La détresse de la capitale

La détresse de nos villes est proportionnelle à la précarité dans laquelle se débattent nos populations. Il s’agit d’une urgence nationale qui concerne certes nos collectivités territoriales, nos mairies, mais aussi l’ensemble de la communauté des citoyens.

Si nous prenons Port-au-Prince comme un échantillon de ce mal-être urbain, nous verrons que la notion même de ville voire de capitale a disparu. La capitale qui fut jadis un des meilleurs espaces caribéens avec son centre-ville achalandé et son bord de mer apaisé et éclairé à giorno est aujourd’hui méconnaissable. Il y a trente ans, on pouvait descendre au Bas de la ville et faire une promenade au bord de mer, dîner à un restaurant ou s’arrêter un moment devant de magnifiques jets d’eau colorés jaillissant au son de la musique. Les magasins du Centre-ville et de la Grand-rue restaient ouverts très tard, jusqu’à minuit au mois de décembre. Les promenades nocturnes se faisaient à pied ou en voiture.   

La dégradation ne s’est certes pas opérée d’un seul coup. La multiplication de constructions anarchiques a profité de l’indifférence des pouvoirs publics dans les derniers moments de la dictature et de l’abandon total de toute politique municipale, au cours de la longue période dite de transition démocratique.

Les quartiers résidentiels ont vite été assiégés par l’émergence de quartiers populaires « spontanés ». L’absence de politique de logement et de sauvegarde de l’environnement n’a laissé aucun choix aux populations avides de « places à vivre ». L’espace haïtien a connu de violentes distorsions qui sont les conséquences des catastrophes naturelles et socio-économiques qui se sont abattues sur le territoire.

Les migrations forcées et désordonnées de populations à la recherche d’emplois introuvables ; la décapitalisation outrancière de la paysannerie qui a commencé avec l’abattage au début des années 80 des cochons créoles dans le but avoué «  d’éradiquer » la peste porcine africaine ; le déboisement suivi de l’érosion des sols, l’absence d’investissements conséquents dans l’agriculture ont transformé nos villes en des cités dortoirs ou disparurent progressivement des lieux aménagés pour les loisirs culturels, les centres d’achats, les parcs pour enfants.

L’insécurité est passée à un degré tel que la vie nocturne est paralysée depuis maintenant plusieurs années. En dehors de quelques espaces qui résistent bon an mal an aux menaces des bandits et des violentes commotions politiques, tout un pan de la vie nationale s’est effondré. Ce qui contribue à amenuiser encore plus une économie déjà fragilisée par des pratiques corruptrices et/ou prédatrices.

Le terrible tremblement de terre de janvier 2010 a certes remué chair et béton dans un brassage infernal qui mit fin aux dernières illusions d’une capitale en pleine renaissance en décembre 2009.

Mais il est important de faire appel à la responsabilité des édiles, au civisme de chaque secteur aussi bien privé que public, pour repenser nos villes et habiter différemment l’espace urbain.

La disparition de nos nombreuses salles de cinéma qui ceinturaient jadis le Champ de Mars, le cœur battant de Port-au-Prince, où des cinés en plein air de Delmas achèvent le procès en irresponsabilité des dirigeants des trente dernières années et d’une partie des élites.

Georges Anglade avait prévu le potentiel de richesses et de désagréments de ces nouvelles citées qui, aujourd’hui, par leur précarité et le jeu cynique des politiciens font le lit d’un nouveau gangstérisme urbain.

Ce sont des questions qui méritent de figurer dans les projets et offres politiques que tout un peuple attend comme « sœur Anne » dans les contes pour enfants.

Roody Edmé

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