Le gouffre

Le pays a glissé dangereusement dans une forme de « guerre civile » de basse intensité pour reprendre les mots du président dominicain devant l’Organisation des États américains. La montée fulgurante des prix de l’essence a ravivé des braises qu’aucun gouvernement de ces dix dernières années n’a jamais su éteindre. L’actuelle équipe au pouvoir n’avait pas beaucoup de choix par rapport à une décision qui se faisait attendre depuis longtemps. L’État ne pouvant plus poursuivre ses subventions de plus de 50 milliards de gourdes. Mais se demande-t-on dans un climat où le produit est quasi introuvable, où l’inflation a pratiquement pulvérisé le panier de la ménagère, était-ce vraiment le moment de prendre une telle décision, qualifiée par un observateur de « crétinisme criminel ». ?

Dans un message annoncé depuis 7 heures du soir, le dimanche 11 septembre, le Premier ministre est apparu tard dans la nuit, comme venu d’une autre planète, pour annoncer des mesures « sacrificielles » à une population déjà lessivée par la quête d’un produit rarissime. D’autant qu’une propagande non justifiée laissait croire que la rareté avait été organisée à dessein pour rendre la décision d’augmentation plus potable. Appliquer des mesures chirurgicales en politique n’est soutenable que si un gouvernement détient une légitimité populaire, ou s’il s’agit d’une dictature puissante.

 

Or l’actuel gouvernement n’a aucun de ces atouts, même si de temps en temps, il adopte des « mesurettes » pour asseoir l’autorité d’un État qui n’a jamais, dans notre histoire, joui de la confiance du peuple. La méfiance vis-à-vis des dirigeants s’étant même renforcée au fil des temps.

 

L’argument qui consiste à économiser des milliards de gourdes pour rendre le produit disponible ne pouvait s’expliquer dans une allocution nocturne, mais exigeait une campagne de sensibilisation couplée à une ouverture politique sans précédent. Bref, un sacrifice personnel au plus haut niveau de l’État.

 

Alors que nous sortions d’une année perdue sur le plan politique, que moult leaders piaffant d’impatience fait piaffer d’impatience moult leaders qui tambourinent déjà à la porte de ce qui reste du palais de la présidence, certaines mesures politiques ne font qu’isoler un pouvoir assis sur un mince filet de légitimité. La malice populaire ne croit pas aux bonnes intentions d’économie du gouvernement, déjà échaudées par le scandale Petrocaribe, les Haïtiens sont devenus de plus en plus méfiants.

 

Dimanche 18 septembre, le message du Premier ministre a paru plus clair, plus empathique, moins lunaire. Toutefois, la mobilisation ne faiblit pas, d’autant que pillages et incendies semblent manipulés par des mains expertes en agitation et destructions massives.

 

Il n’y a pas que la brume des pneus en flamme qui obscurcissent l’horizon de nos villes : un discours haineux s’invite, brouillant le message porté par le mouvement populaire.

 

Roody Edmé

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