Mourir comme des mouches

Les images du drame qui s’est déroulé, dans la nuit du 13 au 14 décembre 2021 au Cap-Haïtien, sont insupportables et témoignent de toute la faiblesse des dispositifs (s’il y en a) devant assurer la sécurité de la population. Le plus inquiétant reste le fait que la sécurité caracole en tête de liste de toutes les priorités du pays. Sans distinction de position, tout le monde aborde la question haïtienne sur le plan de la sécurité.

 

 Les déclarations de foi des politiques, les cryptos engagements des partenaires, les interventions « expertes » des créateurs de contenus sur les plateformes numériques, les manœuvres stériles de la Police nationale d’Haïti, les pics de colère de la population, tout, absolument tout concourt à l’objectif, ou au souhait, de créer un climat de sécurité en Haïti. C’est dans ce désordre et cette absence de sens que les Haïtiens se sont emparés de la question sécuritaire. C’est aussi dans ce contexte que plusieurs dizaines de personnes viennent de se faire assassiner au Cap-Haitien, au beau milieu de la nuit.

 

C’est ahurissant d’admettre que des centaines de compatriotes choisissent spontanément de vider, de désosser un camion-citerne de produits hautement flammables immobilisé suite à un accident. Le pire est que personne n’avait lu ou entendu quelque part que l’explosion de dizaines de milliers de litres de gazoline et de diesel pouvait tuer et faire énormément de dégâts.

 

Et voilà qu’un camion-citerne vient de faire, sensiblement autant, voire plus de morts, que le Massacre de La Saline en 2018.

 

Ces carnages sont possibles et banalisés parce que le pays n’a jamais su cerner la nature exacte des menaces qui affectent de manière directe la vie des populations. Les déploiements de policiers à chaque intersection de Petion-Ville ne suffisent pas. Nous avons tous déjà rencontré un policier en service scotché à l’écran de son téléphone. Il  y en a un qui se rase, presque tous les matins, en pleine rue, entouré de ses collègues qui déversent leur peur et leur frustration sur les automobilistes les plus vulnérables et les conducteurs de taxis-motos.

 

La notion de sécurité publique est complexe et les États ont compris, depuis plusieurs décennies, qu’il faut absolument faire le choix des réponses adaptées aux menaces. C’est un pays, et il est malheureux de l’admettre, qui ne sait pas inspecter les véhicules qui roulent sur ses routes, qui n’a plus de trottoirs, qui accepte que les gens mangent sur des montagnes d’immondices,  qui ne sait pas encore comment appliquer un code de construction et qui ne peut pas faire la différence entre un criminel en puissance, un entrepreneur et notable.

 

À ce rythme, la paresse, la cleptomanie et l’enfumage finiront par avoir raison de tout un peuple qui n’espère que d’être protégé par des dispositifs responsables et perspicaces de sécurité publique. Quitte à obliger les populations à adopter, sous peine de sanctions, les bons comportements.

 

 

Les Haïtiens se mettent en danger parce qu’ils ont appris de leurs leaders que derrière chaque accident, derrière chaque catastrophe se cache une opportunité. C’est ce qui arrive quand un peuple érige en héros et en sauveurs des détrousseurs de cadavres. Il est temps de redéfinir le concept de la sécurité en Haïti ainsi que celui de l’intelligence.

 

Aucun tweet ne peut remplacer une vie, même celle du jeune dévoyé qui s’est réveillé en pleine nuit pour aller dérober quelques gallons de gazoline.

 

Jean-Euphèle Milcé

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES