Pour un vivre ensemble dans la dignité recouvrée de l’État de droit

Haïti a connu en 2021 son lot de catastrophes vécues dans la douleur et l’effroi par un très grand nombre de familles haïtiennes : forte augmentation des prix des produits de première nécessité, pénurie de produits pétroliers, manifestations citoyennes durement réprimées par la Police nationale, démembrement de plusieurs institutions nationales, fermeture de nombreuses écoles consécutive au tremblement de terre du 14 août et à la fureur assassine des gangs armés, assassinat de journalistes, accélération de la gangstérisation du pouvoir d’État, imminence de la famine dans certaines régions, enlèvements contre rançon à grande échelle, etc. Ce n’est pas seulement en Somalie ou au Yemen que de si sombres pages d’histoire ont été écrites : elles ont pris place dans le quotidien des Haïtiens qui, contre vents et marées, aspirent pourtant à vivre en paix dans la dignité et dans le respect de leurs droits citoyens.

Les catastrophes de l’année 2021, mises en lumière au défilé des jours sombres par des articles de qualité du journal Le National, invitent à un élargissement de la réflexion sur les causes et les effets de ce qu’à défaut d’un terme plus juste l’on désigne sous le vocable de « malheur ». Il n’y a pourtant pas de « fatalité haïtienne », et encore moins un quelconque ADN fataliste du « chaos haïtien » faisant obstacle, à priori, à l’entrée des Haïtiens dans la plénitude de leurs droits citoyens modernes. L’idée qu’il faille désormais, notamment dans l’École haïtienne, instituer une autre lecture critique du mode de constitution de l’État issu de la guerre de l’Indépendance, une interrogation plus exigeante des causes des inégalités sociales et économiques à travers l’Histoire nationale, une meilleure compréhension de l’apartheid social et linguistique, fait consensus aujourd’hui. Il s’agit là, manifestement, d’une tâche au long cours qui ne saurait être différée et qui revient au premier chef à une École haïtienne à refonder sur de solides bases et que l’État a l’obligation de financer adéquatement. À ce compte, il faut prendre toute la mesure que la déduvaliérisation du pays, instituée par la Constitution de 1987, est loin d’être achevée et que l’édification d’un État de droit est un long et complexe cheminement. L’éducation à la citoyenneté, pour renouer avec les valeurs républicaines, n’est pas une chimère sans lendemain : elle est précisément inscrite au cœur des lendemains que nous voulons tisser autrement dans le corps social.

S’il est incontestablement attesté, comme vient de le rappeler le sociologue Laënnec Hurbon, que « c’est la révolution haïtienne qui a favorisé le passage historique à l’universalisation concrète de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », il est tout aussi vrai que les Haïtiens, dans leur grande majorité, sont aujourd’hui en quête de nouveaux repères historiques pour se redéfinir et redéfinir le pays qu’ils entendent habiter autrement. Cette âpre quête du vivre ensemble se donne à voir dans la pratique quotidienne de cet enseignant de Cazale qui, alors même qu’il ne reçoit qu’un salaire de misère et qu’il est très peu pourvu de formation et d’outils pédagogiques adéquats, s’efforce d’enseigner en langue maternelle créole. Elle se donne à voir dans les combats multisectoriels des organisations des droits humains, des organisations féministes, des associations professionnelles et culturelles et à travers le formidable potentiel de compétences dont dispose malgré tout le pays.

À l’instar des peintres, des artisans, des sculpteurs, des cinéastes, etc., les créateurs littéraires haïtiens –romanciers et poètes produisant dans nos deux langues officielles--, portent haut dans leurs œuvres l’exigeante quête du vivre ensemble. De Yanick Lahens à Emmelie Prophète, de Jean d’Amérique à Louis-Philippe d’Alembert, ils collent aux spasmes du réel haïtien contemporain et, dans le tissu de la fiction, ils tracent la voie à leur manière tout en remodelant notre patrimoine linguistique historique bilingue. En réinventant également l’humanisme citoyen de Jacques Roumain et de Jacques-Stephen Alexis, nos créateurs littéraires nous enseignent que l’espoir de jours féconds alimente lui aussi le légitime rêve d’un pays où le vivre ensemble ne doit pas être une utopie décorative, mais plutôt une maison commune.

Robert Berrouët-Oriol

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