Les dernières gouttes d’humains

L’observateur averti de la scène haïtienne peut se rendre compte rapidement qu’il se trouve devant un vide abyssal qu’aucune mascarade théorique ou idéologique ne peut cacher. La question constitutionnelle en est une. Certes, personne ne viendra contester que notre constitution porte en elle les germes d’une discorde permanente qui de toute manière faisait déjà partie de nos us et coutumes. Mais justement aussi, cette constitution a été rédigée par des hommes et des femmes qui ont manifesté cette maladie dans sa phase virulente actuellement  qui est ce déni total de la réalité, cette forme d’autisme qui nous enferme dans nos lubies, nous créant un égo surdimensionné qui nous empêche d’entendre l’autre, de voir l’autre. Dans sa forme la plus aiguë même l’espace physique dans lequel pourtant on se meut n’est appréhendé que de manière fractionnée, réduite à une espèce de cocon qu’on pense, par un délire de l’esprit, protégé de cet espace à la fois physique et humain qu’on ignore.

 

On pourra discuter longtemps de comment ce pays a pu produire ces hommes et ces femmes qui vivent dans le déni de la réalité et dans le mépris d’un espace physique qui pourtant, dans les discours, ils prétendent aimer. Il n’y a pas plus nationalistes qu’eux qui brandissent des drapeaux en invoquant les ancêtres tombeurs des esclavagistes. Pourtant, ils ne se rendent pas compte de l’offense faite à ces hommes qui ont sur mettre de côté leurs discordes et leur différence pour poursuivre un but qui était de construire une autre nation face à l’Occident génocidaire. Aujourd’hui, la seule lutte qui mérite d’être menée par cette engeance forgée par un système totalement en panne est celle pour l’accès aux lieux de pouvoirs, devenus lieux de jouissance. Une fois ces lieux pris d’assaut, on se lie avec tous les malfrats que toute société met à l’écart, on promeut toutes les frustrations et toutes les haines. Par-dessus tout, on ignore son espace physique, le mépris de l’autre devient la règle, pendant qu’on se vautre comme des porcs dans sa richesse mal acquise.

 

Quand on parle de réforme constitutionnelle, on rentre forcément dans un cercle vicieux. Les esprits malades que nous sommes n’ont jamais voulu respecter un quelconque texte constitutionnel. La seule constitution que nous respectons est celle du sétoupamisme – se tou pa m - dont les tenants ne retiennent de l’hymne national que ces deux paroles prises dans un sens bien particulier : bêchons joyeux. Profitons du pouvoir ! On ne gère rien. On ne prévoit rien. On ne gouverne rien. Le drame de Martissant était annoncé depuis des années. Personne ne s’est soucié. On a laissé Canaan se développer comme un champignon le long de la Nationale no 1, on s’en est foutu. Les parlementaires faisaient le plein d’armes autour d’eux, armant malfrats et tueurs. Silence !  Les politiciens de tout bord se sont frottés allégrement aux bandits recherchant appui pour perdurer au pouvoir ou pour y accéder. Silence ! Même les organismes des droits humains ont joué, continuent à jouer, à un jeu trouble où les millions sont traqués comme au Monopoly. Toute une société a fermé les yeux sur ces dérives parce que nous avons un grave problème humain en Haïti. Et aujourd’hui, ce problème nous pète au visage. Ce problème empire jour après jour parce que nous sommes toujours dans des solutions cosmétiques, dans l’imposture permanente, alors que l’agonie de la nation s’est accélérée – si on peut s’exprimer ainsi – depuis quelques jours. La prise, encore une fois, d’un important poste de police, face à un commandement de la PNH impuissant, un corps gangrené de l’intérieur par les politiciens et aussi par l’international, illustre bien cette comédie macabre qui n’en finit pas.

 

Gary Victor 

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES