Le carré de la cathédrale

Il est très pénible de circuler dans les rues de Port-au-Prince à partir de 10 h. Et même plus tôt. Des coups de coude enlèvent aux moins avisés des grammes de leur énergie. Dans cumul excessif, le commerce informel, dont les étalages de planche mangent l’espace avec une férocité anthropophage, force les plus optimistes à se dire : rien ne peut être fait de ça ! C’est plutôt par une promenade matinale, vers les 5 h, bravant toute insécurité, mais avec la détermination de voir de plus près la capitale et ses quartiers, qu’on se rend compte soudain qu’on peut moderniser, mais vraiment, l’espace urbain. C’est possible de lui redonner sinon son authenticité d’antan, du moins des articulations plus régulées, propres et nettement plus méthodiques.

Il est très pénible de circuler dans les rues de Port-au-Prince à partir de 10 h. Et même plus tôt. Des coups de coude enlèvent aux moins avisés des grammes de leur énergie. Dans cumul excessif, le commerce informel, dont les étalages de planche mangent l’espace avec une férocité anthropophage, force les plus optimistes à se dire : rien ne peut être fait de ça !

C’est plutôt par une promenade matinale, vers les 5 h, bravant toute insécurité, mais avec la détermination de voir de plus près la capitale et ses quartiers, qu’on se rend compte soudain qu’on peut moderniser, mais vraiment, l’espace urbain. C’est possible de lui redonner sinon son authenticité d’antan, du moins des articulations plus régulées, propres et nettement plus méthodiques.

Bien avant le séisme de 2010 qui est venu donner le coup de grâce aux immeubles, aux galeries et magasins du bas de la ville, le constat a été fait par plusieurs que le centre commercial de la capitale commençait par présenter aussi bien l’ultime ruine que le plus grand tohu-bohu. La cohabitation devenait difficile entre les étalagistes nouvellement arrivés et les vieux propriétaires de comptoirs de toile ou de parfum qui ne comprenaient pas que la lutte des classes ce n’est pas simplement la rhétorique de Marx dans Le Capital. Déjà, à partir du début des années soixante le pouvoir politique et le commerce du Bord-de-Mer ne faisaient pas bon ménage. Du contrôle par le palais national des prix de produits de première nécessité à l’incontrôlable population amenée dans de gros camions pour les fêtes commémoratives de « l’An I de la Révolution », l’espace de la Grand-Rue, par exemple, devenait un ensemble social hétéroclite.

Pour arriver aux années 2000 et comprendre la mécanique de la capitale défigurée, il faut piocher ici et là. Du laxisme des administrations étatiques aux incompétences des gestionnaires du patrimoine urbain, de l’exode paysan provoqué par ce qu’il faut appeler « la guerre agricole » aux abandons de ladite élite des comptoirs pour des lieux plus sereins (Delmas, Tabarre, Pétion-Ville…), Port-au-Prince était déjà devenu ce lieu tentaculaire de la transaction immobilière informelle. Ces marchés érigés depuis Antoine Simon n’ayant plus de places à louer, le commerce débordait ses cadres légaux et envahissait les galeries, puis les trottoirs, puis le macadam des véhicules. S’il y avait un « dernier Mohican » d’une classe bousculée à pointer le nez au-dehors pour protester contre l’impropre et l’arrogance, les nouveaux affairistes lui rentraient vite son outrecuidance.

Seize ans plus tard, la cassure de la capitale étale aux yeux de tous ses immeubles éventrés, ses pans de murs noircis, ses barbelés de camps de concentration et ses avenues surchargées d’immondices avec une telle théâtrale autorité que le Marché-en-Fer restauré ressemble à une belle dame s’extasiant, les yeux fermés, au milieu d’un vaste décor de détritus. Six ans plus tard après le tremblement de terre, la capitale ne porte pas les urbanistes à réfléchir sur les nouvelles articulations de son espace. Les grandes transactions et les décisions étatiques ne sont pas connues. On est donc acculés à des constats de destructions, de projets de construction dont l’opacité est traduite par ces illustres tôles rouges brusquement apparues sur le marché après le séisme.

Par contre, il y a des espaces qui méritent d’être imaginés autrement. Au petit matin, vers 5 h, on peut découvrir, par exemple, l’ensemble constitué entre la Rue Pavée, la Rue Dr Aubry, la Rue Bonne foi, la Rue Courte et la Rue des Fronts-Forts. Dans ce grand carré, le but idéal serait non seulement la reconstruction d’immeubles historiques et des magasins séculaires, mais surtout de tenir compte du marché informel à réguler, de la salubrité à reconquérir et de l’entretien journalier de toute la zone aussi bien des rues et galeries que des égouts dont on n’a aucune idée de leur actuel état.

Pierre Clitandre

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