
  • Haut plateau (Centre HT03) – Bien que classée en phase d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) en septembre dernier, aucune assistance humanitaire n’y a été enregistrée durant les trois derniers mois de l’année 2021 ;
  • Cité Soleil – Si, sur les trois derniers mois, près de 28% la population de cette zone a reçu une assistance humanitaire, le maintien de cette assistance demeure nécessaire pour éviter que la situation ne s’empire.
  • Communes normalement classées en priorité 2 (prévalence supérieure à la moyenne nationale) mais sont évaluées comme les plus affectées par les inondations des 30 et 31 janvier 2022:
  •  Nord -Limonade, Plaine du Nord, Quartier Morin, Bahon
  •  Nord-Est - Terrier Rouge, Ferrier, Fort Liberté
  •  Nippes Ht07 - Baradères, Grand Boucan (Zone enclavée n’ayant pas reçu d’assistance)

 

Zone de priorité 2

Il s’agit des zones classées en phase de Crise (Phase 3 de l’IPC) montrant les plus forts taux de personnes en insécurité alimentaire (prévalence d’insécurité alimentaire supérieure à la moyenne nationale)

• Ouest HT01 : Anse à Galet et Pointe à Raquette

• Artibonite HT03 : Ennery, Gros-Morne, Marmelade, Saint-Michel

• Grand-Anse, particulièrement les zones ayant été plus fortement impactées par le séisme

 • Nippes •

 Nord HT03 et HT02

• Nord-Est 02 • Sud HT07 et Cayes

 • Sud-Est HT07 Belle-Anse, Grand-Gosier, Thiotte

• Anse à Veau - Zone normalement classée en 3ème priorité (prévalence inférieure à la normale) mais assez sévèrement affectée par les inondations des 30 et 31 janvier 2022.

Les populations de ces zones parviennent à peine à couvrir le minimum de leurs besoins alimentaires, et ce, en épuisant les avoirs relatifs aux moyens d’existence entraînant des déficits de consommation alimentaire et des taux de malnutrition aiguë supérieurs à la normale. Si les facteurs déterminants ne sont pas adéquatement traités, durant la période de validité de l’analyse, la situation pourrait se dégrader davantage.

 

Autres Zone de Préoccupation

 Il s’agit des communes et quartiers les plus sévèrement affectés par la violence des groupes armés notamment : Martissant, Croix des Bouquet, Gantier, Fonds Verettes.

 

Focus sur les zones affectées par le séisme

Dans les zones affectées par le séisme, pour la période de mars à juin 2022, environ 923.000 personnes (42 % des 2,2 millions de personnes analysées) sont susceptibles d’être en insécurité alimentaire aiguë élevée (Phase 3 ou 4 de l’IPC), dont 262.000 personnes environ (12 %) en situation d’Urgence (Phase 4 de l’IPC). Sur cette période, l’insécurité persistante sur la route nationale 2, principal axe d’accès au grand Sud d’Haïti, et les possibles troubles sociaux et politiques pourraient rendre encore plus difficile l’acheminement des denrées dans les zones. La hausse des coûts de transport répercutée sur les prix à la consommation devrait se poursuivre de façon significative. Cette période de mars à juin est aussi et surtout la période dite de soudure agricole, où les stocks de la précédente récolte vivrière (campagne d’automne-hiver) arriveront à épuisement. La hausse annuelle et cyclique des prix de ces productions sera d’autant plus accentuée cette année que la campagne n’est pas attendue comme satisfaisante. Les ménages de producteurs agricoles les plus vulnérables, affectés par le séisme, n’ont été que partiellement en mesure de réaliser leurs plantations.

Comme cela a été présenté dans la section sur l’aide alimentaire humanitaire (AAH), les ménages en Phase 4 de l’IPC (Urgence) devraient continuer de recevoir un soutien alimentaire (en nature ou argent) dans des proportions importantes dans l’essentielle des zones de moyens d’existence de la Grand ’Anse, des Nippes et du Sud pour plus de 25 % des populations de ces zones ; ce qui compensera en partie l’impact du coût élevé des produits alimentaires durant cette période.

Cette aide humanitaire se poursuivra en grande majorité par de l’assistance alimentaire d’urgence, centrée sur les populations en Phase 4 de l’IPC (Urgence). Durant la période précédente, notamment pendant la campagne d’automne-hiver, peu d’aide humanitaire a soutenu les producteurs à part la très faible distribution de semis et de cultures vivrières dans le Grand Sud. Pour les populations en Phase 3 de l’IPC (Crise) en particulier pour les plus vulnérables qui n’ont pas ou peu produit durant la campagne précédente, la période de soudure devrait avoir un impact négatif important sur leur accès à l’alimentation et plus globalement sur leurs moyens d’existence.

 

Assistance alimentaire

Pour l’année 2021, environ 1,6 million de personnes ont reçu de l’assistance alimentaire, dont presque un tiers de cette assistance concentrée dans les trois départements du Grand Sud, les plus touchés par le séisme du 14 août 2021 (Grand-anse, Sud et Nippes). La planification stratégique sectorielle prévoit une réponse de même envergure pour l’année 2022.

La couverture de cette assistance alimentaire réalisée durant les trois derniers mois dépasse le seuil les 25 % de la population totale dans huit zones d’analyses du Grand Sud à l’exception de la zone Sud-HT08 qui a reçu un taux de couverture de 16%. Au niveau du département du Sud, les zones HT01, HT07 et la ville des Cayes, ont respectivement un taux de couverture en assistance alimentaire de 51 %, 63 % et 62 %.

Pour le département des Nippes, les zones HT01 et HT07/HT08 ont reçu une assistance alimentaire couvrant respectivement 39 % et 53 % des populations. Les zones de moyens d’existence HT07, HT08 de la Grand’Anse et la ville de Jérémie ont été couvertes respectivement à 51 %, 63 % et 69 %.

Outre ces trois départements de Grand-anse, Sud et Nippes, du Grand Sud, l’assistance alimentaire dépasse le seuil des 25 % de couverture dans trois zones d’analyse : il s’agit de HT02 dans le Nord-Ouest et des zones métropolitaines de Cité Soleil et de Tabarre (quartiers pauvres et très pauvres), avec respectivement 27 %, 28 % et 35 % de couverture. Il est toutefois important de mentionner que pour ces zones, le possible effet de cette assistance dans l’atténuation de la détérioration de la situation de sécurité alimentaire des ménages, n’a pas été prise en considération, ces informations ayant été communiquées à l’issue de l’analyse. Dans les onze autres zones d’analyse, l’assistance alimentaire reçue par les populations a couvert en moyenne au moins 50 % de leurs besoins caloriques.

Par ailleurs, six zones d’analyses ne présentent pas d’assistance alimentaire, notamment la zone métropolitaine de Delmas (quartiers pauvres et très pauvres), la zone HT04 dans l’Artibonite, les zones HT05 et HT06 dans l’Ouest, la zone HT03-Haut Plateau dans le Centre. Cette dernière zone mérite une attention spéciale étant classifiée en situation d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) avant et après la mise à jour. La zone HT08 dans le Sud, qui n’atteint pas le seuil du 25 % d’assistance alimentaire et bascule en situation d’Urgence (Phase 4 de l’IPC) après la mise à jour, nécessite l’attention des acteurs humanitaires.

Source: IPC du Cadre intégré de la classification de la Sécurité alimentaire

NB: cette étude est conduite sous le parrainage du PAM, ACF, CNSA, CRS, MARNDR, FAO, MEF, Concern Worldwide, Food Security Cluster (FCS)

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