Pourquoi les Haïtiens partent-ils ?

On n’a pas les chiffres. Mais la frénésie constatée de façon quotidienne dans ce qui reste de cybercafé à la capitale ainsi que les agences de voyages traduit un phénomène d’une ampleur inédite. Si, sous la dictature, les classes paysannes s’aventuraient sur les mers pour atteindre des « cieux plus cléments », durant cette période de toutes les transitions politiques et de mille forfaitures sociales, les classes moyennes s’arrachent les formulaires d’application de demande de visas en ligne.

 

 

L’itinéraire n’est plus simplement les côtes de la Floride qui, durant les années quatre-vingt, étaient une vaste affaire de sous et de pression politique. Il est aujourd’hui multiple. Turks and Caicos, ces ilots rocheux où des réfugiés haïtiens avaient débarqué, sont laissés loin derrière ! À présent, le défi est de traverser des forêts sombres et d’affronter d’autres bêtes plus effrayantes que les requins. Depuis le séisme de 2010 et les « couloirs humanitaires » créés pour venir en aide aux populations déplacées, « L’Eldorado » n’est plus ce qu’il était. On prend des chemins détournés à l’intérieur des terres, on découvre d’autres villes au Brésil, au Chili, au Mexique et on tentera d’arriver en Californie.

 

 

On n’a pas les chiffres des demandes quotidiennes de visas dans les ambassades et consulats ni le pactole que cela rapporte. À imaginer seulement le processus, on se rend compte que la classe moyenne démunie, malgré le soutien de proches à l’extérieur, racle le fond de sa « bwatsekrè» pour tenter d’avoir un visa alors que les plus dépourvus vendent quelques biens pour un « permis de séjour » dans une ville latino-américaine.

 

Si, les causes du problème boat-people se situaient dans la désorganisation de l’agriculture nationale et la paupérisation accélérée du paysannat, celles des déplacés, post-séisme, sont dans la dégradation urbaine, l’éclatement social, l’habitat désarticulé, le chômage chronique, les disparités économiques et les instabilités politiques qui basculent les institutions dans un cycle infernal depuis plus de trente ans.

 

Nous n’avons aucune nostalgie de la… stabilité dictatoriale. Nous n’avons, non plus, aucun éloge à inscrire dans les acquis desdites libertés individuelles quand le peuple pour lequel des hommes ont perdu leur vie s’engage, par manque d’un gobelet d’eau et d’un carré de biscuit, dans l’exode le plus sauvage de son histoire.

 

Et puis, ayons le courage de dire que nous sommes devenus des fonctionnaires d’un « Babel démocratique » où le peuple en manque d’eau et de biscuit semble, de plus en plus, avoir un grand mépris pour le droit à la parole.

 

 

Le drame est qu’on ne voit pas venir celui qui commencera, au moins, à mettre un frein à tant de marasme. Terre de toutes les expérimentations, la voilà qui rejette ses fils au moment précis où des fondations humanitaires ne sont pas transparentes sur ce qui a été fait des « fonds » reçus pour la reconstruire. Pourquoi les Haïtiens partent-ils ? Ils répondent presque tous : pour ne plus revenir.

 

La Rédaction

 

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