Haïti : entre bien compter et mal calculer !

Dans toute la sociologie et l’histoire d’Haïti, il existe des sagesses populaires qui gardent au fil des générations toute la saveur instructive et les secrets intemporels pour argumenter ou illustrer un ensemble de faits parmi les plus marquants. Ces adages ne connaissent pas de frontières et traversent tous les contours de la vie quotidienne, sur le plan personnel, communautaire, institutionnel, collectif, économique, artistique, culturel, diplomatique, politique ou géopolitique. 

 

Dans « Bien compter et mal calculer », c’est une autre forme de traduction  l’adage « Byen pre pa lakay », qui nous interpelle, autour de la réalité imprévisible, dont certaines conclusions irréversibles ou irréparables nous échappent quelquefois. Entre ceux et celles qui comptent sur les violences, les crimes, la corruption et d’autres pratiques déshumanisantes et dégradantes du quotidien de la majorité, tôt ou tard, ils finissent par recevoir l’addition.  

 

Dans « Byen konte, mal kalkile », ce sont entre autres, deux types d’opérations, deux exercices à la fois différents et complémentaires que nous sommes appelés à réaliser. Le premier nous invite à compter. Le second qui parait parfois beaucoup plus complexe qu’on le pense, en opérant sur des nombres, nous impose de calculer. 

 

D’un point de vue historique d’abord, entre la politique et la géopolitique, à travers le nouvel ordre mondial imposé par le général par Jean-Jacques Dessalines le 1er janvier 1804, si ce dernier avait bien compté sur l’engagement et la bravoure  de ses pairs pour aboutir à la victoire du 18 novembre 1803, il avait malheureusement mal calculé le degré d’hypocrisie, de lâcheté, de trahison et de l’appétit du pouvoir dont souffraient ses plus proches collaborateurs qui n’allaient pas dépasser les limites de 34 mois et 17 jours, pour l’assassiner.

 

D’un point de vue géopolitique, lorsque les pères fondateurs de la Patrie haïtienne, Dessalines Christophe, Pétion et les autres, ont choisi de camper le leadership d’Haïti à l’échelle planétaire pour l’indépendance des peuples, contre l’esclavage et le racisme en 1804, pour que d’autres combattants pour l’indépendance, comme Miranda et surtout Simon Bolivar, puissent compter sur l’exemple et exception d’Haïti, ils n’avaient jamais fait le calcul que le racisme international allait prendre le dessus sur le devoir de reconnaissance de beaucoup de ces peuples et dirigeants des nouveaux états de l’Amérique.

 

Dans l’histoire politique plus récente, lorsque l’ancien président Jovenel Moise avait choisi de compter particulièrement ou en grande partie sur le soutien de l’international, pour non seulement rester au pouvoir et tenter de boucler son mandat, selon la logique des calculs arithmétiques les plus basiques et non sur la base l’équation proposée par la loi électorale, il n’avait jamais pris le soin de maîtriser les autres formes d’opérations spéciales et d’analyse combinatoire de ses adversaires et ennemis qui planifiaient les résultats obtenus dans la nuit du 7 juillet 2021.

 

Dix ans plus tôt, soit en 2011, son prédécesseur enterré à Marmelade, dans une autre ville du Grand Nord comme lui, René Préval, qui avait aussi bien  compté sur les votes blancs jusqu’à bénéficier de l’annulation du deuxième tour face au professeur Manigat, suivant des calculs qui ont favorisé son élection en 2006, allait à son  tour compter sur le candidat de son parti politique à l’époque en 2010, sans pour autant prendre en compte les résultats du centre de tabulation et les calculs de l’international, qui prévoyaient déjà deux autres candidats pour le deuxième tour des élections présidentielles de 2011.   

 

Deux décennies plus tôt, si l’ancien président Jean Bertrand Aristide allait compter sur la cérémonie d’investiture du 7 février 2001, pour réécrire l’histoire du pays à travers les perspectives de  commémoration du Bicentenaire de l’Indépendance en 2004, il n’avait jamais semble-t-il, fait le calcul géopolitique de la demande de restitution. Et l’on connait la suite, un autre quinquennat interrompu et la contrainte à un nouvel exil forcé.

 

De nombreux autres faits marquants dans l’histoire d’Haïti peuvent illustrer cette sagesse populaire « Byen konte, mal kalkile ».

 

 Dans la situation de crise multidimensionnelle que connaît la République d’Haïti depuis plus de trois décennies,  trois ans, trois mois, et surtout les  trois premières semaines de septembre 2022, ils sont nombreux les dirigeants au pouvoir, les membres de l’opposition, les acteurs du secteur des affaires, les groupes influents de la diaspora et d’autres acteurs, connus et invisibles, à compter sur un ensemble de leviers aux multiples couleurs, pour pouvoir exister, résister ou pour transcender ces crises. 

 

De l’autre côté, il y a le peuple ou la majorité silencieuse, qui ne sait pratiquement pas sur qui compter de nos jours. Et c’est pratiquement l’un des éléments inconnus pourtant bien connus, comme l’international, pratiquement très invisibles et souvent imprévisibles autour de la table des négociations, qui va souvent modifier l’ordre des calculs à chaque crise. 

 

Des autres acteurs qui veulent à tout prix atteindre leur objectif et pour poursuivre leur trajectoire, sans jamais revoir leur calcul personnel, clanique et sectoriel (économiques, hégémoniques et politiques), par rapport aux autres méthodes de calculs mythiques de la réalité historique, diplomatique et géopolitique. Qu’ils se rappellent toujours  des leçons de  l’adage « Byen konte, mal kalkile ». Une invitation à l’intelligence collective et au respect du bien commun : Haïti. 

 

Dominique Domerçant

 

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