2022 : le tournant ?

« Mais il arrive que la vie montre un autre profil

Et on comprend les grandes choses

À travers une sottise »

Maïakovski

 

En dépit de la morosité ambiante, et d’une fin d’année ensanglantée par les tireurs embusqués du quartier de Martissant ; les Haïtiens continuent de croire que cette descente aux enfers doit impérativement s’arrêter. Dix millions d’habitants ne peuvent avoir pour seul espoir l’abandon pur et simple de ce coin de terre. Et beaucoup refusent de se résigner à voir disparaître un pays et ses habitants sous les foudres maléfiques de seigneurs de la guerre. Ici et dans la diaspora, des mouvements citoyens s’organisent et tentent de penser et/ou d’agir dans la perspective d’une refondation d’Haïti.

 

Nombre de ces citoyens interrogés par « le National » affirment ne pas croire au miracle, mais à l’action patriotique et bienfaisante. Ils se déclarent des « pessimistes actifs ». Ils sont conscients qu’il existe des forces ténébreuses riches et puissantes qui ne souhaitent pas que le pays sorte du bourbier actuel et qui ont fait sauter toutes les digues de la décence. Mais ils croient qu’une masse critique de gens engagés, appuyée par des acteurs de bonne volonté dans l’International, peut contribuer à changer la donne.

 

Il s’agit en fait de bien comprendre pourquoi nous sommes arrivés à ce point d’implosion tragique. De bien identifier les mécanismes viciés de la corruption,  de l’impunité qui fait le lit du terrorisme local, de l’absence de vision d’un État failli, détourné du bien commun par des groupes violents et sectaires. De redéfinir enfin, nos rapports avec la communauté des bailleurs dans le sens de nos intérêts bien compris.

 

Il nous faut aussi considérer les marqueurs de nos divisions séculaires. Cette méfiance lourde qui plombe tout projet national et patriotique. Briser le cercle infernal de l’indifférence : « Zafè kabrit pa zafè mouton », réhabiliter la fonction publique et changer nos habitudes par rapport au service public qui ne doit plus être un simple « djòb » et/ou un lieu de magouilles voué à l’enrichissement personnel.

 

Il est important que ceux qui veulent désormais assumer la lourde tâche de porter tout projet de renouveau pour ce pays acceptent les principes cardinaux de la reddition de comptes et de l’alternance démocratique.

 

Haïti a besoin d’une réforme judiciaire avec des équipes de magistrats motivés à lutter contre la corruption, à l’instar de ces juges latino-américains qui ont coupé les multiples tentacules de la pieuvre « Petrobras », cette multinationale qui avait sur sa liste de paie de nombreux politiciens du Brésil à la Terre de Feu.

 

Le pays a aussi besoin d’un vrai projet économique assumé par l’ensemble des citoyens et qui libérera les énergies créatrices, organisera la production nationale et sortira l’ensemble de la nation du piège de la pauvreté croissante.

 

 Le premier ministre de facto Ariel Henry jure les grands dieux qu’il est désormais déterminé à faire une différence, entendez remettre en selle certaines institutions républicaines et améliorer le climat sécuritaire. Au cours de son dernier message à la Nation à l’occasion de la Noël, le chef du gouvernement a parlé de dialogue social, d’entente nationale et surtout de modernisation de la Police nationale. Des mots de circonstance, entendus tous les ans, qui ont du mal à se traduire dans les faits, et dont l’actuel chef de gouvernement plus qu’aucun autre à la responsabilité de les rendre enfin crédibles.

 

La question sécuritaire est aujourd’hui prioritaire pour tous les Haïtiens. Si à l’occasion des fêtes, l’aéroport de Port-au-Prince a connu un trafic intense prouvant l’attachement des Haïtiens à leur pays, cela ne signifie guère qu’ils  soient venus pour se faire abattre comme des canards sauvages.

 

 Il existe encore des patriotes qui s’accrochent désespérément à une idée progressiste de la patrie. La modernisation annoncée des forces de sécurité ne peut plus attendre aussi bien que le combat contre la misère crasse qui accable ce peuple.

Nous sommes à l’aube d’une nouvelle année, le Premier ministre qui souhaite se rendre aux Gonaïves appellera sans doute à refaire 1804, à faire preuve de dépassement pour qu’advienne enfin le règne du vivre ensemble.

 

Pour 2022, le peuple haïtien aspire tout simplement à un peu de paix, à la marginalisation de la violence et à la volonté commune de construire enfin ce lieu géographique et historique jusqu’ici si mal habité. 

Roody Edmé 

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES